La Chine dispose désormais de constructeurs automobiles très performants, tant dans l’électrique que dans le thermique. Maitrisant les nouvelles technologies et pouvant rivaliser avec les constructeurs américains et européens, ses entreprises se lancent à l’assaut de ces marchés.
Serge Cometti a 35 ans d’expérience automobile chez des Constructeurs, Groupes de Distribution, Réseau National Après-Ventes, Location longue durée, Conseil et Formation, en Europe, Amérique du Sud et Maghreb dans des fonctions de Directeur Sales &Marketing, Directeur Général. Il s’est spécialisé il y a 10 ans dans l’électromobilité et les nouvelles mobilités. À ce titre, il a créé en 2020 une société avec laquelle il a lancé en France comme importateur trois marques de véhicules électriques, MG, Aiways et MAXUS. Il intervient dorénavant en tant que conseil auprès de grands groupes européens.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.
Quels sont les types de constructeurs automobiles chinois ? L’économie en Chine étant abondamment tenue dans le giron de l’État, quels sont les liens des constructeurs avec le gouvernement et leur degré d’indépendance et d’autonomie ?
C’est une question compliquée, car toutes ces données ne sont pas forcément accessibles sur le marché. Normalement, le gouvernement donne des autorisations de production et de vente. Les constructeurs reçoivent donc soit une autorisation pour fabriquer et pour vendre, soit simplement une autorisation pour vendre.
Par exemple, la marque chinoise Nio, pure player de l’électrique et connue un petit peu en Europe du Nord, possède seulement l’autorisation pour vendre, mais pas pour fabriquer donc la marque est sous-traitée par une autre entreprise chinoise qui s’appelle JAC. En revanche, l’entreprise Hozon qui vend des véhicules électriques qui s’appellent les Neta, possède l’autorisation pour vendre et pour fabriquer.
Une autre question se pose : l’autorisation d’aller à l’étranger, une autorisation où le gouvernement joue un grand rôle. Certaines entreprises sont listées au stock-exchange, en particulier celui de Hong Kong, tandis que pour d’autres le capital est plutôt possédé par l’État.
Le constructeur chinois aujourd’hui le plus avancé en Europe est SAIC (Shanghai Automotive Industry Corporation) à travers sa marque MG. Numéro 1 en Chine, il vend 7,2 millions de voitures en Chine dans différentes joint-venture (une avec le groupe Volkswagen et une avec General Motors). Ce constructeur est une entreprise d’État, mais c’est aussi celui qui a le plus grand succès en Europe : l’an dernier, ils ont vendu 120 000 voitures neuves en Europe et cette année ils vont en vendre 200 000. L’an dernier en France, ils en ont vendu 12 000 donc cette année leur cible c’est 20 000. J’ai vendu la première MG en 2020, et en 2023, ils vont faire plus d’un point de part de marché en France.
MG fait penser à une marque européenne. Comment expliquez-vous cela ?
MG est effectivement une marque anglaise rachetée par des Constructeurs chinois. En 2005, BMW a vendu le reste du groupe British Leyland à un Constructeur chinois : Nanjing Automobile. À l’époque, BMW avait racheté British Leyland et ils ont gardé Mini, dont ils ont fait une marque à part alors que c’était simplement un modèle, Rolls-Royce, ainsi que Bentley, qu’ils ont vendu après à Audi. Tout le reste, ils l’ont vendu à Nanjing, qui, quelques années après, est devenu SAIC, le numéro 1 en Chine. Donc depuis 2005, cette entreprise chinoise a une fenêtre dans cette maison MG qu’ils ont achetée en Angleterre. Ils ont gardé le siège social, le centre de design, et une présence en Grande-Bretagne alors qu’en Europe ils ont arrêté le réseau MG.
Ainsi, dans British Leyland il y avait la marque MG (marque qu’ils utilisent maintenant pour venir en Europe) et la marque Rover (réseau Rover arrêté en 2005, ils ont réutilisé la marque en Chine sous le nom de Roewe). Ils observent donc le marché européen dans une position privilégiée depuis 2005. Ils ont créé en 2015 une société au Luxembourg et en 2019 un siège à Amsterdam pour les opérations européennes. Ils ont lancé ensuite les opérations européennes fin 2019, début 2020.
Un autre exemple qui est très intéressant, c’est le groupe privé Geely. Geely a aussi acheté une maison en Europe, c’est la maison Volvo en 2010. Aujourd’hui, la marque chinoise qui marche le mieux en Europe. À travers Volvo, ils ont réussi à développer les ventes mondiales. Actuellement, ils vendent 600 000 voitures alors qu’à l’époque, ils n’en étaient qu’à 250 000. Ils ont lancé la marque Polestar qui est une marque 100% électrique. Celle-ci n’a pas pu vendre en France, car son logo est trop proche de celui de Citroën, la marque a donc été interdite en France. Mais ce litige ayant été réglé fin 2022, la marque va pouvoir débarquer.
Enfin, ils ont une autre marque qui fait parler d’elle : Lynk and Co. Vendue simplement sur internet, avec abonnement souple type Netflix : vous payez 500 euros par mois, avec aucune obligation de garder la voiture, tout est compris, mais tout se fait sur internet et seulement sur internet. Et maintenant aussi Zeekr.
Où sont leurs usines de production : en Chine, dans d’autres pays asiatiques, ou est-ce qu’ils font comme Toyota c’est-à-dire qu’ils font des usines en Europe pour tout ce qui est vente européenne ?
Aujourd’hui, aucun Constructeur chinois n’a d’usines en Europe. Toutes leurs usines sont en Chine, mais beaucoup sont en train de monter des usines en Thaïlande. En effet, c’est un pays qui a un programme très important d’aide à l’électrification des véhicules et qui possède une manne pétrolière. De plus, c’est un pays qui est conduite à droite, ce qui va permettre aux Constructeurs chinois d’avoir une version conduite à droite de leur modèle, alors qu’en Chine les véhicules sont conduites à gauche comme chez nous, tout en bénéficiant de la manne pétrolière de la Thaïlande.
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De plus, je me suis aperçu récemment que si la Chine a été fermée pendant trois ans avec le Covid, ils ont continué à travailler. Beaucoup d’entreprises chinoises ont alors développé des usines plutôt d’assemblage de CKD (Completely Knocked -Down) ou SKD (Semi Knocked-Down), c’est-à-dire des voitures qui sont dans des caisses et qu’il faut ensuite assembler. C’est un proces d’implantation plus simple, car il n’y a pas de presses à installer pour fabriquer la carrosserie, de tunnels de galvanisation et de peintures et de sous-traitants à implanter …
Les entreprises chinoises ont construit beaucoup d’usines comme cela dans des pays qui sont émergents, donc les pays d’Amérique latine tels que le Chili, l’Argentine, le Mexique et bientôt le Brésil. Beaucoup ont investi aussi les anciennes républiques russes d’Asie centrale comme le Kazakhstan. Je suis persuadé que les Chinois, depuis la guerre avec l’Ukraine, vont remplacer les Occidentaux qui ont été amenés à quitter la Russie, avec leurs marques et leurs voitures, à la fois pour vendre et fabriquer. Ils le font déjà en Iran pour les mêmes raisons. Par exemple, Renault et Peugeot avaient des positions très fortes en Iran : un très gros marché pour une très grosse population, mais comme il y avait une interdiction de faire du marché avec ces pays-là, les Constructeurs chinois en ont profité et ont alors eu une politique différente. Les Constructeurs chinois sont vus d’une manière très positive dans ces pays, car la Chine est un pays émergent qui a réussi à se développer et à prendre son indépendance par rapport à l’Occident et c’est d’une certaine manière un exemple à suivre et une façon pour eux d’être leur porte-parole.
Tout cela est aussi possible de l’autre côté du Maghreb. Quand les Chinois vont dans ces pays, ils y vont avec des véhicules thermiques qui ont des normes d’émissions de CO2 bien inférieures que celles qui sont exigées en Europe. En Algérie, il y a des marques de véhicules chinois qui n’existent pas en Europe, car en Algérie on exige simplement que les véhicules respectent la norme Euro 2 ou Euro 3 alors qu’en Europe, on respecte l’Euro 6. Les Constructeurs chinois ont décidé de ne pas dépenser les centaines de millions d’euros nécessaires pour gagner quelques grammes de CO2 pour passer de l’Euro 3 à l’Euro 6 et peut-être jusqu’à l’Euro 7, ce dernier qui peut-être ne sera jamais mis en place, car il est trop cher, étant donné que les Européens doivent déjà dépenser beaucoup d’investissements pour rattraper leur retard sur l’électrique.
Les Constructeurs chinois ont décidé de venir dans les marchés très réglementés sur le plan de la pollution avec un produit qui supprime cette problématique, qui est le produit full électrique, dans lequel ils sont devenus leaders mondiaux. En revanche, dans les pays qui n’ont pas une législation aussi stricte sur le plan des émissions de CO2, ils y vont avec leurs produits thermiques pas chers.
La voiture n’est pas uniquement un moyen de transport, c’est aussi un symbole de puissance, de pouvoir ou d’affectation. Le fait que des pays ou des personnes préfèrent avoir des voitures chinoises à d’autres voitures européennes par exemple, cela témoigne-t-il d’un basculement du monde en faveur de la Chine ?
En 2007, je suis allé au Salon de Genève. Il y avait un stand d’environ 100 m² avec une dizaine de voitures entassées. On ne pouvait pas ouvrir les portes, car elles étaient fermées pour éviter qu’en s’asseyant à l’intérieur il y ait quelque chose qui vous reste dans la main. C’étaient des marques de voitures dont le design était copié des voitures européennes. Il y avait quelques Chinois dans des costumes tristes à mourir, qui regardaient les voitures.
À l’époque, la Chine avait voulu homologuer des voitures thermiques en Europe, mais elle n’a jamais pu y arriver. Cette époque est désormais révolue et les constructeurs chinois sont désormais en pointe dans de nombreux domaines. L’industrie chinoise, qui a été un eldorado en particulier pour les marques allemandes, n’a démarré qu’il y a une cinquantaine d’années. Ce sont les Allemands qui leur ont appris à fabriquer les voitures.
Les pures players de l’électrique, qui aujourd’hui sont les leaders mondiaux, sont récents. Tesla (États-Unis) et BYD (Chine) ont vingt ans. Elon Musk a repris une boîte qui avait été créée par des spécialistes de l’automobile qu’il a ensuite développée et BYD s’est développé à partir des batteries pour téléphones en rachetant l’usine automobile en 2005.
En avril et mai 2023, pour la première fois, la part de marché des constructeurs chinois en Chine a dépassé celle des constructeurs étrangers. C’est un motif de fierté pour la Chine et les Chinois, mais c’est dû au fait que leurs produits sont aujourd’hui meilleurs et plus adaptés aux goûts des consommateurs que les produits que proposent les constructeurs étrangers.
En 2019, Volkswagen vendait 4,2 millions de voitures en Chine et en 2022, 3,2 millions. Donc en trois ans, ils ont perdu 1 million de voitures. Au-delà de ça, la part de marché de Volkswagen dans le marché tout électrique en Chine était simplement de 2,5% en avril 2023 donc très loin de BYD qui atteint les 20%.
Ainsi, il y a vraiment une inversion qui s’est produite. Les constructeurs chinois, depuis des années, ont mis l’accent sur les véhicules électriques et ont donc aujourd’hui une avance considérable, et construits une filière totalement intégrée de l’extraction des terres rares, à leur raffinage, fabrication de batterie de propulsion électrique, de moteurs, transmissions et assemblage automobile.
Comment font-ils pour les batteries ? C’est eux qui les produisent également ?
Il y a deux choses qui m’ont frappé en Chine.
Tout d’abord, dans les grandes villes, vous n’avez que des scooters ou des motos électriques, mais pas de motos thermiques, que l’on trouve dans les campagnes, mais pas dans les grandes villes. Il y en a des milliers et des milliers, qui se rechargent n’importe comment avec des rallonges électriques qui sortent des boutiques pour se brancher sur les batteries des scooters.
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La Chine a développé tout l’écosystème électrique depuis 10/15 ans, qui va de l’extraction des terres rares au raffinage des terres rares. Je me souviens il y a 30/40 ans que Rhône Poulenc avait une usine à La Rochelle qui était un véritable joyau et qui était une des rares usines au monde à faire du raffinage de terres rares qu’on utilisait à l’époque pour les téléviseurs. Je ne sais pas ce qu’est devenue cette usine, mais aujourd’hui les Chinois ont un quasi-monopole sur le raffinage. D’autres pays que la Chine font l’extraction, mais très peu font le raffinage. Les pays envoient donc leurs terres rares en Chine pour qu’elles soient raffinées. Derrière, ils font des petites piles qui sont assemblées dans des packs de batterie qui sont assemblés ensuite dans des batteries de propulsion. Les Chinois ont ainsi développé tout cet écosystème qui aujourd’hui représente 50 à 60% du prix des voitures et ont une part de marché qui est de plus de 60% avec le leader mondial qui est CATL (Contemporary Amperex Technology Co. Limited). Et derrière, ils investissent dans les moteurs électriques, les systèmes de transmission, jusqu’à la fabrication des voitures et les véhicules autonomes. Ils fabriquent des voitures qui respectent les meilleurs standards internationaux et sont maintenant homologués Euro NCAP 5 étoiles et qui ont des niveaux de conduite avancés qui sont d’ordre de deux ou plus (Advanced Driving Assistance System (ADAS) 2 et ils n’ont rien à envier aux standards européens.
Quand en Europe on fait la promotion de la voiture électrique, c’est un grand coup de main donné aux Chinois ?
On peut le dire comme cela, mais l’électrification est une nécessité pour atteindre les objectifs de la stratégie 0 carbone 2050
Je reviens sur l’écosystème chinois. La Chine depuis des années est le plus grand parc de vélos à assistance électrique et c’est aussi le plus grand parc de scooters et de motos électriques. Pour les Chinois, l’électrique est un moyen à la fois de répondre aux besoins de mobilité des clients et des consommateurs chinois (qui sont des centaines de millions) des problèmes de pollution dans les villes et des contraintes de pouvoir d’achat. Il y avait en effet, il y a des années, des périodes de smog abominable à Pékin et à priori ces problèmes-là sont en train d’être résolus aujourd’hui, en partie grâce à ça. Les Chinois ont eu l’intelligence d’autoriser des véhicules à circuler dans le domaine public qui sont interdits aujourd’hui par le Code de la route français et européen. Cela permet d’apporter une solution de mobilité pas chère, car ils n’ont pas les mêmes règles et normes à respecter. Donc ils répondent à la fois à un besoin de mobilité, au problème de pollution et au problème de pouvoir d’achat.
Donc vous avez en Chine des triporteurs électriques qui roulent en ville avec des plateaux sur lesquels on peut mettre des courses pour aller au marché ou un passager. Vous avez des petites voitures de golf qui circulent, de police, pompiers, infirmiers, etc., qui n’ont pas l’autorisation de rouler sur les autoroutes, sur les voies rapides ou sur les périphériques, mais qui peuvent rouler à l’intérieur des villes ou des voies communales ou cantonales et qui répondent à ces besoins-là en consolidant tout cet écosystème autour de l’électrique.
Alors, est-ce que l’Europe ouvre la voie aux constructeurs chinois ?
La réduction des émissions de CO2, en particulier dans le transport, conduit les États-Unis et l’Europe à favoriser la fabrication de véhicules électriques.
Joe Biden, il y a un an, a annoncé l’IRA (Inflation reduction act) qui favorise la fabrication de véhicules électriques. Il y a ajouté une clause de localisation de la production pour bénéficier de cette aide. Mais l’Europe, en revanche, a aujourd’hui mis en place à partir de 2020 des normes qui viennent des États-Unis, les normes CAFE (Corporate Average Fuel Economy). La Californie avait mis en place les législations les plus restrictives sur les émissions de CO2 .
La CEE a calculé à partir de 2020des objectifs de gramme moyen de CO2 émis par les constructeurs. Si ces objectifs de gramme moyen sont dépassés, chaque gramme produit multiplié par la production, c’est 50 euros d’amende. Dans la norme CAFE, chaque véhicule électrique immatriculé compte pour deux et donc permet de descendre la moyenne d’émission de CO2 des constructeurs. Fiat, par exemple, avait acheté les quotas de Tesla.
Le président français, Emmanuel Macron a annoncé récemment dans son discours lors de l’inauguration de la future usine d’ACC de batteries dans le nord de la France que l’attribution du bonus écologique en 2024 allait changer et allait prendre en compte trois critères : un critère de gramme de CO2 émis pour l’assemblage des véhicules, un critère de gramme de CO2 émis pour l’assemblage des batteries et un critère de recyclabilité des batteries. Je ne suis pas certain que le gouvernement français soit en mesure de mettre en place des normes comme cela d’ici début 2024 comme le président l’a annoncé, mais en tout cas ce type de mesures peut amener à favoriser les pays vertueux en émission de CO2 comme la France.
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En effet, la France est le pays d’Europe avec la Suède qui a la production d’énergie électrique la plus décarbonée. 80% de la production d’électricité française comme la suédoise et la danoise est dépolluée, mais pas avec les mêmes outils : la France dans le nucléaire, l’hydraulique et les énergies renouvelables, la Suède, principalement dans l’hydraulique, dans le même temps la production d’électricité en Allemagne est carbonée à plus de 60% et en Pologne de 80%.
Ce qui est intéressant aussi c’est le design des voitures. Les Japonais par exemple étaient très bons dans les années 1980-1990, mais leurs voitures étaient laides. Les Chinois ont fait un beau travail, ce sont de belles voitures et cela donne envie de les acheter au-delà des caractéristiques techniques. Qu’en pensez-vous ?
Les Constructeurs chinois en sont aujourd’hui à leur troisième génération de véhicules électriques parce qu’ils ont pris de l’avance. Ils ont non seulement des produits qui sont fiables, qu’ils savent fabriquer, qui sont aux standards européens, mais qui sont aussi assez sexy et assez faciles à utiliser. Il y a une très grande différence entre construire à partir d’une feuille blanche et construire à partir d’une industrie qui existe depuis des dizaines et des dizaines d’années. Quand on construit à partir d’une feuille blanche, on peut inventer le produit automobile qui correspond le plus à un usage 100% électrique. Il y a des plateformes dédiées à cela, qui vont être plus légères, et des usines plus modernes et efficaces.
Les Chinois ont beaucoup travaillé sur le poids : jusqu’à 500 kg de différence entre un modèle chinois et un modèle européen, en particulier allemand. Les Chinois savent que le poids est l’ennemi de l’électrique : plus vous avez de poids, plus vous devez emporter de la batterie. Quand vous êtes sur l’autoroute, 75% de l’énergie est consommée par le poids de la voiture. Donc plus votre voiture est lourde, plus vous devez mettre de la batterie et plus vous mettez de batteries, plus votre voiture est lourde. C’est un cycle sans fin. Les Constructeurs chinois ont beaucoup travaillé à l’optimisation du poids et ont donc aujourd’hui des voitures extrêmement légères et qui respectent quand même les standards de sécurité européen, les Euro NCAP 5 étoiles.
Ils ont aussi beaucoup travaillé le design. Ils ont des produits qui sont sexys et performants.
Il y a aussi la question des batteries et de l’autonomie des voitures.
Vous avez des batteries qu’on appelle des batteries-lames de BYD par exemple, qui sont plus sûres et plus faciles à assembler que les batteries piles de Tesla. Vous avez maintenant des Constructeurs chinois qui arrivent avec des batteries solides qui ont beaucoup plus de densité et qui permettent des autonomies plus longues comme Zeekr, qui va arriver, avec des autonomies de 700/800km et même annoncées à plus de 1000 km.
Quand vous allez à Shanghai, vous voyez des produits très sexy, mais qui ne sont pas du tout adaptés au marché européen, qui sont très grands, très gros.
Je suis allé essayer des voitures chinoises qui étaient présentées à Bruxelles. À un moment donné, celui qui m’accompagnait à l’aller, et qui m’a ensuite passé le volant, est monté sur un bout de trottoir en tournant. Il s’en est presque excusé et m’a parlé ensuite des dimensions de la voiture. Il s’excusait presque qu’elle soit si grosse, car il s’était rendu compte qu’en Europe cela ne correspondait ni à nos besoins, ni à nos usages, ni à nos possibilités financières.
Ainsi, beaucoup de produits ne sont pas adaptés au marché européen : même si vous avez un bon produit, il faut accepter de le vendre à un bon prix. Mais qu’est-ce qu’un bon prix dans un marché où vous n’êtes pas connu ? C’est un prix qui propose mieux pour moins cher à un client qui ne vous connait pas, car sinon pourquoi iraient-ils acheter une voiture chinoise qu’il ne connait pas alors qu’il peut acheter une voiture Renault dans l’une des 500 concessions en France avec ses 3 500 agents ? Mais beaucoup de Constructeurs chinois ne les mettent pas à des prix très compétitifs. Ils considèrent que comme leurs produits sont très bons, les prix doivent être en rapport. Il leur faut une stratégie et des objectifs clairs, des ambitions et puis s’en donner les moyens. Cela ne va pas se faire très facilement et rapidement.
Concernant les infrastructures, pour avoir des voitures électriques, il faut avoir des bornes de recharge. Comment cela se passe en Chine, car c’est quand même la grosse faille des voitures électriques ? Comment ont-ils organisé leur autoroute et leurs villes ? Est-ce que cela fonctionne bien ?
En Europe, on parle jusqu’à présent de deux systèmes de recharge de batterie.
Tout d’abord, le système de recharge dans le domaine privé donc dans les entreprises ou chez les particuliers. Avec des bornes de recharge souvent en courant alternatif, elles chargent au maximum à 22 kW. Puis il y a les bornes de recharge dans le domaine public qui sont des bornes de recharge qui peuvent charger en courant alternatif jusqu’à 50 kW en général ou en courant direct. Cela évite de passer par un transformateur à l’intérieur de la voiture et cela charge directement la batterie. Il peut donc y avoir des systèmes de recharge à 350 kW maximum, 250 kW chez Tesla.
En Chine, un troisième système de recharge existe : le remplacement de batterie. Donc en Chine il y a à la fois le système de recharge dans le domaine privé, à la fois le système de recharge dans le domaine public et à la fois le système de recharge dans des stations de remplacement de batterie.
Une marque en particulier s’est développée là-dessus : Nio. Nio possède des stations de recharge : vous mettez votre voiture dedans, un automate va chercher votre batterie sous votre voiture et va la remplacer par une batterie chargée.
Aujourd’hui en France, on recense 1 million de bornes au total en 2022, dont 100 000 dans le domaine public. Donc, cela fait 900 000 bornes dans le domaine privé, les sociétés et particuliers les installant dans leur parking. 80% des Français rechargent leur véhicule chez eux. C’est d’ailleurs le moyen le plus économique de charger : vous pouvez charger aux heures creuses à 16 centimes du kW. Ainsi, vous chargez 100 kW, de quoi faire 100 km pour 2 euros alors que la moyenne comparable avec un véhicule thermique à 5 litres au 100 c’est 2 euros par litre, pour simplifier les calculs, donc cela fait 10 euros.
Autre exemple : je suis allé en 2016 à la Commission européenne avec un syndicat qui travaille pour favoriser tout ce qui est véhicules électriques. On avait une réunion avec la personne en charge de ce département en Europe. L’Europe avait à l’époque lancé un programme qui aurait dû être mis en place en 2013, qui s’appelait Corridor. C’est un acronyme barbare pour dire qu’un Suédois devrait pouvoir partir du nord de la Suède en voiture électrique et être capable de descendre au sud de l’Espagne, ce qui voulait dire qu’il fallait avoir des bornes de recharge installées tous les 150 km. Cela s’appelait Corridor, car il n’était pas question d’imposer à chaque État de mettre des bornes tous les 150 km, mais de choisir la voie qui permettrait de le faire. Pour traverser la France, il y a deux voies principales : la vallée du Rhône ou l’Atlantique. La France a choisi la vallée du Rhône et donc auraient dû installer des bornes de recharge tous les 150 km.
Donc quand je me suis rendu en 2016, la personne de la Commission européenne nous a dit : « Dans le projet Corridor, il y a un seul pays en retard, devinez lequel » et enchaîne en disant « On aurait pu mettre une procédure d’amende pour ce pays. » C’était la France. En effet, c’est à cause d’une dispersion de pouvoir. Pour implanter des bornes de recharge le long de la vallée du Rhône, il fallait discuter avec les sociétés opérant les autoroutes, avec les sociétés exploitant des stations-service, avec les propriétaires des stations sur les autoroutes, avec les départements, les municipalités et les régions traversées. Donc c’était la multiplication d’interlocuteurs qui faisait que c’était extrêmement compliqué et trop long à mettre en place.
Tesla a décidé d’installer ses propres bornes de recharge. En effet, Tesla avait compris que s’il voulait vendre des voitures dans les pays où ces programmes d’installation de bornes de recharge étaient trop longs ou trop lents, et comme il avait les poches pleines, il fallait installer ses propres bornes. Tesla gardait en tête aussi à un moment donné que l’équation économique sur ses véhicules ne serait pas simplement la borne du véhicule, mais un peu plus la consommation du véhicule, comme Apple et ses iPhones avec toutes ses applications qui sont dessus et pour lesquels chaque fois que les gens vont dessus, Apple touche de l’argent.
Mais quand on regarde comment Tesla a fait, il n’y a quasiment aucune borne Tesla installée sur l’autoroute : elles sont toutes en sortie d’autoroute, dans des parkings d’hôtels parce que souvent ce sont les particuliers qui possèdent l’hôtel. C’est une franchise, mais le franchisé a les murs, le sol et la franchise. Il n’y a donc que lui qui décide. Ils ont donc installé ces bornes-là, ce qui est maintenant un désavantage, car il y a désormais suffisamment de bornes sur les stations d’autoroute, ce qui permet d’éviter de perdre une demi-heure en sortant de l’autoroute. Pour contrebalancer ce problème qui était avant une solution, ils ont baissé leur puits de recharge et ont décidé d’ouvrir leur bande de recharge à tous les conducteurs y compris ceux qui ne sont pas des conducteurs de Tesla.
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