<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les commandos marine, une élite au service de la France. Entretien avec Jean-Louis Tremblais.

17 octobre 2023

Temps de lecture : 13 minutes

Photo : Mars 2022, les membres du commando Hubert s'entraînent au treuillage et aux cordes lisses depuis un Panther de la Marine nationale au large de Toulon. A l'image : les membres du commando descendent à bord de l'ECUME en corde lisse. ©Jonathan Bellenand/Marine Nationale/Défense

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Les commandos marine, une élite au service de la France. Entretien avec Jean-Louis Tremblais.

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Neptune. Titre évocateur de l’ouvrage de Jean-Louis Tremblais, reporter au Figaro Magazine, et d’Ewan Lebourdais, photographe, qui nous fait pénétrer dans la fosse des commandos marine, pour en saisir toute l’histoire et en comprendre la fonction. Entretien avec l’auteur de ce livre, paru aux éditions Odyssée.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.

Entretien issu de l’émission réalisée avec Jean-Louis Tremblais.

Vous avez eu la chance et le privilège de suivre les nageurs de combat. Ce genre de reportage et donc d’ouvrage est extrêmement rare. Comment s’est mise en place cette coopération entre vous et la marine ? Et comment vous est venue l’idée de cet ouvrage et de sa réalisation ?

À l’origine, j’ai répondu à une demande de reportage auprès de la marine. Ainsi, cet ouvrage, consacré au commando Hubert, regroupant les nageurs de combat au sein des commandos marine, est parti de cette idée. C’est une unité qui ne communique pas de manière générale, puisqu’elle fait partie du COS (Commandement des opérations spécialités). De plus, elle est astreinte à la confidentialité par arrêtés ministériels. C’est d’ailleurs pour cela que les membres des forces spéciales portent souvent une cagoule ou un masque.

Le dernier reportage effectué dans la presse générale datait de la fin des années 1960. Cela faisait donc plus d’un demi-siècle. Par voie de réseaux, j’ai finalement rencontré le contre-amiral Pierre de Briançon, qui commande la force maritime des fusiliers marins et commandos. C’est d’ailleurs un ancien nageur de combat, et donc un ancien du commando Hubert. Je lui ai demandé s’il était intéressé par un reportage pour le Figaro Magazine. À l’origine, le livre ne faisait pas partie du projet initial. À ma grande surprise, il a répondu positivement. Peut-être parce que l’armée recrute. Les commandos marine sont une unité particulière. La sélection est drastique, et cela suppose de bénéficier au départ d’un vivier d’hommes presque parfaits.

Le commando Hubert fait évidemment référence au premier commando Hubert, celui du Débarquement du 6 juin 1944. Il regroupe les 177 Français ayant participé à cette opération.

La filiation entre le premier et le deuxième commando Hubert semble évidente. Y a-t-il une vraie continuité entre eux ou est-ce un nom repris par la mythologie ou la force héroïque de ces premiers hommes ?

Cela relève plus exactement de la tradition. Ces 177 Français sont les pionniers des fusiliers. Auparavant, il existait le corps des fusiliers marins certes, mais pas des commandos marine. Ces derniers ont été formés pendant la Seconde Guerre mondiale, par les Royal Marines en Écosse. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’ils portent le béret vert à l’anglaise, contrairement au reste de l’armée française. L’écusson est à gauche, et le béret penché vers la droite, en hommage à ces pionniers qui ont débarqué en France avec les Anglais et les Américains.

Hubert est un officier, l’un de ces 177 Français, mort au combat. D’ailleurs, tous les commandos marine portent le nom d’un vétéran qui s’est illustré au Débarquement ou bien en Indochine. À partir de 1945, la France comprend la nécessité d’intégrer des commandos au sein de la marine. Mais les tout premiers commandos n’étaient pas brevetés nageurs de combat. Le brevet nageur de combat est né dans les années 1950. C’est une co-invention de l’enseigne de vaisseau Claude Riffaud et du mythique Bob Maloubier. Les deux hommes font cette proposition à l’état-major, d’abord réticent. Ce dernier leur demande de faire leurs preuves. Ils organisent donc des assauts de force sur des bâtiments de la marine, ils sabotent un câble téléphonique, montrant que cela peut être utile en temps de conflit.

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C’est l’acte de naissance du brevet nageur de combat, créé en 1952. Ils viennent de fêter leurs 70 ans. Depuis, cette spécialité de nageurs de combat a été maintenue.

Février 2022, des membres du groupe E du commando Hubert s’entraînent au tir depuis les ECUME (Embarcation commando à usage multiple) au large de la presqu’île de Saint Mandrier. ©Jonathan Bellenand/Marine Nationale/Défense

À l’origine, ce n’est pas une invention française. Historiquement, ce sont les Italiens qui, pendant l’Entre-deux-guerres, ont développé de concept de nageurs de combat, d’hommes torpilles. C’est une allure de combat, mais à quoi servent-ils exactement ? Leur mission est-elle de mener des opérations dans les ports, de saboter des bateaux, de prendre d’assaut des bâtiments ? Quelle est leur manière d’opérer ?

Ce qu’il faut tout d’abord signaler, c’est qu’ils relèvent du commandement des forces spéciales, tout comme des unités de l’armée de terre, tels que le 1er RPIMa, ou le 13e RDP, ou de l’armée de l’air, tel que le CPA 10.

Les commandos marine sont au nombre de 7. Le commando Hubert est l’un d’entre eux. Il est le seul possédant des nageurs de combat, mais les commandos marine font partie de cette force spéciale.

Le rôle des forces spéciales est de taper sur une cible à haute valeur stratégique, telle qu’elle est définie par le ministre des Armées et le président de la République. Ce n’est donc pas de la guerre classique, mais ce sont des opérations. Elles ne sont pas secrètes, car c’est le domaine de la DGSE, mais elles sont en tout cas discrètes et confidentielles.

Le cœur du métier des nageurs de combat, c’est d’aller placer un explosif sur la cote d’un bâtiment ennemi. Ainsi, ils sont généralement embarqués au sein d’un bâtiment de la Royale, ou alors ils sont aérolargués par hélicoptère ou avion. Peu importe, car ils sont tous chuteurs opérationnels, ils peuvent donc être largués à haute distance et faire de l’insertion sous voile à l’approche d’un littoral. Une action de la mer vers la terre peut être une reconnaissance de littoral en vue d’un éventuel débarquement, une opération de renseignement et d’observation d’un mouvement ennemi, une prise de photographie avec du matériel extrêmement sophistiqué, une neutralisation d’objectifs. Évidemment, ils font aussi du sabotage dans un port ou un navire, ou même un pipeline, pourquoi pas. Mais on ne peut que l’imaginer, on ne le sait pas. Par exemple, l’affaire Nord Stream est tout à fait dans leurs cordes. Ils sabotent aussi des ponts. Je pense au fameux pont de Crimée, détruit pendant le conflit russo-ukrainien. Ce sont peut-être des nageurs de combat d’autres pays qui en sont les auteurs.

Comment les intègre-t-on au reste de l’armée ? Le but des opérations spéciales est d’obtenir un objectif final. Mais comment se fait cette coordination ?

Cette coordination se fait en premier lieu au sein du COS, le Commandement des opérations spéciales, qui répartit les missions. De manière plus générale, elle s’articule dans une vision globale du combat. Par exemple, les nageurs de combat infiltrés derrière les lignes ennemies peuvent aller chercher du renseignement ou préparer une action qui sera menée par des unités plus conventionnelles. Ils préparent le terrain puis se retirent. Leur but n’est pas d’aller faire la guerre dans les tranchées. Ce n’est pas l’infanterie, ce n’est pas l’arme des 100 derniers mètres. Ils opèrent le plus discrètement possible. Mais on ne connaît probablement que 2 % de leurs missions.

Lorsque l’on se rend sur la base du commando Hubert, à Saint-Mandrier-sur-Mer, dans le Var, on ne voit que très peu de monde, car ils sont quasiment toujours en opération. On ne peut pas annoncer officiellement les destinations, mais il est évident qu’ils se trouvent dans toutes les zones de conflit : en Libye, en Syrie, en Ukraine, on ne sait pas.

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Savons-nous combien ils sont aujourd’hui ?

Les effectifs au sein des forces spéciales sont toujours un sujet tabou, car on ne peut pas dévoiler son potentiel à l’ennemi. Mais je dirais que le commando Hubert contient entre 150 et 200 hommes, mais seulement la moitié de cet effectif est brevetée nageur de combat. Les autres interviennent en appui, en soutien, ou bien ont des spécialités qui ne nécessitent pas forcément le brevet d’un nageur de combat.

Quand ils sont en intervention, ils sont donc en tout petit groupe, de deux ou trois ?

En effet, la base est même le binôme, puis l’équipe et enfin le groupe. En fonction de l’opération, ils sont 2, 6, 10, 12 en général, mais toujours en binôme. D’ailleurs, lorsqu’ils évoluent dans le milieu subaquatique, ils palment avec leur fameux appareil à circuit fermé, recycleur de gaz à l’oxygène pur, pour ne pas faire de bulles en surface, et donc pour être le plus discret possible. Ils sont reliés par une sangle de vie de 2 à 3 mètres. C’est à la fois un symbole de solidarité et de fraternité, mais c’est également une mesure de sécurité. On ne laisse pas tomber un camarade.

Vous évoquez la question de l’oxygénisation. Il y a les qualités humaines, l’entraînement rigoureux, mais aussi les moyens techniques. Un nageur de combat a évidemment besoin d’oxygène. On suppose donc qu’ils ont des vêtements uniques, des moyens qui leur permettent de se repérer entre eux et d’agir sans être repérés. Cela suppose des matériaux assez sophistiqués et assez novateurs.

En effet, cela fait partie d’ailleurs de la formation. Le palmage à 6 mètres de profondeur, c’est 6 mètres. En dessous, l’oxygène pur devient toxique et peut entraîner des étourdissements ou des accidents divers. De plus, il faut palmer à vitesse constante, 35 mètres par minute, et deux par deux. Il faut mémoriser le parcours, via des capteurs. Le leader dispose d’une planchette de navigation avec une boussole et un profondimètre. Son binôme, lui, se charge du chronomètre. Il évalue ainsi la distance, car il faut s’imaginer que la plupart de ces opérations se font non seulement en profondeur, mais aussi de nuit. Il faut donc mémoriser tous ces capteurs, il faut savoir où l’on est à l’instant T. Ils sont entraînés pour palmer 3, 4, 5 heures, puisqu’ils peuvent être déposés à 6 kilomètres du littoral.

Il y a plusieurs vecteurs, comme les tracteurs sous-marins. Ils sont alors deux. Ce sont des tracteurs magnétiques non détectables par des sonars. Le propulseur sous-marin a plus de contenance et plus de rayons d’action, lui peut transporter une équipe et plus seulement un binôme. Il peut aller à des profondeurs plus importantes et déposer les nageurs à quelques kilomètres d’une côte. Il revient les chercher après leur mission, puis les ramène aujourd’hui dans le dernier sous-marin nucléaire d’attaque français de classe Suffren, le fameux propulseur sous-marin de troisième génération. Les nageurs de combat embarquent donc avec les sous-mariniers et peuvent être déposés au large des côtes.

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Justement, c’est la photo que vous avez choisie pour la couverture de votre ouvrage. Il y a un très beau travail dans le format et les photos présentées. Sur la couverture, on voit deux nageurs en train de palmer avec un petit appareil devant eux. C’est donc la charge de navigation. On voit également les tubes dans lesquels ils respirent. Le CO2 qu’ils rejettent est capté par un filtre, puis recyclé en oxygène.

En effet, et c’est comme cela qu’ils peuvent tenir 5 ou 6 heures. Cela nécessite non seulement un entraînement, mais aussi une physionomie particulière. Certains organismes ne peuvent pas supporter ce type de fonctionnement à l’oxygène pur.

C’est l’objet de la formation, qui permet de détecter ceux qui pourront le faire, et ceux qui ne le pourront pas.

Cela peut créer des nausées ou des évanouissements ?

Exactement, et aussi des pertes de repères spatio-temporels. Dans ce cas, c’est la noyade assurée. Il faut donc absolument maîtriser le fonctionnement de cet appareil, le FROGS. C’est un acronyme anglais, qui signifie le Full Range Oxygen Gas System. C’est vraiment le point essentiel de la formation. Tout le reste vient après. Mais une fois qu’ils savent évoluer avec cet appareil, une fois qu’ils maîtrisent l’oxygène pur, ils passent alors à une formation beaucoup plus technique, tactique et militaire.

Ces marins sont sortis de l’anonymat, lorsque ces deux hommes du commando Hubert sont décédés en opération en Afrique, pour libérer des otages français. Cela a donné lieu à une cérémonie très émouvante dans la cour des Invalides. Une occasion pour beaucoup de Français de découvrir l’existence de ce commando Hubert et de son action. C’était une opération terrestre, et non l’action de nageurs de combat.

Et c’est d’ailleurs un peu paradoxal. Quand on entend que deux nageurs de combat sont morts en plein Sahel, on se demande ce qu’ils y faisaient. Même si l’ADN du nageur est subaquatique, il est susceptible d’agir dans les trois dimensions : la terre, la mer et l’air. Il a aussi cette formation de chutes opérationnelles, avec la maîtrise du saut à très haute altitude. Sur la terre, il bénéficie de la formation des commandos classiques.

Il se trouve qu’il s’agissait ici de deux nageurs de combat. Mais cela aurait pu être deux hommes du 1er RPIMa. Les hommes sont choisis en fonction de l’objectif qui leur est assigné, et de la disponibilité des forces en présence. Ici, c’était une opération dite de contre-terrorisme et libération d’otages.

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Les marins du Commando HUBERT portent les cercueils lors de la cérémonie d’hommage national aux premiers maîtres Cédric de PIERREPONT et Alain BERTONCELLO. Cour des Invalides, Paris le 14 mai 2019. ©Johann Peschel/Marine Nationale/Défense

Ces deux nageurs de combat ont été tués en 2019 au Burkina Faso. Mais a-t-on également des éléments sur leur utilisation en cas de conflit avec un État, comme la Russie ou la Chine par exemple ? Leur rôle peut être utile, notamment pour intervenir dans des ports et saboter des bateaux. Mais sont-ce des choses pensées dans les plans de projection de l’armée ?

C’est une question qui s’est posée avec le retour de la guerre conventionnelle. Évidemment, lorsque l’on constate que l’artillerie est prioritaire dans le conflit russo-ukrainien, on ne voit guère l’intérêt des nageurs de combat. Mais cela ne change rien à leur mission, qui est de s’infiltrer derrière les lignes ennemies. Simplement, les vecteurs sont sans doute un peu différents aujourd’hui, puisque la technologie a évolué. Il faut prendre en compte l’usage des drones, l’allongement des distances. Il est donc plus difficile et plus long, sans doute, de se rendre derrière les lignes ennemies, mais c’est toujours utile, pour le recueil du renseignement, pour saboter le dispositif adverse. Cela peut être un bâtiment, un port, un officier particulièrement ciblé.

Peut-il y avoir des coopérations avec d’autres commandos étrangers ?

Il y a des entraînements communs et des échanges, comme avec les SEALs, qui sont les nageurs de combat de l’US Army, ou les SBS britanniques (Special boat service), ou bien la Decima MAS, les nageurs de combat italiens basés à La Spezia.

Ces nations sont toutes membres de l’OTAN, ces nageurs de combat peuvent donc être amenés à travailler ensemble ou à intervenir les uns pour les autres. Si un bâtiment français est au large de la Nouvelle-Calédonie et que survient un incident avec la marine chinoise, nos alliés peuvent intervenir.

Comment devient-on nageur de combat ?

La sélection est rude. Mais ce n’est pas un recrutement direct. Les candidats sont déjà dans l’armée, puis passent un concours breveté.  Il faut d’abord être marin, puis faire l’école des fusiliers marins de préférence. Ceux qui se présentent au stage commando sont majoritairement des fusiliers marins.

Il y a deux stages commando par an. Le fameux STAC d’abord est aussi rustique que celui qu’avaient subi les anciens en Écosse. Ce sont des parcours assez difficiles, sans sécurité. On dort peu, on ne se lave pas. L’épreuve de la cuve est coriace, c’est une plongée en apnée en plein hiver. Cela dure 3 mois. Sur 100 candidats, seuls 15 deviennent opérateurs commandos.

Il faut avoir passé 4, 5, 6 ans au sein de l’un des commandos de Lorient, puis 4 ou 5 ans avec deux ou trois opérations extérieures à son actif, être chef d’équipe. Puis de nouveau, retour dans le stage commando pour obtenir le niveau de chef d’équipe, et pour postuler au Cours Nageur de combat. Ce Cours se fait une fois par an, et dure 7 mois, de novembre à juillet.

Environ deux douzaines de candidats se présentent chaque année. Seulement une douzaine est brevetée. La moitié vient de l’armée de terre, et l’autre de la marine. Ce qui signifie que, chaque année, seuls 6 brevets nageurs de combat sont décernés.

Ainsi, le filtrage est drastique, entre les 100 premiers du début, et les 6 de l’arrivée. Le Cours Nageur est à Saint-Mandrier, tandis que les autres commandos marine sont basés à Lorient, en Bretagne. L’âge moyen du candidat est de 27 ans, et celui de l’opérateur du commando Hubert, donc du nageur de combat, est de 33 ans. Le chemin est donc long pour y arriver. C’est le Graal des commandos marine.

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Ce sont donc des gens qui ont déjà au moins une dizaine d’années de présence militaire et d’opérations.

Exactement, on ne s’engage pas dans l’armée en visant tout de suite le nageur de combat. On peut en rêver, mais il faut d’abord passer 7 ou 8 ans au sein des commandos marine avant d’y prétendre. Il y a des tests de présélection, d’aptitudes physiques. Avant de se présenter, il faut aussi travailler le palmage en piscine.

La force mentale joue beaucoup, peut-être autant que le physique ?

En effet, les nageurs de combat sont souvent comparés à des surhommes. Mais eux n’aiment pas cette comparaison, car ce n’est pas le cas. En revanche, ils sont particulièrement équilibrés. Ce sont des esprits sains dans un corps sain, la tête et les jambes. Physiquement, c’est herculéen. Mais mentalement, c’est encore pire : être largué en pleine nuit et en pleine mer avec une arme au préalable marinisée pour pouvoir résister au sel, puis servir en surface lorsqu’ils émergent, requiert une certaine force. Deux hommes, dans la nuit et le froid, qui vont aller combattre ou mener une mission de combat, puis la réussir sans se faire repérer, cela demande de grandes capacités mentales et morales. Il faut avoir une très grande confiance en son binôme, c’est aussi un travail d’équipe.

C’est donc pour cela qu’ils travaillent toujours avec le même binôme. Ils se connaissent par cœur, peut-être plus que leurs épouses. Leur comportement finit par relever du réflexe. Il faut s’épauler. Il ne faut surtout pas qu’il y ait un millième de seconde de doute dans l’exécution d’une mission précise.

Et comment revient-on ensuite à la vie « normale », civile ? Cela ne doit pas être évident quand on fait partie des meilleurs commandos du monde, et que l’on revient de telles opérations. De plus, ils sont tenus au secret.

Les quelques anciens de la DGSE qui ont publié des ouvrages disent parfois que cela peut crisser dans les armées. Mais là, pas du tout. Le poids du secret est à porter, on ne peut en parler ni à son épouse ni à ses enfants. Les familles ne savent jamais où ils sont lorsqu’ils partent en mission. C’est quelque chose qu’il faut accepter. Le rôle des épouses est fondamental, car elles sont un soutien.

C’est effectivement un poids très lourd à porter. Ce qui me frappe, c’est leur humilité. Ils ne sont pas du tout astreints à la discipline militaire classique, on leur laisse une grande autonomie. À Saint-Mandrier, ils ont des uniformes dépareillés, chacun choisit son treillis, son fusil, la marque qu’il souhaite, française, allemande ou autre. Ils font partie de l’élite, ils ont été durement sélectionnés et formés, ils savent ce qu’ils font.

Et effectivement, ce qui doit être difficile lorsque l’on revient d’une mission périlleuse ou même homicide, c’est de faire comme si tout allait bien.

Et c’est pour cela qu’il faut être particulièrement équilibré. On a évoqué les tests d’aptitudes physiques, mais ils subissent aussi des tests d’aptitudes psychotechniques et psychologiques. Les nageurs de combat ne sont pas des tueurs. S’ils doivent tuer, c’est uniquement en dernier recours, ou parce qu’ils en ont reçu l’ordre de très haut.

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Revenons aux très belles photos réalisées par le co-auteur de l’ouvrage, Ewan Lebourdais. Comment a-t-il opéré pour les réaliser ? Il a pu les suivre dans leurs entraînements. Il y a beaucoup de photos maritimes, sous l’eau, ce qui suppose un matériel spécifique.

Ewan Lebourdais fait partie de cette corporation que l’on appelle les Peintres officiels de la marine. C’est un titre décerné par le ministère de la Défense. Le terme date du XIXe siècle. Les peintres officiels de la marine étaient à l’époque des peintres embarqués sur des bâtiments, et qui illustraient la vie des marins. Puis peu à peu, le terme s’est étendu à d’autres spécialistes, comme les sculpteurs, les vidéastes, les cinéastes, et enfin les photographes. Ils ne font donc pas partie de la marine, ils ont un uniforme, un grade, ils sont accrédités pour embarquer n’importe quand sur un bâtiment.

Cet ouvrage ne s’est pas fait en une seule fois. Nous sommes allés plusieurs fois à Lorient et à Saint-Mandrier. Ewan Lebourdais y est retourné, pour les photos de parachutage par exemple, sur terre et en haute mer. Sa particularité et sa grande force sont qu’il est plongeur aguerri. Les hommes du commando Hubert étaient d’ailleurs impressionnés. Son équipement est marinisé, il possède une sorte de bras articulé avec des flashs. Il a même plongé à côté d’un sous-marin.

Il a eu la chance d’avoir un éditeur qui l’a soutenu, car ce genre d’ouvrage coûte très cher à la production. Plus le papier est de bonne qualité, plus les photos sont belles, plus les coûts d’impression sont élevés.

Vous avez inséré des photos de 2021. Cela fait donc plusieurs années que vous travaillez sur ce livre ?

Cela a pris du temps, en effet. Ils sont très peu disponibles et très sollicités en opération, nous ne l’avons donc pas fait en une seule fois. Il fallait que leur agenda coïncide avec le nôtre, que les autorités soient prévenues, donnent leurs visages. Il y a d’ailleurs des floutés. C’est tout le talent d’Ewan Lebourdais d’avoir pu montrer ces hommes sans leur visage.

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Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.

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