<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les biotechnologies, le futur du médicament et de la santé ? 

5 juillet 2021

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Les biotechnologies, le futur du médicament et de la santé ? 

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Entretien avec Vincent Diebolt, directeur de F-CRIN (French Clinical Research Infrastructure Network), composante française d’ECRIN, une infrastructure européenne soutenant la réalisation d’essais cliniques multinationaux.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé

Les nombreuses innovations techniques modifient la façon de soigner et l’usage même des médicaments. Comment s’articulent aujourd’hui les rapports entre la médecine et l’innovation ? 

La médecine aujourd’hui peut compter non seulement sur une extension de la panoplie diagnostique et thérapeutique avec de nouveaux produits de santé mais aussi sur leur couplage ou leur agencement pour renforcer leur efficacité respective. Le médicament est devenu un produit parmi d’autres. Prenons le cas des endoprothèses ou stents, dispositifs médicaux utilisés pour traiter les sténoses artérielles coronariennes. Ils sont dits « actifs » ou « enrobés » lorsqu’ils sont recouverts d’une molécule qui va ralentir et améliorer la cicatrisation de l’artère afin d’éviter une prolifération qui entraînerait à nouveau un rétrécissement. Le traitement anti-agrégant est lui considéré comme un médicament. C’est un premier exemple de porosité entre les produits de santé. 

Je gère une infrastructure nationale dans le secteur de la recherche clinique portée par l’Inserm. Il s’agit d’une organisation d’envergure nationale, transverse, car elle associe les principaux opérateurs de recherche publics et privés, labélisée dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA), une initiative lancée en 2010 par Nicolas Sarkozy et poursuivie par ses successeurs. Le PIA vise à soutenir des secteurs et des projets porteurs d’innovation et de croissance économique. J’ai une seconde casquette en tant qu’associé d’une start-up/medtech créée en 2018, dans l’assistance respiratoire. Cela est conforme à ma vision de l’innovation en santé qui est le fruit de collaboration de la recherche publique, académique et privée, une collaboration nécessaire pour améliorer la santé de nos concitoyens.  

Au-delà de l’usage technique, un autre aspect nouveau pour le médicament est sa prise en compte comme le maillon d’une prise en charge globale du patient, au travers de son parcours de soins. On a pris en compte le fait que le traitement et la guérison d’un patient se conçoit sur la durée et non pas comme la succession d’épisodes isolés (prévention, séjour hospitalier, soins de suite…). Plutôt que d’additionner le coût du médicament, du séjour, du médecin, etc., la logique est de  travailler de manière globale sur l’ensemble du parcours avec un financement correspondant, le médicament étant un élément parmi d’autres. 

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Aujourd’hui, comment est organisée la recherche dans le médicament en France entre les laboratoires pharmaceutiques, les CHU et les autres, les cliniques privées ? Y en a-t-il un où la recherche est plus développée ? Ou bien y a-t-il un lien entre les trois et/ou des rivalités ? 

L’organisation de la recherche sur le médicament en France se caractérise par le grand nombre de ses intervenants, opérateurs ou parties prenantes. Richesse et complexité à la fois. Nous réfléchissons actuellement avec Business France au lancement d’une campagne de promotion de la recherche clinique française à l’international, cette étape de la R&D qui mobilise plus de 50 % des coûts de développement d’un médicament. La tâche est ardue compte tenu de sa complexité lorsqu’il s’agit de présenter l’organisation de cette recherche dans notre pays. La plupart des grands organismes publics de recherche (Inserm bien sûr, mais aussi CNRS, INRAE, CEA), le monde hospitalier public (les 32 CHU mais également beaucoup de centres hospitaliers non universitaires, celui du Mans par exemple), des cliniques privées (Ramsay Santé qui représente 130 établissements privés en France a une direction de la recherche depuis 2013) qui font aussi de la recherche et du développement, les Big Pharma qui s’appuient beaucoup sur les start-up et aussi les universités. Il y a donc une immense diversité et donc complexité du domaine, avec une certaine scission et division des tâches. 

La recherche est un continuum avec des maillons successifs, chacun étant nécessaire à l’aboutissement du processus de développement. Or, et cela est propre à la France (à la différence des pays anglo-saxons), il existe des blocages psychologiques qui nuisent à la fluidité de ce processus. Je pense en particulier aux liens empreints de méfiance entretenus par le secteur public avec les opérateurs privés. Les craintes de liens et de conflits d’intérêt, de collusion, de favoritisme ne sont pas des facteurs favorables à l’instauration d’un esprit collaboratif.

Avant d’exercer à l’infrastructure F-CRIN, je dirigeais le CeNGEPS (Centre national de gestion des essais de produits de santé), un groupement d’intérêts publics associant les industriels du médicament (Leem) et les opérateurs publics, hospitaliers en particulier. Dans un contexte d’intense compétition internationale, il s’agissait de renforcer l’attractivité de la France en matière d’essais cliniques en réduisant leurs délais de mise en place et de réalisation. Le facteur temps est un élément essentiel pour les détenteurs de brevets protégeant une innovation. En vingt ans, durée d’un brevet, ils doivent mener à bien tout le processus de R&D permettant de valider l’intérêt thérapeutique d’un médicament, de définir ses conditions d’utilisation, les éventuels effets secondaires, puis d’obtenir l’ensemble des autorisations réglementaires avant, enfin, de pouvoir lancer sa commercialisation et d’avoir un retour sur investissement. Pour la première fois, le CeNGEPS, qui était doté de ressources provenant d’une taxe payée par les industriels du médicament, a permis de valoriser auprès des hôpitaux, là où sont les patients éligibles dans les essais cliniques, l’importance de la recherche industrielle. Les hôpitaux s’intéressait peu jusqu’alors à la recherche industrielle. 

Les choses évoluent lentement mais de manière positive. J’en veux pour preuve la mise en place, à la suite du Conseil stratégique de filières industries et technologies de santé (CSIS) 2016, du dispositif dit de « convention unique hospitalière ». Ce dispositif doit permettre de raccourcir le délai de contractualisation entre les établissements de santé et les promoteurs industriels. Le contrat est unique dans les établissements de santé, car il associe le promoteur industriel, l’établissement et l’investigateur. Auparavant, il fallait négocier avec chaque hôpital associé à un essai clinique (leur mobilisation étant nécessaire pour atteindre le nombre significatif et statistiquement nécessaire de patients à inclure).

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Comment évaluez-vous la position française par rapport à ses concurrents américains, européens ou asiatiques en termes de recherche ? 

Il y a deux éléments de réponse. D’abord, une réponse globale. Jusque dans les années 1990, la France était le premier pays en termes d’industrie de santé au niveau européen, en termes de production. Aujourd’hui, elle a rétrogradé au 4e rang. 

En parallèle, on peut affiner en distinguant les secteurs et les spécialités. Certes la recherche française est en échec, pour le moment, mais avec le déploiement fin 2020 de Covireivac, plateforme nationale d’évaluation de candidats vaccins, on a réussi à fédérer les forces d’expertise et d’investigation françaises et à créer une base de plus de 50 000 volontaires prêts à entrer dans des essais cliniques. C’est sans équivalent en Europe, ce qui a donné l’idée d’une reproduction du modèle à l’échelle de l’Europe avec le projet Vaccelerate.

Je refuse de tomber dans le french bashing, à savoir le dénigrement systématique ne pointant que nos faiblesses et la perte de compétitivité. Parlons de nos atouts.

En termes de vaccins, Sanofi, notre « champion » national n’a pas dit son dernier mot. La start-up nantaise Valneva devrait commercialiser à l’automne son propre vaccin contre le coronavirus. Dans le domaine du cancer, nous disposons de clusters de pointe de développement et d’innovations (dans le bassin lyonnais, autour de l’institut Gustave-Roussy, du centre Léon-Bérard). L’Institut de la vision contigu de l’hôpital des Quinze-Vingts est un centre aujourd’hui de renommée mondiale. La France est le leader européen en nombre d’entreprises innovantes en santé avec 800 medtechs, 700 biotechs et 200 e-santé qui travaillent sur le développement de 1 000 produits de biotechnologies.

Alors qu’on pouvait s’attendre en 2020 à ce que le nombre de brevets déposés par la France stagne ou diminue, on s’aperçoit qu’il a augmenté de 3,1 % par rapport à 2019 et on est passé à 10 519 brevets. C’est une augmentation significative, et la France se positionne au 2e rang au niveau européen, loin derrière l’Allemagne qui a 25 000 brevets par an, un chiffre en baisse sur les deux années.

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Dans le domaine pharmaceutique, on a énormément de start-up, PME ou grosses PME avec aussi un réseau d’industries ou d’usines très localisé dans des petites villes ou villages. C’est donc une industrie éclatée. 

La production de produits pharmaceutiques avec plus de 270 sites en France est très éclatée. Le groupe Pierre Fabre, 2e laboratoire dermo-cosmétique mondial et 2e groupe pharmaceutique privé français, comptait en 2018 sur un effectif de 11 000 salariés dans le monde, 4 000 salariés en Occitanie et 2 600 dans le Tarn. On dispose malgré tout de nos « silicon valley ». 

Mais cet outil de production est vieillissant, car fondé sur un modèle en cours d’obsolescence, celui de l’ère chimique. Aujourd’hui 85 % des capacités de fabrication relève de l’industrie chimique, alors que le présent de l’innovation appartient aux médicaments biologiques. 

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Vous évoquez le passage de la chimie à la biotechnologie, en quoi cela consiste-t-il ?

Le modèle traditionnel de fabrication d’un médicament classique est composé de substances actives d’origine chimique fabriquées via des processus industriels. Un médicament biologique, lui, est composé d’une substance active produite à partir d’une source d’origine biologique, c’est-à-dire des organismes vivants, tels que des cellules ou des tissus vivants. 

Par ailleurs, les domaines de l’immunologie permettent de développer des défenses ou bien de réduire des maladies auto-immunes, c’est-à-dire qu’il y a possibilité d’agir directement sur le corps humain. Cela veut dire qu’on a été amené à introduire de nouveaux types d’intervention ou de médicaments qui corrigent des dysfonctionnements ou renforcent les capacités de défense d’un organisme. Le processus d’administration du médicament a beaucoup évolué. On est passé de la méthode du blockbuster (prescrit pour tous) à des processus beaucoup plus personnalisés, car fonction de biomarqueurs qui varient selon les individus. D’où le fait qu’on parle de médecine personnalisée, avec des médicaments de niche qui ne sont plus forcément diffusables à l’intégralité des patients. 

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Cela coûtera donc beaucoup plus cher ? Comment le patient pourra-t-il financer ce type de médecine ? 

Le financement de l’innovation est une question clé qui hypothèque la poursuite du progrès médical, sa prise en charge par l’assurance maladie et donc sa capacité à bénéficier à tous. 

Laissez-moi vous donner l’exemple du , médicament du laboratoire Gilead permettant la guérison de 90 % des patients atteints de l’hépatite C et dont le prix a été négocié à son arrivée en France en 2014 à 41 000 euros pour un traitement de douze semaines par patient. Un montant qui certes a été renégocié en 2017 à 28 700 euros par patient sous la pression de l’arrivée de produits concurrents qui venaient d’arriver mais qui reste exorbitant.

Cet exemple est amené à se multiplier sous un double effet :

  • Celui des progrès de la médecine en immunologie, en thérapie génique (les avancées récentes dans le traitement de la drépanocytose et de la bêta-thalassémie vont coûter cher)
  • Le développement de la médecine personnalisée (les nouvelles avancées de la science vont profiter à un petit nombre de patients, ce qui va réduire la capacité d’amortir le coût d’investissement et de R&D) 

Certes ces traitements permettent de réduire le coût de la maladie sur la durée (moins de coûts d’hospitalisation) mais les économies réalisées sont difficilement récupérables compte tenu du cloisonnement de l’organisation de notre système de santé, de son mode de financement et de son inélasticité.  

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Cela ne risque-t-il pas de poser des difficultés du point de vue de la formation des médecins généralistes ? 

La crise sanitaire a rappelé, s’il en était besoin, le rôle important des médecins généralistes qui se trouve en première ligne à la fois pour identifier et traiter les patients. Beaucoup dépendent d’eux dans la prise en charge et l’évolution d’une maladie et également, en crise sanitaire, pour participer à sa surveillance, voire aux campagnes vaccinales, à leur suivi, à l’évaluation en pharmacovigilance de leur éventuels effets secondaires. 

Sur les 226 000 médecins en activité au 1er janvier 2018, 102 000 étaient diplômés de médecine générale dont un peu plus de 50 000 exercent en ambulatoire. 

Il est certain qu’avec l’accélération des innovations médicales, la formation continue est un élément essentiel de maintien des compétences. Cette formation continue emprunte deux voies :

  • L’information dispensée par les laboratoires pharmaceutiques est aujourd’hui très encadrée (décret du 15 juin 2020 relatif aux avantages offerts par les personnes fabriquant ou commercialisant des produits ou des prestations de santé) mais reste importante. Le financement d’actions de formation professionnelle est d’ailleurs l’une des dérogations prévues à l’interdiction d’avantages accordés aux professionnels de santé par les industries de santé.
  • Mis en place en 1983, le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) a activement œuvré pour que la médecine générale soit authentifiée comme une discipline scientifique et reconnue comme une filière universitaire C’est chose faite depuis 2004. Le CNGE représente les 35 collèges régionaux, liés aux facultés de médecine françaises qui fédèrent plus de 11 000 maîtres de stage et tous les universitaires de la discipline. 

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Dans un article publié dans Les Échos en 2019, vous évoquiez le fait que l’intelligence artificielle va permettre de tester certains médicaments sans que l’on fasse appel à des êtres humains. Cela est quelque chose qui est déjà en place ou seulement en projet ? 

Je préfère utiliser l’expression « intelligence augmentée » plutôt qu’« artificielle ». Il ne s’agit pas de dédoubler ou d’externaliser la capacité de réfléchir et de déduction mais plutôt d’accélérer et de fiabiliser le processus de pensée qui reste maîtrisé et objectivé par l’homme. En recherche pharmaceutique, on y est déjà avec l’intégration de ce que l’on appelle les essais in silico qui constituent un nouveau bras virtuel, une étape numérique d’investigation, fondée sur la modélisation du métabolisme de l’organisme humain via des lignes de code, réagissant comme des organismes vivants à l’absorption d’un médicament. Cette première phase de test permet d’éliminer les voies sans perspective et de limiter les développements. Très utile lorsque l’on sait qu’en cancérologie, seuls 5 % des molécules testées parviennent au bout des phases d’évaluation clinique sur l’homme et deviennent des médicaments. 

Cette fonction de test numérique est déjà proposée par plusieurs sociétés dont par exemple Novadiscovery, une société lyonnaise. Les perspectives d’économies de temps et d’argent sont importantes. À sa nomination en 2018, Vasant Narasimhan, directeur général du laboratoire Novartis, annonçait que 10 à 25 % du coût de ces essais cliniques pourraient être économisés si le numérique était utilisé de façon optimale. 

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En termes d’intelligence artificielle, il y aussi les prévisions de maladie. Ce sont des choses en cours de développement, cet aspect préventif et prévisionnel ? 

On est entré aujourd’hui dans la médecine des quatre P : préventive, participative, personnalisée et prédictive. La numérisation de la médecine avec la disponibilité de données médicales en masse et leur traitement accéléré de données médicales en masse vont permettre d’avancer dans le profilage des patients, de définir des prédispositions, des schémas d’évolution de leur maladie et des parcours de suivi et de prise en charge. 

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

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