À la veille de l’ouverture des Jeux olympiques à Paris, plusieurs actes de sabotage ont visé le réseau ferroviaire français, perturbant la circulation de lignes TGV reliant Paris à d’autres régions. Bien que largement passé sous silence, cet événement soulève des questions essentielles sur la sécurité des infrastructures en France. Daniel Dory, géographe et spécialiste des questions de terrorisme, partage ici son analyse.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé
J.-B. N. : Ces attaques ont eu lieu le 26 juillet, à la veille de l’ouverture des JO. Que représente ce choix de date ?
D. D. : Ce n’est certainement pas un hasard. La veille des JO, la France est sous l’œil du monde entier et les transports sont intensément sollicités, particulièrement avec les départs en vacances. La date maximise donc l’effet des attaques, qui touchent un grand nombre de voyageurs dans un moment de visibilité internationale. En perturbant le trafic à ce moment précis, les saboteurs visent clairement à avoir un impact amplifié, touchant des infrastructures qui symbolisent la modernité et l’interconnexion du pays à l’international.
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J.-B. N. : Les cibles semblent extrêmement précises. Comment expliquez-vous ce choix ?
D. D. : Ce type de sabotage est en effet très ciblé. Contrairement à des attaques plus visibles, comme celles contre les rails ou les caténaires, ici ce sont des postes de transmission spécifiques, des points clés du réseau ferroviaire, qui ont été visés. Cela montre une connaissance approfondie de l’infrastructure de la SNCF, ce qui implique une expertise technique et peut-être un accès à des informations interne. Cibler ces postes, ou « synapses » du réseau nécessite une compréhension précise de ce qui perturberait le plus le système. Seuls des individus ayant une connexion avec l’entreprise ou un accès à des informations stratégiques peuvent obtenir ce niveau de précision.
J.-B. N. : Est-ce que cette attaque s’inscrit dans une tradition de sabotage ferroviaire en France ?
D. D. : Oui, il existe une continuité historique. Depuis la fin du XIXe siècle, les chemins de fer sont une cible de choix pour divers groupes contestataires en raison de leur importance stratégique et de leur centralité. Les premiers groupes terroristes en Russie s’attaquaient déjà aux voies ferrées. En France, nous avons connu l’affaire de Tarnac dans les années 2000, où des groupes avaient saboté des lignes ferroviaires. Ce sont des infrastructures clés dans le fonctionnement du pays et dans le quotidien des citoyens. C’est cette importance centrale qui attire des actes de sabotage depuis longtemps, car frapper le rail est aussi un moyen d’ébranler le système.
J.-B. N. : Il y a aussi eu une revendication de ces actes. Comment la décririez-vous ?
D. D. : La revendication a été relayée par le site Reporterre, qui diffuse souvent des positions écologiques contestataires. Mais elle est étonnamment simple et floue dans son argumentaire. Les saboteurs évoquent plusieurs causes, comme l’écologie, le rejet des JO ou encore la critique de la société moderne, mais rien de structuré. Ce contraste entre la complexité technique des actes et la faiblesse idéologique du message est frappant : cela laisse penser que cette mouvance n’a pas de vision politique très claire.
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J.-B. N. : Les conséquences sur le réseau ferroviaire ont-elles été importantes ?
D. D. : Oui, car trois des quatre principales lignes TGV autour de Paris ont été impactées, et une tentative a été déjouée. L’attaque aurait pu isoler la capitale, car le réseau ferroviaire français est conçu en étoile, avec Paris en son centre. En perturbant plusieurs axes, les saboteurs ont montré à quel point ce modèle centralisé peut être vulnérable. À la différence de l’Allemagne, par exemple, qui possède un réseau en quadrillage plus difficile à bloquer, la France, avec son organisation centralisée, est plus facilement paralysée en cas d’attaque coordonnée sur quelques points stratégiques.
J.-B. N. : En parallèle, des attaques contre des réseaux de fibre optique ont été signalées dans certaines régions. Est-ce que ces événements sont liés ?
D. D. : Il est très probable qu’ils le soient. Ces sabotages, qui ont touché plusieurs zones comme la vallée du Rhône et certaines régions du Nord, ont visé des infrastructures de communication essentielles. Là encore, on remarque une organisation similaire : les points visés ne sont pas visibles pour le grand public, et les attaquants devaient avoir des connaissances spécifiques pour les repérer. On a donc affaire à des gens qui cherchent à perturber deux systèmes vitaux : le transport ferroviaire et les télécommunications, avec des actions qui demandent de la coordination et de la technicité.
J.-B. N. : Est-ce un tournant dans la manière dont on perçoit le sabotage ou même le terrorisme en France ?
D. D. : Oui, nous assistons à une évolution dans la forme et les méthodes du sabotage. Nous ne sommes plus face à des organisations hiérarchiques classiques, mais à de petites cellules autonomes, qui fonctionnent en réseau, sans chef central. Ce modèle de « résistance sans leader » est difficile à anticiper et à déjouer, car il repose sur des liens fluides entre différentes unités qui partagent un but commun, mais opèrent de manière indépendante.
J.-B. N. : Il est surprenant de voir si peu d’informations disponibles sur l’enquête en cours. Comment interprétez-vous ce silence ?
D. D. : Ce silence peut être stratégique, pour éviter de donner une publicité à ces actions, mais cela peut aussi signifier que les autorités rencontrent des difficultés à identifier ces groupes. Avec des attaques aussi bien coordonnées et une structure en réseau décentralisé, les moyens habituels de traçage et de démantèlement se révèlent insuffisants. C’est un vrai défi pour les forces de sécurité, qui doivent s’adapter à cette nouvelle forme de menace.