Service minimum, côté français, pour les 10 ans des traités de Lancaster House. Un tweet d’Emmanuel Macron et c’est tout. Pas question de célébrer avec faste, en plein Brexit, cette alliance stratégique franco-britannique. Ni de risquer de contrarier nos amis allemands. Elle est pourtant fondamentale.
Le 2 novembre 2010, le Premier ministre britannique David Cameron et le président français Nicolas Sarkozy signaient les traités de Lancaster House (également appelés traités de Londres). Deux textes purement bilatéraux, s’extrayant du carcan de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’Union européenne créée par le traité de Maastricht (1992) et amplifiée par le traité de Lisbonne (2007), virtuellement du moins, car il n’y a pas de politique étrangère de l’UE.
Des traités utiles pour la défense
La nouvelle Entente cordiale est d’une tout autre nature. De quoi s’agit-il ? De rien de moins que de l’instauration d’une coopération de défense franco-britannique approfondie, dans le cadre d’un vaste « partenariat à long terme », dans les domaines pour le moins sensibles de la dissuasion nucléaire et des missiles de souveraineté, ainsi que de la montée en puissance de la force conjointe interarmées. Un rapprochement qualifié, à juste titre, de « sans précédent », prévu pour durer un demi-siècle, et parfaitement respectueux de la souveraineté des deux États.
Or ces traités, qui n’auraient pu demeurer que des vœux pieux entre les deux principales puissances européennes si on les mesure à leur poids dans l’industrie de Défense (40% à eux deux), ont déjà, pour partie, des applications concrètes. Sur les treize domaines prévus, trois au moins ont connu des avancées.
Pour renforcer leur coopération dans la gestion des arsenaux nucléaires, Français et Britanniques ont prévu une installation commune à Valduc (Côte-d’Or), où sera « modélisée la performance des têtes nucléaires et des équipements associés, afin d’en assurer la viabilité, la sécurité et la sûreté à long terme ». Un Centre de développement technologique commun, situé à Aldermaston, dans le Berkshire, soutiendra ce projet.
La Force Expéditionnaire Commune Interarmées (CJEF), « adaptée à toute une série de scénarii, y compris des opérations de haute intensité », sera bientôt opérationnelle. Elle comprendra des composantes terrestre, maritime et aérienne, avec leurs états-majors associés, ainsi que la logistique et les fonctions de soutien. Il ne s’agira pas d’une force permanente, mais elle sera « disponible avec un préavis pour des opérations bilatérales » – et, si les États le jugent nécessaire, pour des opérations de l’OTAN, de l’Union européenne, des Nations Unies ou autres.
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Enfin, en matière de missiles, les deux pays se sont accordés pour « travailler à la mise en place d’un maître d’œuvre industriel européen unique » dans le cadre d’un « plan stratégique décennal » Concrètement, il s’agit de remplacer, à partir de 2025, les Exocet, Harpoon et Scalp/Storm Shadow, dont le rôle a été déterminant lors de récentes opérations extérieures, mais également les systèmes de missiles équipant les sous-marins nucléaires d’attaque.
Répétons-le : cet accord majeur, car relevant du régalien, est bilatéral. Cette coopération est égalitaire. Respectueuse de la souveraineté de chacune des deux nations. Et vitale, car elle permet à la France, comme au Royaume-Uni, de conserver, en conjuguant leurs efforts, leurs leviers de puissance : leur siège au conseil de sécurité, la conduite d’une diplomatie mondiale, leur dissuasion nucléaire, leurs politiques d’interventions militaires ciblées, la préservation de leurs domaines ultra-marins, bref, leur autonomie stratégique.
Au lieu d’apporter à ces traités le soutien politique public qui leur fait défaut – qui, dans l’opinion publique, sait qu’ils existent ? –, Emmanuel Macron n’a d’yeux que pour l’Allemagne – et pour l’UE, ce qui revient au même –, qui ne pèse dans le domaine de la Défense que ce que la France voudra bien lui concéder ou lui permettre d’obtenir, tel le siège au conseil de sécurité des Nations Unies qui est le véritable objectif, pour Berlin, de l’« amitié franco-allemande ».
« Les Français et les Anglais, avait dit Peter Ustinov, sont de si bons ennemis qu’ils ne peuvent s’empêcher d’être des amis. » Or l’amitié, c’est comme l’amour : il n’y a pas d’amitié, il n’y a que des preuves d’amitié. Le Royaume-Uni nous les donne, lui.