Le candidat républicain devance désormais sa rivale démocrate dans l’électorat arabo-musulman. Vu comme plus crédible que son adversaire pour apporter une paix durable au Proche-Orient, l’ex-président, pourtant très critique de l’islam ces dernières années, bénéficie d’une sorte de vote de vengeance contre une gauche jugée trop proche d’Israël. Dans les États clés, et en particulier dans le Michigan, ces quelques milliers de voix pourraient faire la différence.
Par Alexandre Mendel, depuis les États-Unis
Le sujet a disparu de la campagne de Donald Trump. Ou plutôt, disons-le : le candidat républicain n’en parle plus. Fini les tirades sur l’Europe devenue un foyer du terrorisme – sur « Bruxelles devenu un enfer » ou sur les attentats du Bataclan qui auraient pu être réglés « si quelqu’un avait été armé dans le public ». Ou sur le travel ban : cette mesure contestée qui empêchait la délivrance de visas aux ressortissants de certains pays musulmans considérés comme dangereux. Ça, c’était en 2016, quand la frange la plus complotiste des fans de Donald Trump croyait encore dur comme fer que Barack Obama était un musulman et au plus fort des attentats qui touchaient l’Europe, et en particulier la France. Le mot « islamisme » n’intéresse plus le candidat républicain qui, habilement, a su tirer parti de la désaffection des musulmans pour les démocrates quand Biden était encore leur candidat. Désormais, Trump drague ouvertement l’électorat musulman. Une première depuis 2008.
Et ce n’est évidemment pas sans arrière-pensée : c’est dans le Michigan, et notamment autour de Détroit, capitale d’une industrie automobile sinistrée, où vit la communauté musulmane la plus importante du pays, avec 250 000 fidèles, dans cet État clé que Trump avait remporté en 2016, puis perdu en 2020 et où Harris et lui sont au coude-à-coude dans les sondages…
Les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Fondamentalistes proches des Frères musulmans et Républicains évangéliques partisans du Grand Israël forment en ce moment un bien curieux attelage aux États-Unis. Les premiers veulent punir la gauche de Washington de son soutien à l’État hébreu, les seconds sont prêts à quelques concessions lexicales dans leur discours.
Qu’on en juge par l’accueil cordial que lui a réservé, le 18 octobre dernier, Amer Ghalib, maire de Hamtramck, dans le Michigan, seule ville à majorité musulmane des États-Unis et berceau de la marque Cadillac. L’homme d’origine yéménite, et qui a immigré en 1997 en Amérique, a marqué l’histoire en battant en 2023 l’ancienne maire de Hamtramck, Karen Majewski, mettant fin à une série de plus de 100 ans de maires polonais-américains. La ville de 28 000 habitants, enclave ouvrière dans Détroit, est devenue la première du pays à avoir un leadership élu entièrement musulman, les six sièges du conseil municipal ayant été remportés par des candidats de foi islamique. Soupçonné d’être en lien avec les Frères musulmans, Ghalib a adopté des positions qui peuvent être en accord avec la frange la plus conservatrice du Parti républicain. Deux mois après son arrivée au pouvoir, le maire a fait voter une résolution interdisant les drapeaux LGBTQ+ sur les immeubles appartenant à la Ville. Plus tard, il a refusé de condamner l’un des fonctionnaires de sa ville qui s’était demandé si « l’holocauste commis contre les Juifs n’avait pas été une punition anticipée de Dieu contre ce que les Israéliens étaient en train de faire à Gaza ». Enfin, le conseil municipal a voté une décision qui interdit tout investissement dans des entreprises israéliennes en lien « avec le génocide commis contre les Palestiniens ».
Tant pis ce personnage, excessif, ne colle pas à l’image de pro-Israélien que Trump a… Après tout, c’est lui, comme président, qui a déplacé l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, lui encore qui a reconnu la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan. Le vote juif, concentré dans des grandes agglomérations telles que New York et Los Angeles, est encore (à 65%) un vote démocrate, du moins chez les juifs laïcs. Ce ne sont pas eux qui feront l’élection.
Pouvoir basculer quelques milliers de voix en sa faveur dans des Swing States où existe une importante communauté musulmane, ça n’a pas de prix
Mais pouvoir basculer quelques milliers de voix en sa faveur dans des Swing States où existe une importante communauté musulmane, ça n’a pas de prix… Y compris celui d’organiser un petit rassemblement avec le maire controversé et antisémite de Hamtramck. Lors de cette réception, Trump a promis qu’il « obtiendrait la paix au Moyen-Orient » cependant que des soutiens du maire brandissaient des pancartes « la paix par la force », version trumpienne de la Pax Americana d’après-guerre. En 2020, les électeurs de Hamtramck et de Dearborn (une autre ville de la banlieue de Détroit en passe de devenir majoritairement musulmane, à en croire les statistiques ethniques et religieuses, légales aux États-Unis) avaient massivement soutenu Biden.
Après le déclenchement de la guerre contre le Hamas à Gaza, un certain nombre de responsables communautaires avaient appelé à boycotter l’élection. Harris n’a semble-t-il pas réussi à reconquérir ces déçus de l’administration américaine. Et surtout la guerre s’éternise. Or, on se souvient que Trump n’a pas engagé les États-Unis dans de nouvelles guerres et que, même s’il le fait rétroactivement, il s’est montré très critique sur les interventions américaines en Irak ou en Libye.
L’ancien président devance désormais Harris parmi les électeurs d’origine arabe, avec un score de 43% contre 41%. Un renversement inédit qui vient punir les démocrates, considérés comme trop faibles sur la question palestinienne.
D’après un sondage fait en septembre dernier par le Cair, soit le Conseil des relations américano-islamiques, sorte de CFCM américain, seulement 11% des 3,5 millions de musulmans en âge de voter choisiront Trump le 5 novembre prochain, contre 29% Kamala Harris mais surtout 29 % pour Jill Stein, la candidate du Parti vert qui a eu des positions très critiques sur l’État d’Israël. Il y a quelques jours seulement, Donald Trump réalisait une percée encore plus forte chzs les Américains d’origine arabe et musulmane. Selon un sondage réalisé par YouGov pour l’Arab News Research and Studies Unit, l’ancien président devance désormais Harris parmi les électeurs d’origine arabe, avec un score de 43% contre 41%. Un renversement inédit qui vient punir les démocrates, considérés comme trop faibles sur la question palestinienne. Les musulmans n’ont pas non plus digéré qu’aucun Palestinien ne soit intervenu à la convention démocrate.
Il y a ceux qui affichent des positions conservatrices, notamment sur la question du genre, tout à fait compatible avec les républicains. Ceux qui ne voteront jamais pour une femme. Mais il y a aussi ceux qui sont de petits commerçants, petits artisans, qui voient d’un bon œil ce président qui avait opéré, à son arrivée à la Maison-Blanche, la plus grande réforme fiscale entreprise depuis Reagan. Ce sont ceux qui peuplent Dearborn, siège de Ford, en banlieue de Détroit, ville qui compte la plus grande mosquée du pays, l’Islamic center of America, lieu cultuel chiite ouvert également aux sunnites, dans une cité qui compte surtout des immigrés libanais ou syriens.
Aujourd’hui, des fondamentalistes, proches des Frères musulmans, qui le haïssaient il y a huit ans, le célèbrent en meeting
Aujourd’hui, des fondamentalistes, proches des Frères musulmans, qui le haïssaient il y a huit ans, le célèbrent en meeting. L’imam Belal Alzuhairi, l’un des dirigeants qui est monté sur scène avec Trump, a exprimé son soutien à la position de l’ancien président en matière de politique étrangère. « En tant que musulmans, nous soutenons le président Trump parce qu’il promet la paix, pas la guerre ! », a déclaré Alzuhairi. Il a ensuite précisé : « Nous soutenons Donald Trump parce qu’il a promis de mettre fin à la guerre au Moyen-Orient et en Ukraine. L’effusion de sang doit cesser partout dans le monde, et je pense que cet homme peut y parvenir. Je crois personnellement que Dieu lui a sauvé la vie deux fois pour cette raison. » Trump, qui n’aime rien tant que d’être flatté par ceux qui l’ont détesté autrefois, (le choix de JD Vance comme colistier en est aussi l’un des signes de cette forme de narcissisme) goûte à ce moment lui qui, depuis des années, doit se défendre d’être xénophobe. Personne dans son entourage n’est assez naïf pour imaginer que celui qui fustigeait les députées Ilhan Omar et Rashida Tlaib est devenu le chantre de l’islamo-compatibilité. Trump n’abandonnera jamais Israël : il sait quels sont les intérêts de l’Amérique dans la région. Mais le républicain qui a promis une paix rapide et durable au Moyen-Orient devra composer avec ses nouveaux alliés à qui il pourrait devoir sa victoire en novembre.