<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le traité sur la haute mer, un accord historique qui reste à concrétiser

15 juillet 2023

Temps de lecture : 5 minutes

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Le traité sur la haute mer, un accord historique qui reste à concrétiser

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Le traité sur la haute mer, appelé BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction), adopté dans la soirée du 4 mars 2023, représente une avancée notable dans la sécurité des océans et une concrétisation du principe de biens communs mondiaux.

« Le navire a atteint le rivage » a déclaré la présidente de la conférence intergouvernementale, la Singapourienne Rena Lee. Le fait qu’il soit intervenu en pleine crise du multilatéralisme apparaît comme un fait prometteur. On est passé d’un système où la règle était l’exploitation des océans et sa préservation l’exception au principe inverse, a estimé l’ambassadeur français pour les pôles, Olivier Poivre d’Arvor. Le lendemain, les fondations philanthropiques Bloomberg, Bezos Arth Fund, The Blue Nature Alliance Oceans, entre autres, ont promis d’accorder 5 millions de $ à la protection de l’océan.

La haute mer couvre près de 50 % de la planète, 64 % des océans et représente 80 % de la biosphère

Les eaux internationales étaient jusqu’à présent régies par la Convention du droit de la mer de 1982 (Montego Bay), laquelle privilégiait la liberté de survol ou de pose de câbles marins. Cet encadrement général a été complété par des traités sectoriels sur la pêche, la navigation ou l’exploitation minière. Désormais, ce traité plus large permettra de créer des aires protégées, d’instaurer des études d’impact environnemental avant toute activité potentiellement néfaste, d’encadrer l’exploitation des ressources biologiques et d’organiser des transferts de technologie. Cependant, ce qui en montre tout de même les limites, ce traité sur la haute mer, ne s’applique ni au secteur militaire, ni à la grande pêche, ni à l’extraction des ressources minérales des fonds marins, question qui fait l’objet d’âpres discussions au sein de l’Autorité internationale des fonds marins. À la mi-mars, des discussions sur le code minier des mers se sont ouvertes à Kingston en Jamaïque, au siège de l’Autorité internationale des fonds marins, qui devront être clôturées à la fin juillet 2023.

C’est dans cette zone de la haute mer (espaces maritimes situés au-delà des ZEE [zones économiques exclusives]) des pays côtiers, c’est-à-dire au-delà des 200 milles marins (370 km), que circulent 90 % du trafic des marchandises et se réalise la pêche au large, dite hauturière. La protection de cette immensité a fait l’objet de discussions informelles puis officielles qui se sont étalées sur près de vingt ans. Initiées en effet dès 2004, elles ont été conduites à l’ONU à partir de 2018. Depuis les années 1970, les découvertes scientifiques ont révélé des écosystèmes exceptionnels dans les fonds océaniques : monts sous-marins, coraux d’eaux froides, sources hydrothermales, fosses abyssales, ainsi que toute une vie qui leur est associée. Dans ces environnements de plus de 1 000 m de profondeur et de 3 800 m de profondeur en moyenne, les micro-organismes supportent le froid, l’absence totale de lumière et des pressions maximales. Elles se sont adaptées à des conditions différentes de celles que l’on trouve sur la terre. La capacité de ces organismes à survivre ou à dégrader la matière organique pourrait être utilisée dans certains procédés industriels, comme dans l’agriculture ou le textile. Cette vie marine en haute mer est donc incroyablement riche, couvrant la chaîne alimentaire du phytoplancton aux oiseaux de mer, tortues et baleines. Or, pour le moment, les financements pour les sciences de la mer ne représentent en moyenne que 2 % des budgets nationaux de recherche. Bien d’autres applications sont espérées, cosmétiques ou médicales. Pour l’instant, l’accès à ces ressources vivantes reste très difficile et l’exploitation des fonds marins demeure balbutiante, même si la communauté scientifique reste persuadée que beaucoup de choses sont à découvrir. 

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Si les discussions ont été aussi interminables et laborieuses, c’est qu’en matière de bioprospections, une activité assez nouvelle, a longtemps prévalu le principe « le premier arrivé, le premier servi ». Ce qui posait des problèmes d’équité, car les pays en développement, en particulier les petits États insulaires, ont réclamé leur juste part dans la distribution des bénéfices tirés de ces activités, alors que certains États, attachés à la liberté de recherche, comme les États-Unis, le Canada ou le Japon ont jugé le mécanisme de redistribution trop contraignant et trop compliqué. Ainsi, les pays du Sud ont plaidé à New York pour qu’un statut juridique soit donné à ces ressources génétiques, assorti d’un processus de partage des bénéfices générés par la commercialisation, situe entre 1 et 8 %. Ces ressources devant alimenter un fonds spécial des Nations unies pour la haute mer, destiné à financer des transferts de technologie vers les pays du Sud. L’UE a d’ailleurs débloqué les discussions sur ce point vital en s’engageant à verser 40 millions d’euros à ce fonds, dont les attributions n’ont cependant pas été définies. En plus, lors de la conférence Our Ocean qui se tenait simultanément au Panama, l’UE s’est engagée à financer à hauteur de 816 millions d’euros les mesures en faveur des aires marines protégées (AMP) contre la pollution marine, la pêche illicite, la recherche scientifique, la sécurité maritime. Quant aux États-Unis, ils ont annoncé pour leur part une enveloppe de projets pour l’océan à hauteur de 6 milliards de $.

Un outil juridique et technique complexe, mais opérationnel

Le texte de 70 articles est réparti en quatre volets : les évaluations environnementales, le transfert des connaissances et les technologies marines à destination des pays moins développés, le partage des bénéfices tirés des ressources génétiques provenant d’éponges marines d’eau profonde, d’algues, de coraux, virus, bactéries, etc. Le traité devait également combler le vide juridique en matière d’AMP, ce qui suppose d’empiéter sur les compétences laissées aux organisations régionales de pêche ainsi qu’aux États frontaliers désireux de bloquer et gérer ces futurs sanctuaires, comme l’Islande, le Japon ou la Norvège. La communauté internationale s’oriente vers un objectif de 30 % de la surface marine en 2030, ce qui a été décidé dans l’accord international pour la diversité conclu en décembre 2022 à Montréal, par la COP15 alors qu’aujourd’hui 8 % de l’océan est préservé. On sait que cette question des AMP donne lieu à bien des conflits de souveraineté et de pouvoir dans plusieurs mers du monde. Elles opposent la Chine à de nombreux États riverains de la mer de Chine méridionale ou la Grèce et la Turquie en Méditerranée orientale1 .

Six sessions de négociations ont été nécessaires pour aboutir au texte final. Divers problèmes ont été réglés. Celui de la définition des biotechnologies, et celui de la date à partir de laquelle les États et les acteurs publics et privés sous leur juridiction seront tenus de déclarer l’accès ou la collecte d’échantillons. La question de la propriété intellectuelle et des savoirs traditionnels de populations à propos des ressources génétiques a pu être tranchée. Dans les derniers jours des négociations, c’est une première cartographie des aires marines et des propositions réalisées par l’UE et la Chine qui ont eu raison des ultimes blocages.

Un texte en attente de ratification 

Le traité devra être ratifié par au moins 60 États, avant d’entrer en application cent vingt jours plus tard. Il est acquis que les 51 pays, dont les 27 pays européens qui se sont engagés dans la coalition de haute ambition pour les océans, devraient le signer. Afin de veiller à l’application du traité, il est prévu, de mettre en place une conférence des parties (COP) dont la première tenue est espérée en 2025. Il lui reviendra la responsabilité d’approuver la création des aires marines protégées, au terme de deux votes successifs, dont un acquis aux deux tiers. Un conseil scientifique consultatif sera appelé à donner son avis.

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Ce traité sur la haute mer s’inscrit dans le cadre d’une action plus générale sur l’océan qui, évoquons-le, absorbe 90 % de la chaleur excédentaire dans l’atmosphère et un quart des gaz à effet de serre (GES) émis. La grande conférence sur l’océan, qui se tiendra à Nice en juin 2025, à l’initiative d’Emmanuel Macron et du président du Costa Rica, devrait acter ces avancées sur la protection de la mer et de ses ressources. Il lui reviendra de débattre des moyens de limiter la dégradation des eaux et à préserver l’océan de la pollution et de la surexploitation.

1 Sur ce sujet, voir l’article de Pierre Royer ainsi que l’enquête menée par Erwan Seznec. À retrouver dans les anciens numéros ou sur le site internet de Conflits. 

Nous mentionnons par ailleurs à nos lecteurs l’existence d’un sommaire qui recense tous les articles parus depuis le premier numéro, ainsi que dans les numéros spéciaux. Ce sommaire est en accès libre sur le site internet de Conflits. Il permet de retrouver tous les auteurs, thèmes et sujets classés par numéros de parution, ce qui facilite les recherches dans les magazines et sur le site. [NDLR]  

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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