<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> « Le Royaume-Uni reste différent du reste de l’Europe » – Entretien avec lord David Howell

26 septembre 2022

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Crédits: Matt Antonioli/Unsplash

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« Le Royaume-Uni reste différent du reste de l’Europe » – Entretien avec lord David Howell

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Secrétaire d’État à l’Énergie et aux Transports sous Margareth Thatcher, puis ministre d’État au ministère des Affaires étrangères de 2010 à 2012, lord David Howell a également été député de 1966 à 1997 et siège depuis lors à la Chambre des lords. Spécialisé sur les questions économiques et énergétiques, il demeure l’un des grands observateurs de la vie politique anglaise. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé et Maximilien Nagy

 

Vous avez été secrétaire d’État à l’Énergie et vous suivez toujours attentivement ces sujets. Sur le plan énergétique, comment est-ce que l’Angleterre est touchée par la guerre en Ukraine ?

Commençons par la multiplication par neuf des prix du gaz ainsi que l’augmentation de 50 à 60 % des prix du gaz et du pétrole entre 2021 et 2022. Nous devons nous reposer lourdement sur les énergies carbonées et nous avons une énergie nucléaire quasiment inexistante. Notre énergie reposant essentiellement sur l’éolien, lorsque le vent cesse de souffler, tout commence à aller mal. La Chine a commencé à pomper tout le gaz mondial avant la crise du coronavirus, faisant grimper considérablement les prix, les États-Unis tentent à la fois de baisser l’usage du gaz, tout en essayant de le maintenir et au sommet de tout cela, les conséquences de la crise en Ukraine. Les Européens ont tenté de punir les Russes en arrêtant de s’approvisionner chez eux, mais il faut le dire, leurs mesures ont remporté un succès bien mitigé jusqu’à aujourd’hui.

Il me semble que le prix baissera, bien plus vite que beaucoup ne le pensent. Le gaz est aux mains de l’OPEP, des Saoudiens, de l’Iran et des États-Unis, qui mènent une politique très contradictoire depuis l’arrivée de Joe Biden. La réponse à l’accroissement des prix me paraît être un accroissement de la production mondiale. Le monde est rempli de gaz et de pétrole, il suffit d’aller le chercher.

De nombreux commentateurs et chefs d’État européens ont prédit des désastres pour l’économie britannique après le Brexit, mais cela ne semble pas s’être produit. Qu’en est-il aujourd’hui de la situation en Grande-Bretagne ? 

Sur le plan économique, les choses ont bien changé en Grande-Bretagne depuis le Brexit. L’enjeu qui a resurgi est l’impossibilité de réconcilier l’Irlande du Nord au sein du Marché commun de la Grande-Bretagne et au sein du Marché commun européen. Il n’y a pas de frontières entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande et par conséquent aucune frontière entre l’Irlande du Nord et l’Union européenne. Si vous établissez une frontière avec l’Irlande du Nord, il y a le risque d’une réapparition des réclamations de la part des unionistes [ceux qui souhaitent être rattachés à la République d’Irlande] et d’une possible résurgence de phénomènes terroristes. Cette question requiert un grand tact et une grande flexibilité de la part de Bruxelles et de Londres. Il ne faut pas penser pour autant que l’on pourra tout arranger dans l’immédiat, la question irlandaise reste irrésoluble, pour des raisons historiques anciennes.

Les Anglais ont toujours été différents du reste de l’Europe du fait qu’ils habitent une île. L’Angleterre et la France sont liées par l’histoire, les Anglais aiment beaucoup la France. Ils sont aussi animés par une vision moderne que vous pourriez ne pas partager qui est que l’Union européenne est une structure fondée sur des traités du siècle passé. À l’âge du digital, il faut bien davantage de flexibilité dans les rapports entre les pays. Ensuite, il y a les arguments historiques qui me paraissent sans grand intérêt.

Mais nous continuerons à collaborer sur les questions militaires et la fusion nucléaire. Il est probable que dans les années à venir, la coopération entre la Grande-Bretagne et la France s’intensifiera davantage. Toutefois, cela se fera hors du cadre des « vieux » traités européens[1].

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Le Royaume-Uni est traversé par des courants indépendantistes. Le référendum en Écosse sur l’indépendance a été un échec, mais le courant indépendantiste est toujours très fort. Sur quelle doctrine politique se fonde le mouvement indépendantiste écossais ?

Le danger de l’indépendantisme écossais me paraît particulièrement faible aujourd’hui. Il appartient au passé. Il existe toujours un parti indépendantiste, le Scottish National Party (SNP), mais dont l’idéologie repose sur des concepts contemporains, très éloignés des revendications sur fond historique que nous pouvions encore entendre dans le siècle passé. La question ukrainienne a certainement fait considérer aux Écossais l’erreur que ce serait pour eux de quitter le Royaume-Uni. Bien sûr, elles ne sont pas illégitimes. Après tout, l’Écosse a été un royaume indépendant pendant des siècles et il est probable que Londres ait souvent manqué de considérer les Écossais à leur juste valeur. Probablement que les Anglais ont trop vite considéré l’Écosse comme un dû.

Mais maintenant, ils font face à la réalité : si l’Écosse devenait indépendante, quel statut aurait-elle dans l’OTAN ? L’Union européenne accepterait-elle d’avoir l’Écosse comme État membre ? Pourraient-ils sérieusement établir une frontière entre l’Écosse et l’Angleterre, alors qu’ils effectuent 75 % de leur commerce avec elle ? Face à toutes ces réalités, on observe que le soutien des Écossais en faveur de l’indépendance a significativement baissé.

Oui pour plus de dévolution en faveur de l’Écosse et du Pays de Galles. Rappelons-nous que nous vivons à l’ère du digital, dans lequel la décentralisation a pris une importance considérable.

La reine Elizabeth II commémore ses soixante-dix ans de règne. Né sous l’Empire britannique, son règne a traversé de nombreuses crises et joies de l’histoire du Royaume-Uni. Quel est pour vous l’élément caractéristique de ce règne, qui permettra de le distinguer après la fin de celui-ci ?

La monarchie et la reine sont une force unificatrice très importante pour notre pays. Une chose qui est sans doute moins facile en France et aux États-Unis, où le peuple a bien plus de pouvoir. Le peuple ne peut pas par définition être une force unificatrice, parce qu’en son sein, les personnes passent leur temps à débattre.

D’un point de vue constitutionnel, le monarque a perdu ses pouvoirs au fil des époques. Mais d’un point de vue émotionnel – et l’émotion fait bien partie de nos vies après tout –, la reine est un symbole très important. Avec l’accession du prince de Galles au trône, cela ne devrait pas changer a priori. Le prince Charles a déjà une très bonne expérience de gouvernement qu’il a eu le temps de se forger durant ces dernières décennies et se mobilise pour de nombreuses causes, en particulier sur les questions environnementales.

La presse fera de nombreux commentaires bien sûr sur d’éventuels changements ou bouleversements lorsque sonnera l’heure de la succession. Mais il me semble que les institutions issues de la fin de l’empire, le Commonwealth en particulier, vont continuer à perdurer. Ce sont précisément ce type d’accords flexibles, fondés sur des principes démocratiques, qui permettront de contrebalancer l’influence des régimes autoritaires dans le monde, celle de la Chine en particulier.

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Le Parti conservateur a gagné les dernières élections générales et le Parti travailliste ne semble pas en mesure de pouvoir le détrôner. Sur quoi se fonde aujourd’hui la pensée politique du Parti conservateur ?

Les partis politiques sont impopulaires et les hommes politiques sont dans l’ensemble décrédibilisés dans notre pays. Au milieu de tout cela, il y a les deux principaux partis : le Parti conservateur et le Parti travailliste, et entre les deux les libéraux démocrates, qui ont eu de très bons résultats aux dernières élections. Une chose est certaine : les deux partis de gouvernement ont aujourd’hui perdu leurs racines idéologiques. Les socialistes ne craignent plus qu’une seule chose : l’autoritarisme et l’extrême droite. Les conservateurs hésitent quant à eux sur la nature de leur positionnement : sont-ils un parti libéral ou un parti centralisé ?

L’actuel Premier ministre est critiqué sur de nombreux points et à l’inverse a très bien mené d’autres combats, tels les vaccins ou la politique internationale.

Les travaillistes ont un bon leader en la personne de sir Keir Starmer, mais qui a des difficultés pour réconcilier la branche socialiste et centralisatrice de son parti avec la tendance plus libérale qu’il représente. De manière générale, la politique paraît davantage tournée vers les polémiques que sur des débats de fond, ce qui est regrettable.

Le Brexit a-t-il changé la vision stratégique de la Grande-Bretagne ?

Après le Brexit, les Anglais se sont interrogés sur la source de la richesse : ils ont bien compris que ce n’était plus le vieux continent. De plus, presque toute la croissance mondiale se concentrera en Asie dans les vingt prochaines années. La question de la place de la Chine sera bien sûr déterminante elle aussi. La Grande-Bretagne a de nombreux atouts aujourd’hui, en particulier celui de la langue et celui du Commonwealth qu’elle devra utiliser à fond dans les prochaines décennies pour continuer à affirmer sa place de puissance économique mondiale.

[1] Lors du vote sur le Brexit, lord Howell a soutenu la position du remain, c’est-à-dire du maintien dans l’UE.

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