1 août 2022

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Le retour des femmes et des enfants de Daesh en 2022

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Le mardi 5 juillet 2022, le Quai d’Orsay a annoncé le rapatriement de trente-cinq enfants et seize femmes du camp de Roj, au nord-est de la Syrie. Si les associations de famille des revenants espèrent depuis des facilités de retour, l’opinion publique, quant à elle, reste hostile et 67 % des personnes interrogées sont pour laisser ceux qui ont rejoint l’État islamique en Iraq ou en Syrie.

Alors, comment appréhender ces retours ? Il faut pour cela comprendre le cheminement de ces femmes qui ont choisi de quitter le pays, mais aussi celui des enfants, nés sous l’emprise de l’EI et qui, pour certains, n’ont jamais connu la France.

Pourquoi partir ?

De nombreux travaux ont recensé les causes principales qui ont poussé les femmes à quitter la France. Bien que les motivations restent variées, définir des raisons types peut permettre par la suite de personnaliser l’approche de sortie de radicalisation. On peut recenser trois mythes les plus courants.

– « Daeshland » représente la volonté de rejoindre une société islamique utopique. Les femmes cherchent à améliorer leur qualité de vie autour du concept de Hijra, elles quittent ainsi une société corrompue à leurs yeux pour rejoindre une organisation qui défend les valeurs d’unité et de fraternité. Seul le « vrai » Islam permet alors son application.

– « Mère Térésa », représente une quête humanitaire, elle aussi utopique. Le motif de ces femmes est souvent de sauver les enfants bombardés par Bachar el-Assad. Cette raison a été utilisée par beaucoup de revenantes pour justifier leur départ et nuancer leur implication au sein de l’EI.

– « Belle au bois dormant » incarne la quête d’un conjoint idéal, ces femmes idéalisant le comportement protecteur et vaillant des combattants musulmans. Une fois sur place, la désillusion est rapide : elles vivent sous la coupe d’un mari, l’espérance de vie des combattants au sein de l’EI est réduite, une femme peut être mariée à un conjoint différent dès que son mari décède, dans un cadre général où la polygamie est normalisée.

Certains réfutent l’idée de jeunes femmes innocentes en quête d’une cause noble partant rejoindre l’État islamique : « ce ne sont pas des femmes faibles, ce sont de véritables femmes, de véritables lionnes. Ce sont des femmes qui ont vécu, elles ont la trentaine/quarantaine, ont une histoire, un passé, une épaisseur. Ce ne sont pas les adolescentes qui partent en Syrie sur un coup de tête. Ces femmes ne sont pas des victimes. Ce sont des femmes fortes qui font des choix » (Matthieu Suc). Le djihadisme féminin ne saurait alors s’appréhender sous un seul angle, forcément simpliste.

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La question des enfants est différente. Ceux qui rentrent ont moins de 14 ans, ils ont suivi leurs parents ou sont nés sur le sol syrien ou iraquien. En 2016, on comptait 420 enfants, dont un tiers né sur place sans aucune existence administrative, élevés et socialisés dans le conditionnement du djihadisme.

Le rôle des femmes et des enfants chez Daesh

L’EI reste une société où chacun a un rôle à jouer pour la faire fonctionner. Pour certains, le rôle des femmes est considéré comme passif, toutefois, une fois mariées, sous tutelle masculine, elles créent les futurs combattants, les « lionceaux du Califat ». La maternité devient alors un moyen de pérenniser une idéologie, mais aussi d’institutionnaliser ces futurs guerriers. La mission principale des femmes est donc d’élever la prochaine génération du Jihad. Elles restent ainsi pour la plupart au foyer, exception faite des plus diplômées qui peuvent apporter un soutien logistique en s’occupant des blessés, ou en animant la propagande de Daesh pour recruter.

Les enfants, bien qu’ayant un rôle minime dans cette société, sont élevés pour être le futur du califat. Selon des rapports du Conseil de sécurité de l’ONU, les garçons ont pour rôle de porter des armes, de surveiller des points stratégiques, d’arrêter des civils et d’être des kamikazes. Ces enfants ne subissent pas uniquement la violence dont ils ont été témoins et à laquelle ils ont contribué : avoir vécu la guerre a perturbé, voire compromis, leur développement social, moral, émotionnel et cognitif normal. Les petites filles suivent une éducation domestique et découvrent comment subvenir aux besoins de leurs futurs maris, éduquer leurs enfants dans l’idéologie de Daesh, gérer leur foyer et satisfaire les besoins de leur famille.

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Les milieux politiques et judiciaires se sont donc fait une vision idéale et biaisée de la femme jusqu’à la fin de l’année 2016, les amenant à les considérer exclusivement comme des victimes. Cette idée a permis aux premières revenantes de rentrer en France sans être inquiétées de poursuites ni aux enfants d’être suivis psychologiquement.

La fin de Daesh

En 2016, 700 Français sont encore sur place dont la moitié sont des femmes. Ne pouvant pas se déplacer sans un tuteur masculin, il est plus compliqué pour elles de quitter le territoire. Les raisons de ces retours sont tout aussi variées que celles des départs.

Lorsqu’en 2019, les forces kurdes annoncent la fin du califat, une réduction conséquente du territoire islamiste est déjà observée sans que cela ne signifie la fin définitive de l’idéologie. Les Français vivant encore en Syrie ou en Iraq se retrouvent soit en prison (pour les hommes), soit dans des camps dirigés par les Kurdes. Les femmes et les enfants encore présents dans les camps font face à l’insalubrité, au manque d’eau et de nourriture, mais aussi à la prospérité de l’idéologie. En effet, si les femmes et les enfants avaient été rapatriés directement après la chute de Baghouz (Syrie, 2019) ceux empreints de l’idéologie radicale ne se seraient pas retrouvés ensemble dans des camps, l’embrigadement aurait pu être endigué rapidement.

La question des retours

Le « protocole Cazeneuve » mis en place en 2014 par l’ancien ministre de l’Intérieur permet une coopération avec la Turquie, pour améliorer la prise en charge des revenants et leur jugement. Ce protocole a pour but de gérer les retours afin de les maîtriser et de surveiller toute dérive.

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Les revenantes, depuis les attentats de Paris (2015), sont directement arrêtées, jugées et condamnées pour association de malfaiteurs terroriste. La question du genre qui était en faveur des femmes avant 2016 devient un élément aggravant de sévérité, car l’autorité judiciaire considère que les femmes sont impliquées au même titre que les hommes. Le parquet construit alors une échelle des peines et une nouvelle jurisprudence pour des condamnations plus longues sans possibilité de remise de peine pour la plupart. Les prisons aussi se sont adaptées à ces nouvelles détenues. En 2021, un centre pénitentiaire de femmes à Rennes a intégré un quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR). Le but est de ne pas mélanger des femmes toujours potentiellement radicalisées avec des détenues de droit commun afin d’éviter tout prosélytisme. Le programme PAIRS permet d’amorcer le désengagement idéologique chez les détenues les plus radicales. À la fin de leur peine, un suivi socio-judiciaire permet de s’assurer de la réinsertion de ces femmes en France.

Celles qui rentrent avec leurs enfants sont directement séparées pour une prise en charge médicale des mineurs, ils sont ensuite confiés par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) à une famille d’accueil. S’ensuit un processus de réinsertion dans la société occidentale qui débute par des tests pour évaluer leurs besoins physiques, psychiques ou pédiatriques. Cela permet de cerner leur problématique et de les comprendre pour les accompagner et les aider.

Dans un même temps, des membres adultes de leur famille, souvent les grands-parents, peuvent faire une demande de garde. Une mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE) est alors menée par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) afin de s’assurer que le foyer n’est pas radicalisé et qu’il sera en mesure d’accueillir les petits-enfants.

Pourquoi rapatrier ?

Pour David De Pas, coordonnateur du pôle antiterroriste au tribunal de Paris, la réponse est claire « L’instabilité géopolitique de la région et la porosité de ce qu’il reste des camps kurdes laissent redouter deux choses : d’une part des migrations incontrôlées des djihadistes vers l’Europe avec le risque d’attentat par des personnes très idéologisées, et d’autre part la reconstitution de groupes terroristes combattants particulièrement aguerris et déterminés dans la région. »

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Le retour est aussi une question juridique et politique puisque malgré des rappels à l’ordre de la part de l’ONU et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme qui appelaient le gouvernement à rapatrier au plus vite les enfants français retenus dans les camps, les autorités n’ont pas procédé aux rapatriements massifs, préférant une politique du cas par cas. Laissant des ressortissants sous l’autorité de pays qui ne devraient pas les gérer. L’opposition de l’opinion publique au retour et le contexte sanitaire lié au Covid-19 ont, de plus, relégué ce débat au second plan.

Les autorités françaises, qui affirment avoir mis en place en France le système nécessaire pour juger, prendre en charge et suivre ces futurs revenants, mettent en avant la nécessité d’éviter toute récidive en France et surtout une reconstitution d’un nouvel État islamique au Moyen-Orient. Selon elles, intégrer ces ex-djihadistes dans la société occidentale éviterait une nouvelle radicalisation religieuse ou un passage à l’acte.

Notes

1 Leclerc, J. (2019, 1 mars). Les Français se prononcent massivement contre le retour des djihadistes. https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/02/28/01016-20190228ARTFIG00275-les-francais-se-prononcent-massivement-contre-le-retour-des-djihadistes.php

2 D. Bouzar et M. Martin, « Pour quels motifs les jeunes s’engagent-ils dans le djihad ? », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, n° 64, 2016, p. 353-359.

3 Matthieu Suc, Femmes de djihadistes, au cœur du terrorisme français, Paris, Fayard, 2016.4 Afp, L. A. (2019, 19 octobre), Ne pas rapatrier les djihadistes retenus en Syrie, « un risque de sécurité » pour la France. https://www.nouvelobs.com/monde/20191019.OBS20013/ne-pas-rapatrier-lesdjihadistes-retenus-en-syrie-un-risque-de-securite-pour-la- france.html

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À propos de l’auteur
Inès Le Bot

Inès Le Bot

Diplômée en Relations internationales, analyste et spécialiste de la question des retours des Femmes djihadistes

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