Le référendum du 17 décembre ou le paradoxe constitutionnel chilien

9 décembre 2023

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : La campagne Rechazo de septembre 2022 : la constitution est un projet qui divise. (c) wikipédia

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Le référendum du 17 décembre ou le paradoxe constitutionnel chilien

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Le 17 décembre 2023, les Chiliens doivent voter pour ou contre une nouvelle proposition constitutionnelle. C’est une nouvelle étape dans le processus constitutionnel enclenché en 2020.

La relation du peuple chilien avec sa Constitution reste pour le moins paradoxale. L’actuelle Constitution chilienne a été adoptée en 1980, à l’époque où le pays était gouverné par le général Pinochet. À partir de ce même moment, la gauche a décrété que la Constitution était illégitime dans son origine, compte tenu du contexte dans lequel ce texte constitutionnel avait été préparé et voté. Une fois la démocratie revenue dans le pays, le centre gauche et la gauche ont gouverné pendant 20 ans (1990-2010) et ont réussi à réformer à plusieurs reprises le texte fondamental de la vie politique chilienne. En 2005, le président Ricardo Lagos a procédé à une réforme de la Constitution d’une telle ampleur qu’elle n’avait plus grand-chose à voir avec la Constitution adoptée en 1980 et était même considérée comme une nouvelle constitution. Le texte ne portait plus la signature du Général Pinochet, mais celle de Ricardo Lagos. Nous avons pu parler de tout ce processus avec l’ancien Président Lagos lui-même dans les pages de Conflits.

Une partie de la gauche rejette la constitution

Cependant, et malgré les réformes et la pratique constitutionnelle chilienne, une partie de la gauche chilienne n’était pas satisfaite de cette situation et n’a jamais cessé d’insister sur la nécessité d’élaborer une nouvelle constitution, rédigée sous un régime démocratique, pour résoudre les problèmes du Chili. Comme on le sait, ce pays sud-américain a été pendant de nombreuses années un exemple de stabilité et de développement économique, mais il a également accumulé des tensions propres à la modernisation de sa société (comme l’explique l’intellectuel chilien Carlos Pena dans son livre Pensar el malestar. La crisis de octubre y la cuestion constitucional), notamment l’existence de fortes inégalités sociales (le pays figure parmi les plus inégalitaires de l’OCDE).

Au cours de la dernière décennie (2010-2020), la société chilienne a connu des changements politiques et sociaux, dans un contexte de forte polarisation. Les nouveaux partis ont dépassé les anciennes coalitions de gauche et de droite dans leurs discours et leurs actions. Le mouvement le plus fort pour promouvoir un changement de constitution est venu avec le deuxième gouvernement de Michelle Bachelet (2014-2018) durant lequel une sorte de « grand débat » national a été organisé afin de parler de la question. Ce grand débat resté sans lendemain a constitué toutefois un premier jalon vers une réforme.  Le deuxième gouvernement de Sebastian Piñera (2018-2022) a semblé mettre un terme à l’affaire, jusqu’à la crise du 18 octobre 2019, au cours de laquelle des mobilisations massives et violentes ont mis en échec le gouvernement. Le Président Piñera décrira plus tard ces événements comme une sorte de coup d’État non conventionnel. En effet, le Président n’a pas démissionné et les institutions ont résisté, car la crise a été en quelque sorte « canalisée » à travers un référendum proposant un changement de la Constitution. Ce référendum a été convoqué le 25 octobre 2020 et l’option de rédiger une nouvelle constitution a remporté 78 % des voix. Il faut préciser que ce vote était volontaire et que seulement la moitié des électeurs ont voté (7 millions et demi). Une « convention constituante » a été élue pour élaborer une nouvelle charte fondamentale. Cette convention, dominée par de nouveaux groupes de gauche, a été entachée par des scandales et a réalisé un travail que le peuple chilien a considéré comme n’étant pas à la hauteur des circonstances puisque le texte a été rejeté par 62% des Chiliens lors d’un référendum le 4 septembre 2022. Il s’agit d’un fait historique important puisque le vote était obligatoire – pour la première fois depuis de nombreuses années – et que 13 millions de personnes ont dû exercer leur droit de vote.

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Un pays englué dans le choc constitutionnel

Avec ce résultat, le pays se trouvait une fois de plus dans une sorte de choc constitutionnel puisque, d’une part, la Constitution de 1980 semblait complètement invalidée par les événements récents, et, d’autre part, la proposition constitutionnelle préparée par la gauche venait d’être rejetée. Ainsi, sans que ce soit prévu dans le processus entamé en 2020, les partis politiques (qui sont l’une des institutions les plus discréditées du pays) se sont mis d’accord pour lancer un nouveau processus d’élaboration d’une constitution. Des élections (dont le vote était obligatoire) ont été organisées en mai 2023 pour choisir un groupe de personnes chargées de rédiger la proposition constitutionnelle :  cette fois-ci la droite a largement gagné, et, en particulier, le Parti républicain, qui avait été l’un des rares partis à s’être toujours opposé à la rédaction d’une nouvelle constitution. Ainsi, paradoxalement, ceux qui ne voulaient pas d’une nouvelle constitution se sont vus investis de la mission de la rédiger.

Le processus de rédaction a été accompagné d’un groupe d’éminents juristes et s’est déroulé rapidement et de manière ordonnée, d’une façon très différente de la première tentative ; mais le pays était fatigué de tout ce processus et les priorités étaient ailleurs. En effet, le Chili traverse une très forte crise de sécurité intérieure, qui constitue la principale préoccupation des Chiliens. Les problèmes sécuritaires sont en partie liés à l’entrée de bandes criminelles, venues d’autres pays de la région, qui profitent de la crise migratoire massive et illégale que subit le Chili depuis des années. En somme, les Chiliens ne montraient plus le même intérêt à un changement de Constitution.

Un nouveau texte, qui ressemble à l’ancien

Le texte proposé par la droite est similaire à la Constitution actuellement en vigueur assortie de quelques changements que le centre et la droite jugent appropriés. Cependant, une grande partie de la gauche et une minorité de droite ont appelé à rejeter cette proposition, mais pas pour les mêmes raisons. La gauche, dont fait partie l’actuel gouvernement du président Boric, considère que le texte est trop conservateur (s’agissant de l’avortement, du droit à l’objection de conscience ou encore du droit préférentiel des parents à éduquer leurs enfants) ou trop libéral (en ce qui concerne l’éducation, la santé ou le droit des travailleurs) sur certains points. La partie minoritaire de la droite qui veut rejeter le texte continue de soutenir l’idée qu’il n’est pas nécessaire d’abroger l’actuelle Constitution chilienne. Pour cette frange de la droite, la Constitution actuelle reste une source de prospérité et de stabilité pour le pays. De plus, cette partie de la droite est d’avis également que le texte proposé n’est pas suffisamment protecteur de la souveraineté nationale dans le domaine du droit international public et que certains points consacrés par ce texte, tels que la reconnaissance des peuples indiens et la parité dans les élections, constituent une victoire idéologique de la gauche.

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Quel que soit le résultat du 17 décembre 2023, le processus constitutionnel chilien reste surprenant à plusieurs égards. Il y a une grande incertitude quant à l’avenir : il semblerait que beaucoup de gens souhaitent mettre un terme à un processus qui a coûté beaucoup de temps, d’argent et d’énergie, afin que la classe politique puisse enfin se consacrer à la résolution des problèmes urgents (inflation, criminalité, immigration clandestine, trafic de drogue, mauvaise qualité de l’éducation, retraites, corruption, etc.), mais il n’est pas clair si avec ce référendum le processus est clos. En effet, les gens ne font pas confiance à leurs dirigeants qui ont ouvert un deuxième processus sans consulter personne. On ne sait pas si la gauche la plus radicale continuera à exiger une nouvelle constitution ou si elle va accepter le résultat du référendum, quel qu’il soit. Certains votent en faveur de la nouvelle constitution simplement pour en finir avec cette affaire.

La constitution n’est plus le problème

Initié par la gauche avec l’argument principal selon lequel une constitution née sous Pinochet ne pouvait pas continuer à gouverner un Chili moderne et démocratique, la gauche, investie d’un mandat populaire, a réussi à faire une proposition conforme à ses idées, mais celle-ci a été largement rejetée en 2022. Après cela, la tâche de rédiger le nouveau texte a été, par élection populaire également, confiée à la droite, opposée depuis le début à l’idée de changer la Constitution, sous le regard d’un peuple chilien qui n’avait pas d’intérêt majeur dans le processus. Les politologues les plus avisés n’auraient pas pu prévoir les positions surprenantes qui se présentent aujourd’hui : le 17 décembre prochain, le centre et la droite soutiendront le changement de la constitution qu’ils ne souhaitaient pas changer et la gauche soutiendra la « Constitution de Pinochet » qu’elle a toujours essayé d’abroger.

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À propos de l’auteur
Bernard Larrain

Bernard Larrain

Bernard Garcia Larrain, juriste franco-chilien, docteur en droit.
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