Le rapprochement entre la France et l’Ouzbékistan assombri par des sanctions économiques mal ciblées ?

11 décembre 2024

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : French President Emmanuel Macron shake hands as they attend a forum during their meeting in Samarkand, Uzbekistan, on Thursday, Nov. 2, 2023. MANDATORY CREDIT./2311021615

Abonnement Conflits

Le rapprochement entre la France et l’Ouzbékistan assombri par des sanctions économiques mal ciblées ?

par

Moins connu que son voisin kazakh, l’Ouzbékistan tente un rapprochement stratégique avec certains pays européens. Ces dernières années, le resserrement économique entre Paris et Tachkent s’est d’ailleurs largement accéléré à l’initiative d’Emmanuel Macron, dont l’intérêt pour l’Asie centrale ne se dément pas. Seule ombre au tableau : les sanctions visant, avec plus ou moins de discernement, des personnalités ouzbèkes, à l’instar de la gynécologue Gulbakhor Ismailova.  

L’ouverture stratégique vers l’Asie centrale se confirme

Novembre 2023 : Emmanuel Macron entame un voyage présidentiel de deux jours, comprenant deux étapes. Le Kazakhstan, d’abord, où la France est déjà bien implantée. L’Ouzbékistan, ensuite, où tout reste à faire et où l’influence conjointe de la Chine, de la Russie et de la Turquie est très présente. Même si, dans le domaine des relations internationales, l’évolution de cette petite république est marquée. Place désormais à la diplomatie d’équilibre qui aspire à trouver de nouveaux partenaires économiques, sans pour autant renier le géant russe, concentré sur son offensive en Ukraine.

Pour la France, l’Asie centrale s’inscrit de plus en plus au cœur de ses préoccupations géopolitiques : forte croissance économique, ressources énergétiques et naturelles abondantes et puissant potentiel humain. Paris peut d’ailleurs compter sur la volonté de Tachkent de revenir dans le jeu international après s’en être largement isolé pendant plus de 25 ans de règne de l’autocrate Islam Karimov. Le pays emploie pour cela les grands moyens depuis quelques années : réformes structurelles, politique d’ouverture internationale et quelques efforts, encore trop discrets, sur l’État de droit. Sur place, la France tente de faire ce qu’elle sait encore bien faire : jouer de son prestige culturel pour renforcer son capital-sympathie. Une nouvelle alliance française a d’ailleurs été ouverte à Samarcande et la France s’est pleinement engagée dans l’entretien de vestiges historiques dans le pays.

Des échanges économiques fleurissants

Mais logiquement, pour la diplomatie française, en ce mois de novembre 2023, le cœur de la visite présidentielle est d’abord économique. Son but affiché : « témoigner du potentiel de coopération entre nos pays », de l’aveu même d’Emmanuel Macron. Peu étonnant, dans ce contexte, que le Président de la République soit venu accompagné d’un aréopage de chefs d’entreprise de premier plan, dans le cadre d’un Forum d’affaires. Dans ce domaine, les récentes visites diplomatiques du président ouzbek en France ont d’ailleurs été couronnées de quelques succès commerciaux. 3,4 milliards de contrats et d’accords en octobre 2018, à l’occasion de la venue du président Mirziyoyev en France. 6,08 milliards d’euros de contrats en novembre 2022, à l’occasion de la seconde visite officielle du président ouzbek à Paris. « Ces dernières années, le nombre de coentreprises et de projets avec la participation d’entreprises françaises a triplé. Le portefeuille actuel de projets communs actifs en Ouzbékistan dépasse les 5 milliards d’euros », écrivait en octobre 2023, dans les pages de La Tribune, le chercheur Sébastien Boussois.

Preuve supplémentaire de ces relations bilatérales fructueuses : une chambre économique France-Ouzbékistan (CEFO) est née en avril 2024, structurant ainsi les relations inter-patronales des deux pays. Et les entreprises françaises brillent là où elles savent le faire. Dans l’énergie d’abord. Total installe ainsi une centrale solaire photovoltaïque d’une capacité de 100 MW dans le district de Nurabad, tandis qu’Orano mène des explorations géologiques sur place et que Suez collabore à la construction d’une centrale électrique à cycle combiné dans la province de Syrdarya. Dans les travaux publics, ensuite. Veolia est ainsi engagé sur la gestion du réseau de chaleur de Tachkent via un PPP. Sans oublier les belles réserves en uranium du pays, qui aiguisent les convoitises d’une France parfois en difficulté auprès de ses partenaires traditionnels.

Assombris par les sanctions

Malgré des relations économiques au beau fixe, des points de vigilance existent. Le poids historique des échanges des républiques d’Asie centrale avec Moscou, fondé en grande partie sur l’appartenance commune à l’Union économique eurasiatique (UEE) dominée par la Russie, en font des cibles fréquentes des sanctions de la part de l’UE. Depuis la guerre en Ukraine, l’imposition de sanctions massives aux anciens pays satellites de la Russie crispe les gouvernements locaux. Et notamment parce qu’elles sont parfois dirigées vers des personnalités dont les liens avec les élites russes ne sont pas toujours clairement établis.

Gulbakhor Ismailova, gynécologue de profession, connue pour avoir modernisé la discipline dans le pays et bien éloignée des questions politiques, a ainsi été placée sous sanctions. Elle semble avoir pour seul tort d’être la sœur d’Alicher Ousmanov, homme d’affaires ouzbek lui-même sous sanctions européennes depuis 2022 et récemment réélu président de la Fédération internationale d’escrime (FIE) – avant d’annoncer, quatre jours plus tard, « la suspension volontaire de ses pouvoirs », pour « éviter que les sanctions juridiquement insoutenables imposées à son encontre ne soient étendues à la FIE », selon un de ses représentants.

Les sanctions contre Gulbakhor Ismailova ont été maintenues en dépit de son renoncement « à jamais à ses droits de bénéficier des fiducies créées il y a plusieurs années par son frère », alors même qu’il s’agissait de la raison principale ayant motivé ces sanctions. Un traitement qui l’empêche de se rendre dans des pays membres de l’UE pour des raisons personnelles ou professionnelles, et a été dénoncé par des pays comme la Slovaquie, la Hongrie, l’Italie ou la Grèce.

De quoi refroidir le gouvernement ouzbek dans son rapprochement avec l’Occident ? Possible. De son côté, l’Ouzbékistan assume toujours sa volonté de rééquilibrer ses relations internationales. En avril dernier, l’OTAN a mené des exercices militaires et une semaine de formation en Ouzbékistan à destination de leurs personnels sur place. Jusqu’à quand ?

Mots-clefs :

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !

À propos de l’auteur
Helena Voulkovski

Helena Voulkovski

Helena Voulkovski travaille sur les risques pays pour un cabinet international d’assurances.

Voir aussi