Écrit sous l’égide de la très conservatrice Heritage Foundation, ce texte de plus de 900 pages, prévoit un plan d’action pour le futur mandat de Trump, sur une ligne dure et ultradroitière. La gauche américaine dénonce un fascisme rampant. Les républicains font mine de ne pas être au courant.
Observateur avisé des États-Unis, qu’il ne cesse de parcourir dans ses espaces ruraux comme urbains, Alexandre Mendel livre chaque semaine, en exclusivité pour Conflits, une « Lettre d’Amérique » pour décrypter les élections en cours. Pour nous soutenir, faites un don à Conflits. C’est devenu un classique des meetings démocrates. Casquette Make America Great Again sur la tête, perruque blonde et cravate rouge portée trop longue, un sosie de Donald Trump est toujours présent pour égayer les supporters de Kamala Harris. Devant le gigantesque United Center de Chicago, où se tenait la convention démocrate la semaine dernière, un jumeau mal dégrossi du milliardaire signait d’immenses livres, aux tranches aussi épaisses que la liste des élus qui ont sacrifié Joe Biden quelques semaines auparavant. « Venez chercher votre Projet 2025 dédicacé ! » : la blague fait référence à un document intitulé Project 2025, long de 920 pages et dont le titre a dû être répété, pendant les trois jours de ce grand raout, une bonne centaine de fois par les personnalités invitées à prendre la parole devant plus de 5 000 délégués du parti.
La marque du complot
Si bien que Project 2025 est devenu une marque : celle du complot pour la gauche qui voit dans ce grimoire conservateur une feuille de route pour l’installation du fascisme en Amérique, et celle de l’embarras pour les trumpistes qui jurent, la main sur le cœur, qu’ils n’ont rien à voir avec ce mode d’emploi à destination des conservateurs. Aucun doute que Kamala Harris reprendra, face à Donald Trump, le 10 septembre prochain (si le débat est maintenu) les arguments de la presse libérale américaine. À savoir que Donald Trump a puisé dans les propositions du Project 2025 pour nourrir son Agenda 47, le nom de son programme officiel. Mais que le véritable projet présidentiel du républicain, c’est tout le Project 2025.
« Sauver le pays de l’emprise de la gauche radicale. »
Comme souvent aux États-Unis (bipartisme aidant), les versions des deux camps sont très exagérées. Donald Trump était certes parfaitement au courant de l’existence de ce document et ses dénégations actuelles ne tiennent pas la route. Pour autant, les trumpistes, tout fascinés qu’ils puissent être parfois par l’autorité, et même par les régimes autoritaires, ne sont pas en train d’installer secrètement une dictature en Amérique. Les rédacteurs du Project 2025 sont bien connus des républicains. Ils n’ont rien d’illuminé se réunissant en secret pour fomenter un coup d’État : beaucoup d’entre eux ont travaillé dans l’administration Trump du temps où il était président et ce ne sont pas eux qui ont pu prévenir deux impeachments et une défaite. Mais quand Trump affirme, sur son réseau Truth Social, qu’il « n’a aucune idée de qui se trouve derrière Project 2025 », il ment, d’autant qu’il dîne régulièrement avec ses auteurs qui ne font pas qu’écrire puisqu’ils sont aussi doués en matière de levée de fonds… pour sa campagne ! Parmi les auteurs, figurent l’ancien chef de cabinet de la Maison-Blanche, Mark Meadows ou encore Stephen Miller, conseiller principal de Trump.
L’Heritage Foundation, think tank à l’origine de ce sulfureux pavé édite, depuis le premier mandat de Ronald Reagan, ces mémentos, faits de recommandations, à destination des républicains, à un rythme d’à peu près tous les deux ou trois ans. Leur objectif est écrit noir sur blanc : « Sauver le pays de l’emprise de la gauche radicale. » La différence, cette fois-ci, est que le Project 2025 semble être taillé sur mesure pour Trump s’il advenait qu’il soit élu. Ce pavé fait mention de Trump plus d’une centaine de fois. Surtout, il consacre certains thèmes chers au candidat républicain qui promet, en meeting et en interview, « d’être un dictateur le premier jour ». Ainsi, l’Heritage Foundation ne fait pas mystère de ses intentions en suggérant d’en finir avec la toute-puissance de l’État, un thème classique chez les républicains, mais qui ici prend une dimension très régalienne, à rebours de la tradition américaine. Il est ainsi prévu de « démanteler le gouvernement fédéral » par la mise en œuvre « d’une expansion radicale du pouvoir présidentiel sur l’appareil gouvernemental » sur une transition de 180 jours baptisée « manuel de jeu ». Concrètement cela consisterait à regrouper toutes les agences fédérales (FBI et CIA par exemple) sous l’unique responsabilité de l’exécutif, c’est-à-dire sous celle de Trump. Pour se justifier, les rédacteurs du texte interprètent l’article 2 de la Constitution américaine qui dispose que le pouvoir exécutif du pays « est dévolu au président ». C’est la théorie de « l’exécutif unitaire » qui écarte le Congrès dans le contrôle des agences fédérales et des nominations des hauts fonctionnaires les dirigeant. Le Project 2025 va encore plus loin en permettant une sorte de chasse aux sorcières avec tests de loyauté des futurs fonctionnaires ou encore création d’une académie présidentielle pour former les nouveaux cadres du trumpisme amenés à rester à Washington bien après l’expiration d’un deuxième mandat de Trump. De tout cela, bien sûr, il n’est pas question dans l’Agenda 47. Trump lui-même parle de « bêtise abyssale », mais le mal est fait : en l’associant si fortement au candidat républicain, les démocrates en ont fait un repoussoir, voter pour Trump, c’est directement s’attaquer à la démocratie. Et s’il n’y avait que ça ! À la recherche du soutien crucial des suburban women (les femmes de banlieue), Donald Trump qui tente de donner des gages à ce segment de l’électorat doit également s’expliquer sur la partie « famille » du Project 2025 qui prévoit que toutes les grossesses doivent être menées à terme, même en cas de danger de mort pour la mère ou que le mariage hétérosexuel est la seule forme d’union possible. Un peu beaucoup pour un candidat qui a promis, à la grande déception des évangéliques, de « garantir les droits reproductifs des femmes », allant jusqu’à utiliser cette terminologie démocrate qui horripile tant les conservateurs.