Les populismes. Flux ou reflux ? Éditorial du n°14

1 juillet 2017

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Les populismes. Flux ou reflux ? Éditorial du n°14

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Il y eut le Brexit et l’élection de Trump. Puis les élections autrichiennes où le représentant du FPÖ échoua de peu. Et les présidentielles françaises où les candidats classés comme populistes atteignirent plus de 40% des voix au premier tour. Les coups de boutoir des populistes sont-ils en train de saper les murailles de ce qu’ils appellent le « système » ?

Curieux terme que celui de « système ». Il paraît encore plus vague que celui de « populisme », il permet aux critiques d’assimiler ce dernier à un mouvement inconsistant qui part à l’assaut d’une chimère à coups d’arguments approximatifs et grossiers – une sorte de Don Quichotte monté sur Sancho Panza.

Conflits n°14

Conflits n°14, juillet-août-septembre 2017

Pourtant il existe bien une convergence des intérêts et des élites. Voyez tous les scrutins que nous avons évoqués : les syndicats de patrons et de salariés, les présidents d’université et les mouvements étudiants, la grande presse et le showbiz, les obédiences maçonniques et les représentants des religions, les partis socialistes et libéraux… les voilà tous unanimes, tous mobilisés (1). Ces organisations que tout oppose parlent alors d’une même voix. N’est-ce pas avouer que le terme de «système» n’est pas dépourvu de signification ?

Tentons dès lors de le définir : une société composée d’organisations et de communautés qui, avec le temps, ont établi entre elles des compromis (les populistes parleraient de compromissions), chacune régentant un territoire comme un fief que les autres lui reconnaissent. On peut voir dans cet équilibre la preuve d’une société intégrée, apaisée et démocratique. Sauf que la grande masse de la population est censée faire confiance aux dirigeants de ces organisations – les « élites » – et rester silencieuse.

Le « système » peut se défendre. Réagissant en bloc, il avait déjà forcé Tsipras à se déjuger. Il a contenu les populistes lors des dernières élections en Europe, ainsi aux Pays-Bas ou en France, avec comme principal argument la peur de l’inconnu. Nul doute que ces résultats encourageront l’abstention, arme suprême. Au Royaume-Uni, les adversaires du Brexit n’ont pas renoncé à le faire capoter en jouant sur le temps. Aux États-Unis, les élites ont réussi à paralyser les premières initiatives de Trump – manifestations hostiles, révolte des grandes villes contre les décrets sur l’immigration, protestations des patrons de la Silicon Valley, action des juges, attaques de la presse. Et l’on a vu Donald Trump revenir sur une partie de ses engagements, du moins pour l’instant. Qu’il change encore d’avis et la procédure d’impeachment sera enclenchée. Si la menace devient trop forte, on peut toujours modifier le mode de scrutin comme certains l’ont suggéré après le Brexit. D’ores et déjà le référendum est discrédité, assimilé à la «fausse démocratie»: en 2005 le vote très clair des Français et des Néerlandais avait été modifié par un tour de passe-passe et déjà on se prépare à jeter aux poubelles de la démocratie la consultation plus modeste de juin 2016 sur la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Le « système » peut être rassuré. Les populistes sont divisés (entre gauche et droite), leurs moyens limités, leur capacité à diriger incertaine, leurs maladresses surprenantes. Ils ont été contenus partout ou presque. Un immense « ouf ! » a retenti. Ce soulagement se double d’une arrogance qui ne se dément pas (2). N’ont-ils pas compris que c’est ce mépris qui nourrit la colère ? Que les causes profondes du surgissement du populisme n’ont pas disparu ? Et qu’après le reflux peut revenir le flux ?

Pascal Gauchon

  1. La cohésion du « système » n’est pas toujours aussi nette qu’elle l’a été en France. Au Royaume-Uni, la grande presse n’est pas monochrome. Aux États-Unis, le monde des affaires s’est divisé à propos de Trump et une partie des Églises l’a soutenu
  2. Voir Jacques Séguéla sur C News, évoquant la supériorité de la France des villes – il avait d’abord parlé de « la France d’en haut ». À noter aussi Christophe Barbier expliquant que les éditorialistes sont des « tuteurs sur lesquels le peuple, comme du lierre rampant, peut s’élever » (Journal du Dimanche, 14 avril). Ou Lord John Kerr, sous le coup du Brexit : « Nous, Britanniques de souche, sommes si stupides que nous avons besoin d’une injection de gens intelligents et jeunes venus de l’extérieur. » Ou encore James Traub dans Foreign Policies (28 juin 2016) : « Il est temps que les élites se dressent contre les masses ignorantes. » Provocation ou inconscience ?

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Version en anglais ci-dessous

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Populism. Flowing, ebbing, flowing

Pascal Gauchon. Director of the review Conflits

There was the Brexit vote and the election of Donald Trump. Then came the election in Austria in which the FPÖ candidate came within an inch of winning. At the French presidential election, the candidates allegedly running as populists garnered more than 40% of the popular vote in the first round. Are the populists undermining the bulwarks of what they call ”le système”?

“Le système” is an odd term: it is even fuzzier than the term “populism” and makes it possible for critics to reduce it to some inconsistent group that takes on some chimera thanks to rough-and-ready or unrefined arguments. Simply put: it is described as a Don Quixote of sorts riding Sancho Panza.

And yet vested interests and those of the élites are liable to be the same: in all the afore-mentioned votes, bosses’ and workers’ unions, university presidents and students’ unions, mainstream newspapers and show-business types, Freemason Lodges and religious leaders, socialist and conservative parties…were all unanimous and mobilised. While such organisations are supposedly at odds, they spoke as one: is this not an admission that “le système” means something?

Let’s try and define its meaning; “le système” describes a society made up of organisations and communities that have struck a number of compromises over time -such compromises would be referred to as “petty arrangements” by populists. By common consent, each such organisation or community is ruling over some territory. Such fine balance could be construed as evidence that society is integrated, peaceful and democratic, were it not for the fact that most citizens are supposed to trust those who lead these organisations -the élites- and keep quiet.

“Le système” knows how to defend itself. Acting as a bloc, it compelled Tsipras to back down. It contained the populist wave that has swept across Europe -e.g. in France and the Netherlands- by warning against fear of the unknown. No doubt such outcomes will encourage low voter turnout, the ultimate weapon. In the United Kingdom, using the time card, Bremainers have not managed to scupper Brexit. In the United States, élites have managed to cripple Trump’s early action by staging protests, organising big-city rebellion against the president’s travel bans, putting Silicon Valley bosses in the limelight, calling on judges to step in or unleashing media attacks. Whereupon populist candidate Donald Trump has been seen to renege on his campaign commitments -at least for now. If he changes his mind again, impeachment could ensue. If the populist threat grows too strong, the voting system could be changed -as some suggested after the Brexit vote. Calling a referendum has now fallen into disrepute inasmuch as it is thought to be “phoney democracy”: in 2005, the French and Dutch vote overwhelmingly rejecting the EU constitution was conjured away while the June 2016 vote on the new Notre-Dame des Landes airport could soon land in democracy’s rubbish bin.

“Le système” can draw comfort: populists are divided -between left-wing and right-wing ones-, they lack resources, their leadership skills are wobbly and their blunders mind-boggling. They have been contained in most places, giving rise to a resounding sigh of relief. Which relief has come along with unrelenting self-complacency. Hasn’t anyone realised that such scorn fuels anger? That the deep-rooted ailments that have given rise to populism are not cured? That what goes round is liable to come round?

Pascal Gauchon

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