Depuis 4 siècles, le phare de Cordouan veille sur l’estuaire de la Gironde. Digne héritier des merveilles du monde, il est un protecteur rassurant pour les marins qui s’aventurent sur l’Atlantique.
Surnommé le « phare des rois », le « Versailles de la mer », ou encore « le roi des phares », il est le témoin de périodes architecturales remarquables. Ouvrage de signalisation marine magistrale, il est le premier phare de France et le plus ancien encore en activité.
« Le phare des rois »
Situé à 7 km du littoral, à l’entrée de l’estuaire de la Gironde formé par la confluence de la Garonne et de la Dordogne, le phare de Cordouan a été bâti sur un îlot rocheux en plein océan. Dès le XIe siècle, cet îlot rocailleux attire des vocations solitaires. L’abbé Etienne de Saint-Rigauld et le frère prieur Ermenaud s’y installent, désireux de se retirer du monde pour se consacrer à la prière. En cas de danger pour les marins, ils sonnent une cloche et allument un feu. Mais l’estuaire de la Gironde est un véritable cimetière marin. Bordeaux étant un centre de négoce de premier plan, la sécurisation des voies marines devient une priorité. Au XIVe siècle, le prince d’Aquitaine, Edouard de Woodstock, fils aîné du roi d’Angleterre Edouard III, qui gouverne la Guyenne de 1362 à 1371, érige sur l’île de Cordouan une tour à feu, la « Tour du Prince noir ». Chaque nuit, un ermite allume un grand feu au sommet de la tour afin de guider les marins. Il prélève également un droit de passage sur les navires pénétrant dans l’estuaire. Mais la tour est vite laissée à l’abandon. À la fin du XVIe siècle, le phare n’est plus que ruines. Les naufrages se font de plus en plus fréquents. Le maréchal de Matignon, gouverneur de Guyenne, se préoccupe de la sécurité des marins. Le 2 mars 1854, soutenu par le roi de France Henri III et par son ami Michel de Montaigne, maire de Bordeaux, il confie à l’ingénieur-architecte Louis de Foix le projet de faire de ce phare une œuvre royale, digne des anciennes merveilles du monde. Un chantier en pleine mer n’est pas chose aisée, et la construction est ralentie par les Guerres de Religion et le coût titanesque des travaux.
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A la mort d’Henri III, Henri IV reprend le flambeau. Il transforme alors le phare en symbole du pouvoir royal, en y installant une chapelle royale et une chambre ornée de bustes et de statues. En 1592, Matignon nomme une commission chargée de recevoir les travaux exécutés par Louis de Foix. Le rapport estime à 25 écus la toise de maçonnerie, une somme tout à fait considérable pour l’époque. Il s’agit également de maintenir en état la cité ouvrière, qui comprend les chantiers, le four à chaux, les ateliers, la menuiserie, la charpenterie, le charronnage, la forge, les logements pour la cinquantaine d’ouvriers, les magasins de vivres, le chai, le moulin , le fou à pain, et enfin les écuries pour les 6 ou 7 chevaux qui charrient les matériaux. En 1611, 27 ans après le début des travaux, la construction s’achève enfin. Louis de Foix, mort en 1602, n’aura pas assisté à l’inauguration de son œuvre. Il y aura consacré sa vie et sa fortune durant 18 ans. Une légende du XVIIIe siècle raconte qu’il aurait été inhumé dans le phare. Son fils reprend le chantier, mais, ruiné, il confie la tâche à François Beuscher, qui achève la construction.
« Le roi des phares »
En 1611, cette tour ronde de trois étages, haute de 37 mètres, est alors constituée d’un petit dôme à 8 baies fermées de vitraux. Un bassin placé sur un piédestal en bronze recueille le combustible, du bois enduit de poix, d’huile et de goudron. La fumée est évacuée par une pyramide de 6,50 mètres de haut. Une fois le phare achevé, les défenses ne sont plus entretenues. La mer a rapidement raison de ce qui subsistait de la cité ouvrière. En 1645, une violente tempête détruit le dôme, rétabli en 1664. Le combustible est alors remplacé par du blanc de baleine. En 1719, la partie supérieure de la tour est démolie, puis reconstruite en 1724 sur les plans du chevalier de Bitry, ingénieur en chef des fortifications de Bordeaux. À la fin du XVIIIe siècle, la partie supérieure de la tour est en très mauvais état, et les marins se plaignent de l’insuffisance de la portée lumineuse de Cordouan. L’architecte Joseph Teulère remporte alors un concours lancé par le Secrétaire d’État à la Marine en 1786. Il se voit confier le projet fou de surélever le phare de près de 30 mètres, afin d’en améliorer l’éclairage. Il parvient à conserver l’édifice de la Renaissance et son caractère symbolique. Le style architectural de la partie supérieure, typique du XVIIIe siècle, plus austère, ne dénote pas. Au XIXe siècle, Cordouan devient un terrain d’expérimentation des ingénieurs qui cherchent à améliorer le système d’éclairage des phares. En 1823, Augustin Fresnel y expérimente un prototype de lentille à échelons qui révolutionne l’éclairage moderne des phares. La « lentille de Fresnel » équipe la plupart des phares dans le monde aujourd’hui. Puis sous le Second Empire, des logements pour les gardiens sont aménagés au rez-de-chaussée.
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Cette tour blanche, haute de 68 mètres, pourvue de six étages, est le dixième phare le plus élevé du monde, et le troisième en France. Au rez-de-chaussée, un portail monumental donne accès au vestibule, d’où part un escalier de 301 marches menant au sommet. Au premier étage se trouve l’appartement du roi, aménagé en 1664 par Colbert, nommé ainsi bien qu’aucun roi ne soit jamais venu y séjourner. Au troisième, la « salle des Girondins » ou « salle des Bordelais » est issue du premier niveau de surélévation mené par Joseph Teulère. Puis deux paliers et une « salle des veilles » précèdent le sommet, où se trouve la lanterne. Cordouan est le dernier phare français occupé par des gardiens.