<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le nouveau positionnement géopolitique des Philippines

5 juillet 2022

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Photo : Crédits: Pixabay

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Le nouveau positionnement géopolitique des Philippines

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Les élections présidentielles des Philippines ont porté au pouvoir le fils de l’ancien président Ferdinand Marcos. Sa colistière est la fille du président sortant Rodrigo Dutertre. Rien ne semble donc changer pour l’archipel, qui tente pourtant de se positionner entre la Chine et les États-Unis.

Le nouveau président philippin, Ferdinand « Bongbong » Marcos, fils du défunt dictateur Ferdinand Marcos (1917-1989), qui exerça sa férule sur le pays pendant deux décennies entre 1965 et 1986, a remporté l’élection présidentielle du 9 mai 2022. Sa colistière, Sara Duterte, fille du président sortant, Rodrigo Duterte, est devenue vice-présidente, scellant ainsi une alliance entre deux puissants clans familiaux : les Marcos, dans leurs fiefs au nord et au centre du pays (provinces d’Ilocos Norte et de Leyte) et les Duterte, au sud, à Mindanao. Sur fond de montée des tensions au cœur de l’Indo-Pacifique, comment ce duo de dirigeants à la tête d’un pays de 110 millions d’habitants occupant une place stratégique de choix, peut-il se positionner dans la course hégémonique que se livrent les puissances américaine et chinoise ? En effet, si pour les États-Unis, l’accès aux bases militaires philippines est aujourd’hui vital pour dissuader l’agression chinoise en mer de Chine méridionale, en particulier, et en Asie en général[1], en ce qui concerne la Chine, les Philippines offrent incontestablement un tremplin stratégique de choix pour exercer sa domination en Asie du Sud-Est voire dans toute l’Asie[2].

Les Philippines, pièce maîtresse sur l’échiquier de l’Indo-Pacifique  

Situé au carrefour des grandes routes commerciales, l’archipel des Philippines constitué de plus de 7000 îles, fut pendant plus de trois siècles une colonie de la Couronne espagnole (1565-1898), avant de tomber dans l’escarcelle des États-Unis (1898-1946). En raison de leur position maritime stratégique, les Philippines jouèrent notamment un rôle déterminant dans les campagnes menées par les Alliés pendant la Guerre du Pacifique (1941-1945), pour repousser l’Empire du Japon.  Après l’indépendance du pays en 1946, l’objectif des États-Unis a été de continuer à utiliser le territoire philippin pour leurs besoins stratégiques en cas de conflit dans la région, comme lors des guerres de Corée et du Vietnam. Les Américains ont établi avec les Philippines une relation bilatérale spéciale incarnée par de nombreux accords de défense, concernant notamment la mise à disposition de bases militaires au profit de l’armée américaine. Avec l’arrivée au pouvoir de Rodrigo Duterte en 2016, cette relation a été momentanément écornée en raison du rapprochement des Philippines avec la Chine, avant de reprendre son cours habituel à compter de 2021.

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Les États-Unis et les Philippines sont liés depuis 1951 par un Traité de défense mutuelle (Mutual Defense Treaty, MDT), précédé en 1947 par le Military Bases Agreement. En 1991, le Sénat philippin a rejeté le renouvellement de cet accord, ce qui a conduit au retrait, en 1992, des forces américaines stationnées aux Philippines. En 1998, Américains et Philippins ont conclu l’accord sur les forces étrangères (Visiting Forces Agreement, VFA) et renforcé leur coopération, comme l’illustre la reprise de grands exercices militaires conjoints. En 2014, l’Administration Obama a renforcé cette alliance en signant un accord de coopération renforcée en matière de défense (Enhanced Defense Cooperation Agreement, EDCA).

En février 2020, Rodrigo Duterte a ordonné la résiliation de l’accord VFA de 1998 sur les bases militaires, mais ce positionnement a été de courte durée. Le président ayant finalement renoncé à rompre la continuité dans la relation stratégique avec les États-Unis, l’accord VFA a été rétabli en juillet 2021. Ce revirement est illustré par le soutien apporté par les Philippines, en septembre 2021, au pacte tripartite AUKUS, conclu entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie pour contrer l’expansionnisme chinois dans l’Indo-Pacifique[3].

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Une lune de miel avec la Chine de courte durée

Dès le début de son mandat en 2016, Rodrigo Duterte a montré sa détermination à maintenir de bonnes relations avec la Chine, manifestant notamment un vif intérêt pour l’initiative des Routes de la Soie et escomptant une aide conséquente chinoise de plusieurs milliards de dollars en matière d’infrastructures. Mais cet engouement s’est vite heurté aux réticences d’une partie des forces armées philippines et de « l’Establishment de Défense philippin » qui, selon le chercheur Derek Grossman, « considère la Chine comme la principale menace pour Manille ». Par exemple, le projet de construction par la Chine du nouvel aéroport de Sangley d’un coût de 10 milliards €, près de la capitale, a suscité des inquiétudes en raison de sa proximité avec des installations militaires importantes. Ceci a conduit l’amiral philippin Alexander Pama à alerter sur les conséquences en matière de sécurité nationale d’un tel projet, décrit comme « un poignard pointé vers le cœur de la nation ».

Le rapprochement sino-philippin n’a finalement pas survécu à l’intransigeance de la Chine en mer de Chine du Sud pour faire aboutir ses prétentions territoriales au détriment des Philippines (mais aussi du Vietnam, de la Malaisie, de Brunei et de Taiwan) dans un contexte où le scénario d’une invasion de Taiwan par la Chine est régulièrement évoqué[4]. En effet, à partir de 2019, les relations sino-philippines ont été émaillées de plusieurs incidents graves. Dès le début du mandat de Rodrigo Duterte, à l’été 2016, un tribunal ad hoc affilié à la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye avait jugé que la Chine avait « violé les droits souverains » de Manille dans sa zone économique exclusive (ZEE)[5]. Le rapprochement avec la Chine initié par les Philippines n’a nullement empêché, en 2019 et en 2020, l’encerclement par des navires chinois de l’île de Thitu (Pag-asa), dans l’archipel de Spratleys, situé sur une route importante pour le trafic maritime mondial et dont les alentours recèlent des ressources en hydrocarbures et une grande richesse halieutique. L’île de Thitu, contrôlée par les Philippines, est revendiquée par la Chine. En avril 2020, Pékin a officiellement déclaré la mise en place d’un contrôle administratif sur des îles contestées en Mer de Chine du Sud[6]. Face à ces évolutions, un an plus tard, en avril 2021, le président philippin a menacé la Chine d’une réponse militaire[7]. Les projets de prospection pétrolière conjointe dans des zones contestées par les deux pays ont finalement été suspendus en avril 2022[8]. En conclusion, au vu de la montée des tensions régionales et internationales en 2022, il est prévisible que Bongbong Marcos poursuivra le positionnement en faveur des États-Unis réamorcé par son prédécesseur Rodrigo Duterte. Ses ennuis judiciaires pourraient également jouer en ce sens. En effet, il fait l’objet de poursuites de la part de la justice américaine, dans le cadre d’une procédure visant à récupérer 353 millions de dollars sur les 10 milliards de dollars détournés par son père pendant la sinistre période de la loi martiale (1972-1981). Il ne pourrait donc désormais se rendre aux États-Unis qu’en invoquant son immunité présidentielle[9]. La position de la vice-présidente Sara Duterte est également fragilisée sur la scène internationale, attendu que son père fait l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale. Sa guerre antidrogue a eu pour conséquence l’exécution de plusieurs de milliers de Philippins accusés de trafic, ce qui pourrait constituer, selon la CPI, un crime contre l’humanité[10].

[1] https://foreignpolicy.com/2021/11/02/duterte-china-philippines-united-states-defense-military-geopolitics/

[2] https://manilastandard.net/opinion/columns/354484/why-the-philippines-is-important-to-china.html

[3] https://www.rfa.org/english/news/china/pact-09212021152655.html

[4] https://www.rand.org/blog/2021/05/china-has-lost-the-philippines-despite-dutertes-best.html

[5] Daniel Schaeffer : « Mer de Chine du Sud. Code de conduite : la grande chimère », Diploweb, 30 janvier 2016

[6] https://news.cgtn.com/news/2020-04-18/China-s-Sansha-City-establishes-Xisha-Nansha-districts-PN5hyJkgFy/index.html

[7] https://www.reuters.com/world/asia-pacific/philippines-duterte-would-send-navy-ships-south-china-sea-assert-claim-over-2021-04-19/

[8] https://www.rfa.org/english/news/china/philippines-southchinasea-04212022134327.html

[9] https://www.rappler.com/newsbreak/explainers/explainer-can-marcos-jr-as-president-travel-united-states/

[10] https://asia.nikkei.com/Opinion/The-International-Criminal-Court-is-coming-for-Rodrigo-Duterte

À propos de l’auteur
Ana Pouvreau

Ana Pouvreau

Spécialiste des mondes russe et turc, docteure ès lettres de l’université de Paris IV-Sorbonne et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Éditorialiste à l’Institut FMES (Toulon). Auteure de plusieurs ouvrages de géostratégie. Auditrice de l’IHEDN.

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