Le RSS est une organisation nationaliste indienne connue pour ses liens étroits avec le Bharatiya Janata Party de Narendra Modi. Promoteur d’un « nationalisme culturel » fondé sur la notion d’ « hindutva », le RSS est décrié en Occident comme une association suprématiste et paramilitaire désirant marginaliser les minorités religieuses indiennes. Ram Madhav, membre du comité exécutif du RSS, livre à Conflits dans cet entretien exclusif le point de vue des nationalistes indiens.
Ram Madhav est un homme politique, auteur et penseur indien qui est actuellement membre du comité exécutif national du Rashtriya Swayamsewak Sangh (RSS). Auparavant, il était secrétaire général national du Bharatiya Janata Party (BJP), parti de Narendra Modi au pouvoir depuis 2014. M. Madhav a écrit plusieurs livres en anglais et en télougou, le plus récent étant Because India Comes First : Reflections on Nationalism, Identity and Culture. Il a écrit pour plusieurs publications, notamment The Indian Express et Open Magazine. Il a également été rédacteur en chef de Bharatiya Pragna, un magazine mensuel en anglais publié par Pragna Bharati, et rédacteur en chef adjoint de Jagriti, un hebdomadaire en télougou.
Propos recueillis par Louis du Breil.
Vous êtes membre du comité exécutif du RSS. Quelle sont la nature et la mission de cette organisation ?
Le RSS est une organisation non gouvernementale indienne travaillant sur des problématiques sociales et culturelles. C’est une très grande organisation qui a 60 000 branches à travers le pays et qui possèdent de nombreux centres dans les villes ou les villages indiens. Elle compte entre 6 et 8 millions de membres participant aux différentes activités qu’elle propose. Son influence est très vaste. Les membres du RSS s’engagent par exemple dans de nombreuses activités éducatives. 30 000 écoles primaires et secondaires sont directement administrées par ses membres. Il s’agit d’écoles privées tenues par nos membres mais qui appliquent le programme scolaire du gouvernement. Nous mettons également en œuvre 200 000 projets de services pour aider les populations indiennes les plus pauvres que ce soient dans le domaine hospitalier, le domaine de l’aide médicale, ou encore celui du soutien aux agriculteurs. Comme vous pouvez le constater, c’est une ONG qui propose un éventail d’activités très large.
Le RSS s’attache à l’idée que l’Inde est un pays très ancien avec une histoire de plusieurs milliers d’années. Nous croyons que l’unité de l’Inde dépend de la compréhension, du respect et du maintien de son héritage culturel. La mission du RSS est de promouvoir cette culture qui embrasse les religions et les traditions qui ont fait l’unité de l’Inde pendant plusieurs millénaires. En bref, le RSS encourage la protection et la diffusion de la culture hindoue. Son idéologie se résume dans cette formule de « nationalisme culturel ». Nous promouvons une forme de nationalisme qui n’a rien à voir avec le nationalisme hitlérien basé sur la suprématie raciale. Notre nationalisme vise à réunir l’ensemble de la population dans les respect de chacun et l’égalité pour tous. Dans cet esprit, nous pensons que seule la culture hindoue peut faire du peuple indien une seule nation, seule la culture hindoue peut structurer son unité. Tels sont le combat et la mission du RSS.
S’agit-il de retrouver les racines culturelles de la nation indienne à partir desquelles pourraient se construire un projet politique ? Peut-on faire un parallèle avec ce qu’on appelle les racines judéo-chrétiennes et gréco-romaines pour la civilisation occidentale ?
Dans le monde, les nations se bâtissent sur différents fondements. Comme vous le dîtes justement, certaines nations se fondent sur une base religieuse comme les nations judéo-chrétiennes et certaines nations se fondent sur une base politique comme c’est le cas de certains États-nations en Europe. En Inde, nous croyons que notre identité nationale n’est ni politique ni religieuse, elle est culturelle. En réalité, l’hindouisme n’est pas une seule et unique religion singulière. Au sein de l’hindouisme, il y a de nombreuses religions. L’hindouisme est d’abord une identité culturelle. Il véhicule un ensemble de valeurs qu’on pourrait appeler des valeurs hindoues, mais elles ne sont pas religieuses, elles n’exigent pas de vous l’adoration d’un dieu ou d’un livre quelconques. Ce sont des valeurs libérales. Nous rejetons l’idée suprématiste du nationalisme qui est complètement « anti-hindou ».
A lire aussi : Inde : large victoire du BJP aux élections locales
Mais alors comment expliquez-vous les critiques provenant de la presse occidentale qui dénoncent le nationalisme hindou comme un système exclusif à l’encontre des minorités religieuses et au profit de la seule communauté hindouiste au sens religieux du terme ?
Il y a beaucoup d’informations biaisées qui mènent à une mauvaise compréhension du RSS. Cette désinformation provient essentiellement des mouvements de gauche indiens qui ont fait du RSS une sorte d’association parée d’un style nazi à but militaire ou paramilitaire. Au contraire, le RSS rejette toute forme d’autoritarisme ou de suprématisme. Son esprit se fonde sur les milliers d’années d’expérience culturelle de l’Inde.
Il faut d’abord revenir sur ce quiproquo qui consiste à faire du RSS une organisation militaire. Une partie des activités proposées par le RSS sont des activités physiques. Nous faisons de l’exercice physique, du yoga, car nous voulons garder nos membres en bonne santé. Dans le contexte de ces activités, nous imposons un uniforme. Toutes les écoles imposent des tenues adéquates pour les activités sportives. Quand vous jouez au football, vous avez besoin d’une tenue adéquate. Le fait que nos membres portent des uniformes pour leurs activités physiques ne font pas d’eux des militaires. Nous ne proposons aucune formation militaire et nous n’utilisons pas d’armes.
Cette idée a été en réalité largement diffusée par les adversaires du RSS qui n’acceptent pas l’idée que la culture puisse être la fondation de l’identité de la nation. Dans le même esprit, cette intelligentsia de gauche qui aime à décrire le RSS comme un mouvement nazi ou fasciste, s’attaque également aux valeurs conservatrices auxquelles nous nous attachons. Mais si vous observez bien, il existe cette même idéologie en France ou en Amérique du Nord. Quant à la nouvelle idéologie woke qui influence et contamine toutes les sociétés, elle s’attaque à tout ce qui est basé sur certaines valeurs, aussi bien les valeurs judéo-chrétiennes que les valeurs hindoues.
Il y a pourtant également des critiques contre le RSS qui viennent des milieux conservateurs européens notamment en ce qui concerne le traitement des chrétiens en Inde. Le cas des missionnaires de la charité de Mère Teresa a récemment été évoqué dans la presse.
Il y a eu une mécompréhension à propos de la révocation d’une procédure octroyée aux Missionnaires de la charité par notre gouvernement il y a quelque mois, qui a d’ailleurs été annulée par la suite. Mais cette révocation avait une raison spécifique. En Inde, des dizaines de milliers d’ONG dont celle de Mère Teresa, mais aussi nos ONG du RSS, profitent d’un système privilégié pour les contributions financières de l’étranger. Les deux dernières années, le gouvernement a fait un effort pour délimiter ce système et réguler les utilisations de ces contributions financières. Au cours du processus, de nombreuses ONG ont fait face à certaines difficultés parce qu’elles n’ont pas pu fournir certains documents exigés par cette loi. Malheureusement, les Missionnaires de la charité tombèrent dans cette catégorie et donc leur FCRA (Foreign Contribution Regulation Act) leur fut temporairement retiré. Tout comme il fut retiré pour 3 ONG du RSS.
Les Missionnaires de la charité ont maintenant récupéré ce statut contrairement à d’autres organisations indiennes. Mais vous comprenez qu’il ne s’agissait pas de viser des organisations sur un fondement religieux. Il s’agissait d’une réforme législative engagée par le gouvernement qui concernait toutes les ONG.
L’histoire indienne est ancienne et diverse. Quelle est la culture que le RSS promeut ? Une grande partie de l’Inde a aussi été gouvernée par des musulmans pendant plus de 600 ans.
Il arrive qu’il soit difficile pour les Européens de comprendre que des pays comme l’Inde qui existent depuis plusieurs milliers d’années, qui ont construit une grande tradition culturelle au cours de l’histoire même s’il y a eu des gouvernements étrangers pendant quelques siècles, n’ont jamais complètement perdu leur culture. Dans notre cas, nous avons été gouvernés par les Moghols pendant un temps – ceux que vous appelez les gouvernements musulmans –, ensuite par les Britanniques et d’autres comme les Français pendant quelques décennies ou quelques siècles. Mais l’essentiel de la culture du pays, la culture hindoue, est resté intacte. Elle a eu des hauts et des bas mais n’a jamais complètement disparu.
Contrairement à ce qui arriva en Europe quand la culture grecque a petit à petit disparu, sa lointaine cousine hindoue qui lui était contemporaine n’a pas disparu.
Pour revenir sur les règnes musulmans en Inde, il est vrai que certains de ces rois ont essayé d’effacer la culture hindoue. Ils n’y sont jamais parvenus car l’Inde est un pays très vaste et ses règles culturelles sont restées fortes. Mais j’ajouterais que tous les rois musulmans n’ont pas essayé de détruire la culture indienne. En effet, certains d’entre eux ont même créé des pratiques syncrétiques comme Akbar par exemple.
Encore une fois, aussi surprenant que cela puisse paraître pour un Européen, nous ne sommes pas en train de faire remonter à la surface de vieux éléments culturels disparus. Pas du tout, cette culture n’a jamais cessé d’exister.
En fait, il y a actuellement une grande confrontation idéologique. Prenez la société française. Aujourd’hui c’est une société majoritairement laïque. Il n’y a pas de reconnaissance ou d’appréciation d’une culture, d’une histoire ou d’une religion spécifiquement françaises. Très peu de gens s’identifient à ce genre de discours. Essentiellement, la société française est une société laïque rejetant son passé comme identité. A part quelques monuments historiques, il n’y a rien d’autre avec quoi vous vous identifiez comme nation.
Or nous ne sommes pas comme cela. Les pays orientaux comme l’Inde, la Chine, le Japon sont des sociétés qui ont gardé leurs traditions culturelles intactes pendant qu’elles entraient dans la modernité. Nous avons pris ce qu’il y avait de bon dans la laïcité mais nous avons maintenu notre identité culturelle.
L’Inde ne peut pas être comprise à partir d’une mentalité européenne laïque, mais à travers l’expérience culturelle indienne.
A lire aussi : L’Asie face à la guerre en Ukraine
Il apparaît pourtant qu’un certain nombre de musulmans semblent inquiets de la politique menée par le BJP et n’appartiennent pas aux partisans de Modi.
D’abord, il est important de rappeler qu’en Inde il y a 210 millions de musulmans. Cette population est énorme. En réalité, à partir du moment où vous les appelez une « minorité », c’est que vous avez cette fausse représentation d’un petit groupe de personnes isolées. Non, c’est une grande population. Ils sont majoritaires dans deux États indiens. Beaucoup d’entre eux sont législateurs, juges et juristes, ils sont présents partout dans le monde du travail ou encore dans le gouvernement.
Deuxième chose, il n’est pas vrai de dire qu’ils ont peur du BJP. En Inde, c’est l’État de droit qui prévaut. Si quelqu’un viole l’État de droit, nous ne regardons pas la religion de la personne. La plupart des musulmans indiens vivent pacifiquement avec leurs concitoyens hindous. C’est une propagande complètement fausse de dire qu’ils auraient peur du BJP.
Y a-t-il des musulmans au BJP par exemple ?
Bien sûr qu’il y a des musulmans au BJP. Nous travaillons d’ailleurs avec des partis musulmans. Entre 2015 et 2018, nous avons gouverné le Cachemire pendant 3 ans avec des partis musulmans cachemiri. Si les musulmans avaient peur du BJP, comment cela aurait-il pu être possible ?
La même propagande est diffusée à propos des chrétiens alors que des États comme le Nagaland ou le Meghalaya sont majoritairement chrétiens. La moitié de la population de l’Arunachal Pradesh est chrétienne. Certains de ces États sont gouvernés par des leaders chrétiens du BJP.
Parfois, des évènements anecdotiques sont projetés de manière disproportionnée. Nous condamnons évidemment toutes les attaques violentes que ce soient sur les musulmans ou les chrétiens. Mais la propagande selon laquelle ils auraient peur du BJP est fausse.
Vous êtes un des meilleurs spécialistes du concept d’« hindutva ». En quelques mots, comment le définissez-vous ?
L’hindutva n’est pas autre chose que l’hindouisme en pratique. Attention il ne s’agit pas de religion. Il est important de comprendre qu’il n’y a pas de religion hindouiste en Inde. Pour toute religion, vous avez besoin d’un prophète, d’un dieu, d’un livre et d’une morale traditionnelle à suivre. L’hindouisme n’a pas seulement un dieu, il en a beaucoup. Il n’a pas seulement un livre mais beaucoup de livres. L’hindouisme n’est pas une religion mais un système culturel dans lequel toute religion peut exister y compris l’islam et le christianisme. Un musulman peut être culturellement hindou même s’il reste religieusement musulman. C’est un peu compliqué parce que la culture indienne est en effet très différente de la vôtre. Mais il faut comprendre qu’en Inde nous avons toujours accueilli une multiplicité de religions. Vous trouverez en Inde des nouvelles religions ou des nouveaux gourous se développant tous les jours. Certains d’entre eux viennent aussi à Paris d’ailleurs.
L’hindouisme est une culture et pas une religion. En réalité, l’hindutva pourrait se traduire par « hindouité » (« hinduness »). Ce serait un peu la « francité » (« frenchness ») si vous voulez ou plutôt ce que c’est que d’être un bon Français.
Est-ce l’hindutva qui fait l’unité de l’Inde ?
Quand nous sommes devenus indépendants, Clement Attlee avait remplacé Winston Churchill en 1945 comme Premier ministre de Grande-Bretagne. Quand Attlee a décidé de l’indépendance de l’Inde en 1947, Churchill lui expliqua que l’Inde était incapable de se gérer par elle-même et qu’elle allait s’effondrer si on lui donnait l’indépendance. Non seulement l’Inde a survécu à sa douloureuse partition mais elle est aujourd’hui une démocratie dynamique et vivante d’1,3 milliards de personnes et elle fait partie des nations les plus respectées au monde. Pourquoi ? Parce que l’Inde n’est pas née en 1947. Sa conscience nationale basée sur sa culture est née il y a des millénaires.
A lire aussi : Vârânasî : le cœur battant de l’Inde
A écouter aussi : Podcast : Le réveil de l’Inde. Gilles Boquérat