Le miel : un produit aux enjeux mondiaux

21 mars 2024

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Un apiculteur allemand, à Berlin, le 30 mai 2023.//Z-CAROFOTOS_00S230530D273CAROEX/Credit:Caro / Sorge/SIPA/2402161734

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Le miel : un produit aux enjeux mondiaux

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Fortement consommé en France, le miel est le produit d’un artisanat méconnu. L’apiculture a connu ces dernières années de nombreuses difficultés aux facteurs composites. Tributaires de l’environnement et d’un marché déséquilibré, les apiculteurs s’efforcent de répondre, non sans peine, aux défis actuels qui s’imposent à eux.

Le miel suscite l’engouement des Français. Il est produit dans toutes les régions françaises : Bretagne, Nouvelle-Aquitaine, à la forte diversité florale, Provence, célèbre pour ses miels de lavande, Occitanie, quiconcentre 22% de la production française de miel. Une production française qui ne cesse de diminuer et qui est inférieure à la consommation nationale. D’où les importations afin de pouvoir répondre à la demande.

Apiculteur : un métier qui se perd

La connaissance et la pratique du métier d’apiculteur sont plus bas que jamais. Sans ce renouvellement dans les générations, de moins en moins d’apiculteurs reprennent les ruches, et de facto, la production de miel décroît. De surcroît, les apiculteurs qui persistent sont de plus en plus âgés, ce qui suggère aussi un départ à la retraite en masse au cours des dix prochaines années. À l’exception de ce phénomène, dans lequel les maisons d’apiculteurs s’étendent globalement sur deux générations, puis s’éteignent, il est le lieu de considérer en outre l’enjeu environnemental.

De fait, la profession d’apiculteur demande beaucoup d’investissement, tant personnel que financer, pour parfois peu de rentabilité. Il peut être parfois mal aisé de tirer suffisamment de ressources d’un tel métier. Or la connaissance de la filière est indispensable pour sa survie et sa transmission. Être apiculteur n’est pas tout à fait exempt de risques physiques, et très tributaire des conditions météorologiques.

Les abeilles soumises aux questions climatiques

Les hivers très doux dérèglent les comportements des abeilles. Henri Nicolas, co-fondateur de l’Atelier Gascon, entreprise qui s’engage à proposer une gamme de miels de qualité supérieure et cherche à revaloriser le travail des apiculteurs français, explique avoir dû affronter dans le Sud-Ouest un mois de décembre autour de 15 degrés. Cela ne s’avère pas sans conséquences : sans un hiver plus marqué par la fraîcheur des températures, la vie de la ruche ne peut s’arrêter et reprendre après l’hiver. La sécheresse, les pluies diluviennes, les moindres variations de température créent un impact d’ampleur sur les abeilles et leur exploitation. En outre, les facteurs environnementaux agissent directement sur la perte de la diversité florale. Ainsi les abeilles n’ont-elles plus accès à une nourriture de qualité, ce qui perturbe leur comportement et, de facto, la survie des colonies.

C’est aussi sans compter l’intervention de causes chimiques, notamment à travers l’exposition des abeilles à des produits pesticides qui réduisent leur immunité et les rendent plus faibles. Ces facteurs agissant de concert sont participatifs d’une situation globale alarmante du point de vue de la production du miel. Luc Belzunces, responsable du laboratoire de toxicologie environnementale de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) mentionne un « cercle vicieux » d’actions combinées qui précipitent le déclin des abeilles.

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Des inégalités au sein même de la filière

Les apiculteurs se divisent en deux catégories : ceux qui font appel à des grossistes – ceux-là contiennent souvent davantage de ruches (un minimum de 700 ruches) – et ceux qui pratiquent la vente au détail – qui se consacrent à un nombre plus limité de ruches – et par conséquent semblent avoir davantage de chances de réussite. La vente de détail est notamment mise en exergue par Henri Nicolas comme moyen d’exception pour s’en sortir. Les apiculteurs devant faire appel à des grossistes doivent s’accorder sur des tarifs extrêmement faibles, qui sont, revus à la baisse tous les ans. Ceux-là s’en sortent peu sur le marché actuel, malgré une consommation d’ampleur de la part des Français. Beaucoup d’apiculteurs, pour tenter de s’en sortir, ne comptent plus uniquement sur le miel, et usent notamment de la cire de ruche pour créer des produits dérivés.

Une importation de masse de l’étranger

En effet, même si la consommation a fortement diminué en 2023, la France reste l’un des premiers consommateurs de miel en Europe : plus de 45 000 tonnes de miel sont consommées chaque année en France. Un miel bien souvent importé des pays étrangers : Ukraine, Espagne, ou encore Argentine. La production française est quant à elle en diminution constante puisqu’en vingt ans elle a été divisée par trois. Chaque année, la France importe environ 35 000 tonnes de miel de l’étranger.

Les plus gros revendeurs de miel se fournissent dans les pays d’Europe de l’Est et en Espagne. La différence de prix provient des coûts de main d’œuvre ainsi que des coûts de carburant. Pour des apiculteurs comme Henri Nicolas, c’est la première dépense, puisque les ruches sont déplacées dans différentes régions. Comme tout grossiste alimentaire, les revendeurs vont chercher des budgets beaucoup plus intéressants, sans forcément procéder à tous les contrôles de qualité. C’est pour cela qu’en dépit de son prix, le miel français a meilleure réputation.

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Un miel falsifié qui témoigne d’une situation précaire

Par ailleurs, ce facteur est appuyé par des techniques frauduleuses, nées à l’étranger, relatives à la production du miel : l’adultération, qui consiste à couper du miel avec du sirop industriel, ou bien certains apiculteurs qui font le choix de nourrir artificiellement leurs abeilles en leur donnant du sucre pendant la miellée. Selon une étude publiée en 2015 par l’Union européenne, sur 1 200 miels importés en France, plus de 30% avaient un caractère frauduleux.

Pourtant, l’Union européenne a mis en place des mesures pour lutter contre, d’une part, cette forte importation de l’étranger et pour mettre en avant l’artisanat français, et d’autre part, ces techniques frauduleuses qui compromettent la qualité du miel. L’organisme interétatique a pris la décision d’afficher les pays d’origine sur chaque pot de miel. On peut douter de l’efficacité de telles mesures, à l’instar d’Henri Nicolas, qui considère ces mesures comme relativement inefficaces, en plus de résulter de décisions de ceux qui maîtrisent le marché du miel. Si les mesures institutionnelles ne donnent pas lieu à des résultats d’ampleur, de quels moyens les apiculteurs peuvent-ils user pour lutter ?

Des remèdes proposés par les professionnels

Il y a des apiculteurs qui tentent de se solidariser, afin de lutter ensemble contre les défis auxquels ils sont confrontés. C’est le cas de l’atelier Gascon, co-fondé par Henri Nicolas, apiculteur, et son frère Louis-Xavier. L’entreprise met en avant l’aide aux apiculteurs français, et use d’une diversité de moyens pour valoriser leur travail. Grâce à la société de production dont il est lui-même propriétaire, il revend en épicerie fine sous la marque Maison Apicole. Il tente ainsi de recopier ce schéma avec leurs maisons partenaires. L’Atelier Gascon privilégie la mise en valeur de leurs produits, par un packaging un peu différent, qui attire l’œil du consommateur et l’enjoint à dépenser un peu plus dans ces produits.

Cela passe également par d’autres moyens : Henri Nicolas propose de partager du matériel d’extraction et du matériel de mise en pot ; les ouvriers agricoles qu’il engage peuvent également travailler pour ses partenaires ; enfin, ils accueillent sur un espace dont ils sont propriétaires les apiculteurs qui n’ont pas les moyens, la place, ou simplement l’envie de pratiquer chez eux. Il s’agit en outre de faire découvrir l’artisanat qu’est le métier d’apiculteur, trop peu connu, par des salons et des marchés. Pour les professionnels français de l’apiculture, la filière est sous-exploitée. Toutefois, il semble que l’apiculture, à l’avenir, change de paradigme. De fait, il flotte une forme de conscience sociale, celle du savoir-faire français, qui tend vers la consommation de produits plus locaux.

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Emmanuelle Barbier de La Serre

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