Véronique Besse est députée (Vendée) et présidente de l’association Solidarité Vendée – Liban. Elle est également membre du Groupe d’amitié France-Liban à l’Assemblée nationale. Elle se rend régulièrement au Liban, soit pour ses activités de députée soit pour son association. Elle livre ainsi pour Conflits son regard sur ce pays étonnant, déstructuré, mais toujours vivant.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.
En quoi consiste l’association Solidarité Vendée – Liban que vous présidez ?
C’est une association récente, qui a un an et demi d’existence. Nous sommes allés voir sur place ce que les dons avaient financé. Notre démarche est très pragmatique. D’une part nous finançons des panneaux photovoltaïques sur le toit des écoles pour assurer l’électricité et le chauffage et d’autre part nous apportons un complément de 100 euros par mois par professeur pour que les enseignants continuent à rester à l’école parce qu’ils sont quelquefois obligés de partir, car ils ont des salaires de misère.
Le maintien des francophones, notamment des professeurs, est un grand enjeu pour le Liban, d’autant qu’ils peuvent plus aisément quitter le pays en s’insérant dans la diaspora libanaise. Il y a donc tout un enjeu pour aider ceux qui veulent rester pour permettre au pays de continuer à exister.
Complètement, c’est un pays qu’il faut surveiller de près parce qu’il y a toujours la tentation des départs. Et je dirais même de plus en plus. Le maintien de la francophonie est essentiel et la France occupe vraiment une grande place dans le quotidien des Libanais et dans leur cœur aussi, mais petit à petit on voit que tout s’efface un peu et tient à pas grand-chose. Même dans les écoles, j’ai vu quelques slogans en anglais. Petit à petit, le français a tendance un petit peu à disparaître en fait, donc il faut vraiment résister là-dessus. C’est leur souhait, mais malheureusement, quelquefois ils se retrouvent un peu dépassés.
Il y a aussi la question religieuse, le ratio chrétien-musulman est plus en faveur des seconds. Nombreux sont les chrétiens libanais à quitter le Liban, leur diaspora étant très bien insérée au niveau mondial, ce qui bouleverse aussi les équilibres religieux.
Oui, exactement, mais en fait on se rend compte que les congrégations religieuses jouent un rôle extrêmement important dans la tenue des écoles chrétiennes. Beaucoup sont tenues par des sœurs or celles-ci sont vieillissantes. Se pose alors la question de la relève, car ces écoles reposent vraiment sur l’engagement total de ces religieuses. Il y a donc une nécessité que la France soit présente pour soutenir et aider ces écoles afin de leur permettre de continuer à exister.
Avec l’expérience que vous avez du Liban depuis de nombreuses années, comment est-ce que vous voyez la situation aujourd’hui au niveau social et au niveau politique ?
Il s’agit d’un pays très étonnant : il parvient à survivre et à se maintenir en dépit des crises.
Le Liban subit aujourd’hui une triple crise.
Tout d’abord, il subit une crise politique. Il n’y a toujours pas de président de la République, donc les affaires sont gérées au jour le jour. D’ailleurs, on se demande si au plus haut sommet de l’État, si tant est qu’il y en ait un, cette situation ne satisfait pas tout le monde en fait cette espèce d’État sans tête. Ça, c’est un point de vue personnel, mais on peut se demander si certains n’en font pas une force.
Il y a aussi une crise économique. Plus de 80% des Libanais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Il y a des trafics de drogue, d’armes, il y a une insécurité grandissante et puis il y a un marché parallèle.
À cela s’ajoute une crise financière. Il n’est pas possible d’avoir de l’argent à la banque et les Libanais qui avaient des économies ont tout perdu. La livre libanaise étant très dévaluée c’est évidemment le dollar qui s’impose. Beaucoup de Libanais disposent de comptes bancaires à l’étranger, notamment en France. C’est le royaume de la débrouille, mais cela tient encore debout, pour l’instant.
Ces trois crises concernent la vie libanaise. Mais à cela s’ajoutent les troubles internationaux.
Il y a la guerre au Sud-Liban, toujours présente. Mais en dépit de ces crises sociales et politiques et des tensions militaires, l’accueil demeure très chaleureux et les personnes rencontrées sont joyeuses et accueillantes. En une semaine, nous avons pu nous déplacer dans plusieurs lieux du Liban, ce sens de l’accueil est le même partout.
C’est un peuple très résistant. On constate également une amélioration par rapport à 2022. À l’époque, il y avait la queue devant les stations-service, il y avait des pénuries de médicaments, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Alors certes, les denrées ont un coût élevé, mais elles sont présentes. Il y avait de grosses coupures d’électricité, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Le pays va mal, mais il tient.
Vous évoquiez les problèmes au sud du LIban. Quelles informations avez-vous notamment sur le Hezbollah et sur le conflit avec Israël, qui est toujours latent ?
La guerre sévit au sud du Liban, à 150 km de Beyrouth. Dans le sud, beaucoup d’écoles sont fermées, il y a des blessés et des morts à cause des bombardements, mais la guerre n’est jamais évoquée. Il y a une forme d’habitude à cette situation. Le risque, c’est un embrasement qui pourrait avoir lieu du jour au lendemain. Mais sur le Hezbollah, ils vivent avec. Nous voyons cela avec nos yeux de Français, mais pour eux, c’est simplement leur quotidien. Donc en fait, ça ne leur occupe plus la tête. Ils font avec. Ils sont assez fatalistes aussi. Ils se disent : « c’est comme ça, il y a toujours eu des conflits ».
Ils sont beaucoup plus inquiets et beaucoup plus remontés avec la présence des Syriens. Il y avait d’ailleurs la rumeur quand on y était que les Syriens allaient être renvoyés dans leur pays.
Je pense que ce n’est qu’une rumeur parce que Bachar al-Assad n’a pas du tout envie de reprendre les Syriens qui sont partis, qui par ailleurs sont contre lui. Les Syriens au Liban sont évalués à deux millions de personnes, ce qui est beaucoup pour ce petit pays. Beaucoup de Syriens occupent des emplois que les Libanais délaissent. Les tensions entre Syriens et Libanais sont vives et cela se tend entre les deux communautés.
Les Syriens représentent près de 20% de la population du Liban ?
Oui, c’est 20%. Un peu plus, même. Et en plus, il y a beaucoup, beaucoup d’enfants. Donc, les Syriens vivent dans des conditions aussi déplorables. Par moments, c’est limite des bidonvilles, avec tout ce que cela engendre au niveau salubrité. Cette surpopulation a des répercussions sur la vie quotidienne des Libanais.
Mais une insécurité aussi. On est allé, par exemple, voir des religieuses que l’on connait de longue date. Elles sont barricadées. Elles disent : « vous voyez, juste de l’autre côté, il y a des chiites. Et donc, on sait qu’ils se baladent avec des armes. On sait qu’on est épiées ». La peur est là. Elles sont barricadées, mais elles vivent avec ça.
C’est un peuple très résilient, mais qui vit toujours avec des épées de Damoclès au-dessus de la tête, de toutes sortes. Entre les Syriens, le Hezbollah, Israël. Et donc, ils entretiennent cette espèce de fatalisme.
Après l’explosion dans le port de Beyrouth, le président Emmanuel Macron avait lancé un processus pour le Liban. Il s’y était rendu à deux reprises. Où en est-on aujourd’hui de ce processus politique et institutionnel ?
Là-bas, c’est le statu quo. Cette mission est surtout une opération de communication. Une attente a été suscitée, mais elle ne débouche sur rien.
Les recommandations faites par le FMI n’avancent pas non plus, ce qui bloque les aides que le FMI pourrait apporter. Les dirigeants libanais ne veulent pas de ces réformes, ce qui aggrave les blocages.
Pour quelle raison n’en veulent-ils pas ? Parce que finalement, cette situation de blocage les arrange ?
Beaucoup tirent parti de ce statu quo. Au sommet de l’État, tout est vérolé et le peuple libanais en subit les conséquences. L’intérêt général n’est pas au cœur des préoccupations de ses dirigeants, la situation actuelle en enrichit beaucoup.
Mais tout ce qui touche à la fonction publique est délité, tous les services de l’État sont fermés. Tout ce qui est régalien n’a plus lieu d’exister aujourd’hui. Il n’y a plus de défense, seule l’armée est encore un peu visible. Toute l’administration est déstructurée.
Mais à Beyrouth on voit aussi de nombreuses constructions d’immeubles ultramodernes, à côté d’immeubles qui sont en décrépitude. J’avais visité en 2022 un hôpital qui se trouve dans le périmètre du port de Beyrouth et qui avait été soufflé lors de la tragédie du 4 août 2020, qui a été reconstruit en quelques mois grâce à l’argent de la diaspora. La diaspora joue un rôle financier de grande importance, elle injecte de l’argent qui fait vivre le Liban. Cet hôpital est aujourd’hui flambant neuf. Cela fait partie des motifs d’espoir pour ce pays.
A lire aussi: