Neuvième plus grand pays du monde, le Kazakhstan est un espace géostratégique majeur aux sous-sols convoités. Le colonel Stephan Samaran, directeur du domaine « stratégies, normes et doctrines » à l’IRSEM et fort d’une longue expérience de terrain en Asie centrale, commente et clarifie les enjeux géopolitiques auxquels est confronté le pays.
Entretien réalisé par Pierre Camus
Étant donné sa situation géographique, le Kazakhstan se trouve être un pivot entre l’Orient et l’Occident. Comment assure-t-il ce rôle important, notamment dans le cadre des nouvelles routes de la soie ?
Comme la Turquie et la Russie, le Kazakhstan a une partie de son territoire sur le continent européen, particularité dont son premier président, Noursoultan Nazarbaïev, a su faire le socle de sa vision eurasiatique, avant que naisse le projet des nouvelles routes de la soie. Ce dernier constitue une opportunité supplémentaire de mise en avant de son rôle de trait d’union, notamment grâce à ses liaisons ferroviaires.
En tant qu’espace prédominant entre Europe et Asie, le territoire du Kazakhstan est une zone de transit fondamentale du projet pharaonique des nouvelles routes de la soie mené par la Chine. Comment ces investissements chinois sont-ils accueillis ?
Les investissements chinois se sont concrétisés dans une période où les cours du pétrole stagnaient au plus bas, et n’assuraient donc pas des recettes budgétaires suffisantes pour financer les grands travaux d’infrastructure. Ils ont par conséquent été fort bien accueillis.
Avec l’arrivée de Tokaïev au pouvoir et sa volonté de mener de nombreuses réformes, comment la politique étrangère du Kazakhstan a-t-elle évolué ces dernières années ?
La volonté de mener des réformes constitutionnelles et structurelles s’est affirmée à la suite des tragiques événements de janvier 2022, qui ont montré les fractures de la société kazakhstanaise. Elle ne semble pas avoir d’incidence directe sur la politique extérieure du Kazakhstan, qui demeure multivectorielle, voire omnivectorielle.
Kassym-Jomart Tokaïev, diplomate de formation, en a été l’artisan depuis l’indépendance et ne l’a pas modifiée substantiellement en devenant chef de l’État. Son expérience professionnelle d’ancien ambassadeur à Pékin, maîtrisant le mandarin, lui confère une sensibilité particulière à l’égard de la Chine.
Cette même situation géographique impliquant également des voisins puissants à l’échelle mondiale comme la Chine et la Russie, quelles sont les politiques étrangères du Kazakhstan concernant ces deux pays ?
Le Kazakhstan partage avec la Mongolie et la Corée du Nord la caractéristique d’être limitrophe de la Russie et de la Chine. Sa frontière avec la Fédération de Russie, la plus longue frontière terrestre ininterrompue entre deux États, constitue une donnée géopolitique fondamentale. Le Kazakhstan fait partie du premier cercle des alliés de la Russie au sein de l’alliance militaire de l’Organisation du traité de sécurité collective comme dans l’Union économique eurasiatique.
Les relations avec la Chine, traditionnellement qualifiées de « bon voisinage », semblent en constante amélioration, comme en témoigne la très récente visite, en septembre 2022, du président Xi au Kazakhstan.
Pays à majorité musulmane, le Kazakhstan appartient aussi à cette zone asiatique turcophone visée par l’idéologie du panturquisme. Comment définir les positionnements réciproques et comment cela se traduit-il au sein de la société ?
Il y a ici plusieurs aspects, religieux, culturels, politiques et économiques, qu’il faudrait sans doute appréhender séparément afin d’éviter d’aboutir à des conclusions inexactes.
En tant que pays issu de la dissolution de l’URSS, dont l’une des caractéristiques fut l’athéisme d’État, le Kazakhstan indépendant a dû protéger les aspirations légitimes de ses citoyens à la spiritualité tout en garantissant la laïcité de la société. Afin de retrouver les racines d’un islam sunnite d’inspiration soufie, traditionnellement modéré, il a fallu se protéger des prédicateurs venant de l’étranger et former des imams kazakhs.
La langue kazakhe est la langue d’État. À la différence du russe, qui reste la langue officielle, le kazakh est une langue turcique, comme le kirghize, l’ouzbek, le turkmène et l’azéri, mais assez éloignée du turc moderne. Sans sous-estimer l’appartenance à une communauté culturelle turcique, il faut remarquer que les relations entre États sont plus importantes. S’agissant du rapport à la Turquie, soutenu par des liens commerciaux forts, il peut être considéré comme bon mais ne figure pas au premier rang des partenaires.
La lutte idéologique entre l’AKP au pouvoir à Ankara et les écoles de Fethullah Gülen n’a pas trouvé au Kazakhstan de résonnance particulière.
La société kazakhstanaise, formée d’une centaine de nationalités, se préoccupe davantage de sa propre cohésion et des réformes annoncées.
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