Le jus in bello interdit-il la victoire militaire ?

27 janvier 2021

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Photo : La prison de Guantanamo, exemple des limites du jus in bello. (c) Sipa 00870635_000033

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Le jus in bello interdit-il la victoire militaire ?

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La victoire militaire a longtemps été le jumeau monozygote de la victoire politique et aboutissait ainsi dans les faits à un changement radical de situation et de statut pour l’ennemi défait, à son anéantissement ou à sa soumission au nom de la célèbre formule de Brennus « vae victis» (malheur aux vaincus), ceci même sans combattre. Ainsi, le glaive avait la puissance d’imposer le sceptre. Aujourd’hui, le droit limite et restreint l’opération militaire. Est-il encore possible de gagner une guerre en respectant le droit militaire ?

Naturellement, on peut toujours considérer, avec raison, qu’il y a eu « un avant » le jus in bello qui est cependant une notion contemporaine comme le démontre très bien Rober Kolb ; qu’il y a eu un terreau épars de pensées morales (Socrate, Platon, Xénophon…), de coutumes et d’écrits afin que le fort n’opprime pas le faible selon l’expression du Code babylonien du Roi Hammurabi et même des doctrines religieuses qui ont tendu à vouloir limiter l’exercice de la légitime violence ou à temporiser les effets de la guerre.

Pour autant, il serait une erreur de raisonnement et même un anachronisme de qualification que de vouloir qualifier ces prémisses embryonnaires « de droit des conflits armés » parce qu’ils n’ont pas constitué un système structuré et juridiquement aussi contraignant que l’actuel droit des conflits armés : ainsi que le souligna feu le Professeur Hervé Couteau-Bégarie, « la doctrine de la guerre juste qu’ont forgée les théologiens est un cadre trop peu contraignant dans la pratique pour limiter le recours à la guerre » . Il faut attendre la déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 qui constitue une évolution déclaratoire puisqu’elle considère que le seul but légitime des belligérants à un conflit armé est « l’affaiblissement des forces militaires ennemies » ce qui interdit, de jure, l’anéantissement des forces ennemies et « le pas de quartier » .

Ainsi, le jus in bello, ou droit dans la guerre tend à vouloir concilier les nécessités de la guerre avec les lois de l’humanité en définissant des principes et des règles d’engagement comme cadre d’action de la victoire militaire recherchée(1) ; la Victoire militaire étant entendue ici comme l’aboutissement d’une action militaire déterminante, qu’il s’agisse d’une bataille décisive ou d’une succession de batailles (des manœuvres tactiques), qui, l’ennemi n’ayant plus les moyens humains, matériels et/ou psychologiques de la poursuite de la guerre, entraîne la fin de la guerre et par voie de conséquence la défaite militaire de l’ennemi sa reddition ou capitulation. Le professeur Couteau-Bégarie écrira pour sa part que « le but fondamental de la stratégie, jusqu’à l’apparition de l’arme nucléaire, est la défaite de l’ennemi » ; reste à s’interroger sur le fait de savoir si le jus in bello, aussi noble soit-il dans ses objectifs, ne rend pas la victoire militaire impossible ?

I. Principes et règles d’engagement du jus in bello comme cadre d’action de la Victoire militaire recherchée.

Le jus in bello se matérialise aujourd’hui par une architecture juridique constituée essentiellement :

  • du droit international humanitaire (DIH) stricto sensu, normatif et coutumier, dont les objectifs essentiels sont de protéger les personnes qui ne combattent pas (civils, personnels de sanitaires) ou ne combattent plus (blessés), de sanctuariser certains lieux (hôpitaux, biens culturels…etc.) vis-à-vis de l’action de guerre. On trouve là d’une part, le paquet conventionnel que sont notamment la Convention de La Haye sur les bâtiments hospitaliers du 21 décembre 1904, l’Acte final de la Conférence diplomatique de Genève du 12 août 1949, les Conventions de Genève (I) sur les blessés et malades des forces armées sur terre (II) sur les blessés, malades et naufragés des forces armées sur mer (III) sur les prisonniers de guerre (IV) sur les personnes civiles du 12 août 1949 et leurs protocoles additionnels en particulier le PA (I) de 1977, le PA II de 1977, le PA III de 2005…etc.
  • du DIH lato sensu dont l’objectif est d’interdire ou limiter l’usage de certaines armes les traités relatifs à l’interdiction ou limitation de l’usage de certaines armes (notamment les gaz asphyxiants, les armes biologiques, les armes incendiaires, les armes chimiques, mines, pièges et autres dispositifs, mines antipersonnel…) : on trouve, notamment, la Déclaration à l’effet d’interdire l’usage de certaines armes durant la guerre de Saint-Pétersbourg du 11 décembre 1868 (reprise par la déclaration de la Haye (IV,3) interdisant les balles qui s’aplatissent), les conventions (II), (IV), (IX) de La Haye concernant respectivement les lois et coutumes de la guerre sur terre du 29 juillet 1899 et du 18 octobre 1907 et le bombardement par les forces navales du 18 octobre 1907, la déclaration (IV .2) de La Haye interdisant les gaz asphyxiants du 29 juillet 1899…Ce DIH dérivé va jusqu’à imposer l’obligation que toute nouvelle arme (comme les drones) fasse l’objet d’une analyse préalable pour que soit appréciée sa licéité au regard des règles du DIH (PA I 8 juin 1977 art 36) ;
  • des résolutions onusiennes résultant du fonctionnement de l’ONU qui tendent à condamner les violations des règles du jus in bello et des droits de l’homme en cas de conflit armé et à prescrire des sanctions et/ou des opérations militaires dans un objectif de rétablissement de la paix et de la sécurité internationales afin de protéger les populations civiles et mettre fin aux exactions ;

Enfin il faut ajouter à cette architecture outre les jurisprudences des cours de justice internationale (CPJI et CIJ actuelle), les condamnations des tribunaux pénaux internationaux spéciaux (Nuremberg, Tokyo, Rwanda, Liban…), enfin, celle de la Cour pénale internationale (CPI) créée par le traité portant Statut de Rome en vigueur le 1 juillet 2002, clef de voute imparfaite de l’édifice du jus in bello.

Cette architecture juridique a entraîné une modification profonde des règles d’engagement opérationnel nationales, mais aussi une redéfinition de l’éthique militaire, même si l’éthique reste, cependant, avant tout une affaire de conscience individuelle alors que le jus in bello constitue un droit obligatoire qui impacte tant l’élaboration, la planification que la mise en œuvre des actions militaires dont la violation est susceptible d’être sanctionnée pénalement, notamment par la CPI.

Il ressort du DIH que tout engagement militaire doit respecter un certain nombre de principes rédhibitoires à l’acceptabilité, c’est-à-dire à la légalité, de la victoire militaire :

  • d’une part, le principe de distinction, ou interdiction des attaques sans discrimination, qui suppose de distinguer d’une part, entre les combattants et les non-combattants (blessés, civils non armés et personnels de secours), d’autre part, entre les biens civils (biens culturels, cultuels, hôpitaux, ouvrages et installations contenant des forces dangereuses…) et les objectifs militaires ;
  • d’autre part, le principe de précaution qui implique que ceux qui se préparent à attaquer évaluent préalablement les moyens à mettre en œuvre, les conséquences des actions (les effets) à mener tout en prenant en considération le principe de distinction ;
  • enfin le principe de proportionnalité qui, non dissociable des deux autres, suppose notamment que toute action militaire soit limitée à sa stricte nécessité, bref d’éviter les maux superflus ou dommages excessifs tant du point de vue humain que matériel au vu des avantages attendus de l’attaque ; l’idée est donc d’opter pour la solution militaire la moins préjudiciable aux civils tout en ayant une efficacité militaire similaire aux autres solutions .

Un État qui s’affranchit de ces principes et règles risque, en théorie, car cela dépend de multiples facteurs juridiques subtils, au-delà, des sanctions internationales y compris des frappes militaires autorisées par la communauté internationale, des poursuites pénales devant une juridiction répressive nationale ou internationale pour le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre (articles 6, 7 et 8 du Statut de Rome).

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II. De la guerre « propre » à la victoire militaire impossible ?

Le jus in bello pose donc le principe de responsabilité des belligérants (décideurs politiques et combattants) en les obligeant finalement à faire une « guerre propre », sans dommages collatéraux, une guerre chirurgicale ou ciblée supposant une précision de l’action. Cette logique juridique est restée longtemps incantatoire (par exemple, la guerre du Vietnam avec l’utilisation de l’agent orange, le napalm et les bombes à fragmentation). Pour autant, il est difficile aux armées de se séparer de certaines méthodes ou doctrines qui donnent une supériorité stratégique permettant la liberté d’action comme la doctrine de l’Air land Battle. La guerre du Golfe de 1991 est intéressante puisqu’elle fut à la charnière de deux tendances :

  • la poursuite de la stratégie du recours au bombardement massif;
  • le recours à des bombes guidées de précision délivrées par des vecteurs furtifs pilotés (F117…) ou des drones.

La première guerre du Golfe employa victorieusement ces deux formes d’action lors de l’opération tempête du désert en respectant peu ou prou les règles du DIH. Mais il convient de relever que les première et seconde guerres du Golfe furent caractérisées par un ennemi non nucléarisé ayant recours à une armée conventionnelle en infériorité numérique et technique, se battant conventionnellement, en uniforme, avec des moyens identifiables, sur un espace de bataille défini distinct des zones civiles. On parle là de guerres régulières, c’est-à-dire de guerres pour lesquelles les forces engagées étaient des moyens militaires identifiables donc réguliers « faciles » à frapper.

La difficulté d’application du DIH est tout à fait différente au regard de la primo guerre, la guerre dite « irrégulière » ou guérilla utilisée par le faible contre le fort » se caractérisant « (…) par le refus du combat frontal décisif, par l’emploi du harcèlement et de la surprise. » . À cela, ajoutons que le «faible » fait le choix de la guérilla afin d’interdire la Victoire militaire de l’ennemi au vu de trois avantages patents : la connaissance du terrain, l’immersion dans la population, le temps. A contrario, pour les forces allogènes, la guerre irrégulière constitue un fait imposé et désavantageux si l’on observe la situation en creux. Ces conflits (ex-Afghanistan I 1979-1988, Afghanistan II 2001-2014) sont ainsi difficilement gagnables et propices à l’enlisement des forces régulières sans parler d’un échec politique cuisant (permanence des Talibans et non transposition de la démocratie). S’il existe de multiples causes à l’échec du conflit afghan II, il faut aussi constater que faire une guerre à des combattants intermittents, sans uniforme, dont l’identification tient simplement à la possession ou l’utilisation d’une arme, capable de se fondre dans la population civile, de se cacher dans les zones urbaines en usant de méthodes contraires au DIH rend la victoire militaire complexe pour des forces régulières respectueuses du DIH et soumises de surcroît à une logique avouée ou non du zéro mort.

L’application du DIH de ce point de vue est très astreignante puisqu’il oblige à des choix opérationnels dont l’efficacité est aussi spectaculaire que relative si on apprécie cette efficacité au regard de la Victoire militaire recherchée. Aussi, les moyens opérationnels pour le conflit afghan II, nous le savons, furent indiciblement, mais indéniablement adaptés aux contraintes du DIH, en particulier aux articles 8 §2 b) IV et 8 §2 b) V du statut de Rome qui disposent en substance respectivement que sont des crimes de guerre d’une part, le fait de causer intentionnellement des dommages aux personnes et biens civils ainsi qu’à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessif par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu ; d’autre part, le fait d’attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires. Pour éviter ces écueils, le choix des moyens opérationnels se porta sur des moyens de haute technicité qui permettent de renseigner et de frapper à distance (satellites et drones d’observation, drones d’attaque) afin de réduire les dommages collatéraux, donc afin de se conformer aux règles du DIH. Si les forces coalisées utilisèrent d’autres moyens plus rustiques, comme le renseignement humain ou les forces spéciales, ces moyens furent toujours homéopathiques et de toute façon non adaptés à la recherche de la bataille décisive, celle que les talibans n’ont jamais voulue en considérant avec ruse que les règles du DIH constitu(ai)ent pour eux un bouclier bien plus puissant que n’importe quel système armé : si au regard du Droit pénal international (art 8 §2 b) XXIII statut de Rome), « Le fait d’utiliser la présence d’un civil ou d’une autre personne protégée pour éviter que certains points, zones ou forces militaires ne soient la cible d’opérations militaires ; » constitue un crime de guerre, ce fait fut une pratique factuelle quotidienne des talibans qui n’étaient pas, tant s’en faut, tous dans des grottes et vivaient aussi au milieu des villageois. Par ailleurs, si « Le fait de tuer ou de blesser par traîtrise des individus appartenant à la nation ou à l’armée ennemie » (art 8 §2 b) XI) est aussi un crime de guerre, cette incrimination n’a jamais pu empêcher la duplicité ou les actions de guerre dont l’effet de surprise n’avait pas, par essence, pour objet d’avertir les forces occidentales qu’elles allaient être prises sous le feu…

On peut souligner certaines similitudes, sous l’angle militaire stricto sensu, entre le théâtre afghan et ce qui fut le théâtre de la guerre d’Algérie (1954-1962) puisqu’il s’agissait bien de combattre des forces irrégulières immergées « dans le milieu civil et ayant une totale liberté d’action et d’initiative. » ; pourtant, en Algérie, les armées françaises gagnèrent la guerre irrégulière contre les forces de libération. Pourquoi ? C’est sans aucun doute que l’armée fit en Algérie une guerre totale en ne se refusant aucun mode d’action au risque d’y perdre « une part de son âme (…)» ; en recourant, notamment, à la torture afin de renseignement qui fut « tacitement reconnu comme un moyen légitime » parce qu’efficace et pourtant totalement contraire au DIH, torture qui constitue, désormais, un crime de guerre (Statut de Rome, art 8). Reste qu’au-delà de cet aspect dont les différentes guerres d’Afghanistan ou d’Irak ne seront pas indemnes (Guantanamo/Abou Graïb), et des techniques de quadrillage et de ratissage qui furent mises en œuvre, c’est aussi l’engagement massif de moyens humains (notamment via le recours à l’armée de conscription) au vu d’une gestion beaucoup moins regardante sur les pertes, le zéro mort n’existant pas, qui constitue la différence remarquable avec le conflit afghan. C’est d’ailleurs cette volonté légitime de limiter les pertes qui a amené les États-Unis à choisir finalement d’utiliser, après leur retrait, pour la première fois la bombe guidée de 10 t à effet de souffle (GBU-43/B Massive Ordnance Air Blast Bomb) la plus puissante du monde pour frapper une cible dans la province de Nangarhâr, dans l’Est de l’Afghanistan. Dans un communiqué du 13 avril 2017, le CENTCOM a expliqué le choix du recours à la « Mother of any bomb » (MOAB) par la volonté d’économiser les vies des forces alliées et maximiser les pertes de l’ennemi. Ce communiqué reprend un raisonnement qui n’est pas contraire au DIH dès lors qu’une puissance peut légitimement vouloir préserver ses propres forces en employant des moyens plus efficaces contre l’ennemi et dès lors que cette solution ne contrevient pas aux principes du DIH. C’est en substance cet argument, l’économie de vie de soldats américains, qui fut aussi l’argument avancé pour justifier de l’emploi de la bombe A sur Hiroshima et Nagasaki en 1945.

Le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) du 7 juillet 2017, non en vigueur, qui vient en complément du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) du 1er juillet 1968 et entré en vigueur le 5 mars 1970, est un signe symbolique espérant la fin du nucléaire militaire. Pour autant, à l’instar du traité TNP qui le précède, une fois entré en vigueur sans que les puissances nucléaires ne le ratifient, il constituera indirectement le deuxième outil du jus in bello créant involontairement les conditions d’une rente d’inégalité de puissance de feu dès lors que cette renonciation n’est pas généralisée. Or cette rente d’inégalité de puissance de feu n’est pas sans conséquence en cas de conflit armé majeur entre une puissance conventionnelle (ayant renoncé à l’arme nucléaire) et une puissance nucléaire : la victoire sera toujours celle de l’État nucléarisé. Certes, le jeu des alliances peut, sans certitude, neutraliser cette perspective initiale d’un conflit asymétrique qui deviendrait symétrique par la menace d’intervention ou l’intervention d’une puissance nucléarisée. Mais, dans la négative, le jus in bello, via le traité TNP et au regard des États qui auront ratifié le TIAN une fois entrée en vigueur, consacre et gèle une inégalité de force, un déséquilibre de puissance tel, qu’en cas de conflit, la victoire militaire est certaine au profit des puissances nucléaires. Une telle victoire militaire serait juridiquement condamnable puisque l’usage de l’arme nucléaire en de telles circonstances, c’est-à-dire sans menace équivalente de l’ennemi, ne répondrait probablement pas aux exigences de l’arrêt cardinal du 8 juillet 1996 de la CIJ dit de la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires. Une lecture attentive de l’arrêt permet d’ailleurs de comprendre qu’au-delà de la légitime défense proportionnée (nucléaire versus nucléaire), la CIJ condamne implicitement le recours au feu nucléaire puisqu’elle considère : « (…) que la menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait généralement contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés, et spécialement aux principes et règles du droit humanitaire ; ». Ce postulat implique alors l’absence de guerre ou au contraire la guerre d’anéantissement réciproque, mais dans les deux cas, l’impossibilité d’obtenir une victoire militaire autrement qu’avec des dommages inacceptables des deux côtés. Pour l’heure, le jus in bello n’interdit ni l’arme ni l’usage de ces armes terribles qui sont aussi une réponse de paix aux déséquilibres démographique et conventionnel entre deux nations : comment ferait la France de 66 millions d’habitants face à la Chine d’1 milliard 300 millions d’habitants sans l’arme atomique pour la dissuader?

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L’engagement de nos forces dans des conflits irréguliers oblige à considérer la Victoire militaire comme une notion finie, un objectif factuellement complexe et aléatoire, car se heurtant aux règles et principes du DIH non appliqué par ailleurs par l’ennemi au regard d’un autre objectif controuvé, celui du zéro mort, puisque la mort est consubstantielle à la Guerre. À l’instar de la guerre qui est limitée ou larvée, la victoire militaire est limitée et peut être ne pouvons-nous plus parler de victoire militaire puisqu’il n’y a plus de paix à la clef : nous gagnerons probablement des escarmouches, des accrochages, sécuriserons des zones entières, contiendront et refouleront les forces ennemies, mais éclectiques, fugaces et rustiques, celles-ci seront toujours capables de nuire sans vaincre en connaissance des règles d’engagements qui sont notre Honneur, mais aussi indéniablement notre limite de puissance. De l’autre côté du spectre, la question de la Victoire militaire en conflits réguliers entre puissance du même rang et de même rationalité est peut-être devenue une question théorique nonobstant la volonté de certaines puissances de vouloir désigner l’ennemi. En effet, des rationalités identiques entre puissances du même rang amènent à comprendre donc à conclure identiquement que la guerre serait un jeu sinon à somme nulle, notamment en cas de conflits nucléaires, en tous les cas un jeu couteux économiquement et, à terme, humainement et pour quelle fin ? Étonnamment, la recherche du KO technique serait sans aucun doute la première phase de ce conflit majeur qui pourrait parfaitement se conformer aux règles du jus in bello en se limitant à la neutralisant de moyens matériels vitaux par la guerre électronique, la cyberguerre et des destructions ciblées, mais pas nécessairement au jus ad bellum dès lors que la victoire dépendrait finalement de l’initiative de la guerre. La question du respect du droit des conflits armés entre deux puissances du même rang dans une seconde phase de cette guerre conventionnelle, voire dans une phase nucléaire, posera la question de savoir qui pourra se faire juge d’un vainqueur « agresseur » sans avoir les moyens d’imposer à ce vainqueur le droit et la justice de ce droit ? Au final, le droit des conflits armés ne peut ici interdire la victoire militaire, ce sont les rapports de force et une approche similaire de la Raison qui dissuadent les États de s’engager dans un conflit qui pourrait les abaisser sans leur apporter un quelconque gain de puissance.

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Photo : La prison de Guantanamo, exemple des limites du jus in bello. (c) Sipa 00870635_000033

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À propos de l’auteur
Charles Paul Zéro

Charles Paul Zéro

Ancien officier de réserve, membre de l’ASAF.
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