Le gouvernement Sánchez supporte-t-il la contradiction ?

6 mai 2020

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Photo : Le Palais de Cybèle, en plein cœur de Madrid (c) Pixabay.

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Le gouvernement Sánchez supporte-t-il la contradiction ?

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Alors qu’il dirige le gouvernement espagnol avec ses alliés de Podemos, Pedro Sanchez se montre de plus en plus rétif à la contradiction. Ce faisant, son gouvernement devient de plus en plus autoritaire. 

 

En août 2018, je décrivais le fait que le gouvernement de Pedro Sánchez (lequel dirigeait alors l’Espagne en solitaire) concevait son labeur d’une façon de plus en plus autoritaire, accentuant tous les défauts que l’on pouvait déjà attribuer aux exécutifs précédents[1]. Ce comportement n’est pas illégal à strictement parler, mais mine fatalement la légitimité des institutions politiques de notre voisin ibérique.

Il semble par ailleurs paradoxal puisque le cabinet Sánchez, aussi bien à l’époque qu’à l’heure actuelle (il compte sur le soutien et la participation de la « gauche radicale » d’Unidas Podemos depuis janvier 2020), ne peut s’appuyer que sur une majorité relative fragile au Congrès des députés (chambre basse des Cortes, le Parlement espagnol). Il n’a en effet pu bénéficier que de l’assentiment de 165 députés sur 350 le 7 janvier dernier et a dû compter sur 18 abstentions pour entrer en fonction[2]. Cette « solitude » parlementaire (et, partant, électorale et sociologique[3]) a entraîné un raidissement du pouvoir en place, de moins en moins enclin à compter sur l’opposition et les corps intermédiaires[4].

Un Parlement muselé, une justice menacée ?

Une récente illustration en a été donnée avec la réaction de Pedro Sánchez et ses ministres à l’occasion de la crise liée à l’épidémie de coronavirus. La proclamation, mais plus encore les prolongations répétées et l’usage intransigeant qui a été fait de l’état d’alerte (estado de alarma) sont largement en cause dans les accusations récurrentes dont fait l’objet le gouvernement espagnol[5]. L’on ne saurait revenir ici sur l’ensemble des manquements de la coalition gouvernementale dans le contexte de la pandémie de Covid-19[6]. Il faut cependant bien comprendre que ce sont ces fragilités et échecs qui incitent l’exécutif à franchir toutes les lignes rouges et à s’attaquer sans pitié à la moindre critique ou à la moindre tentative de contrôle de son action.

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La « fermeture » du Congrès des députés (pourtant capital dans l’équilibre des pouvoirs outre-Pyrénées[7]) par sa présidente, la socialiste Meritxell Batet, est, dans ce cadre, extrêmement inquiétante[8]. Elle n’a fort heureusement été que provisoire. La tendance n’est pas nouvelle et, en début d’année, Pedro Sánchez tentait déjà de mettre à profit des modifications d’agenda afin de réduire le plus possible la fiscalización (c’est-à-dire l’examen politique) de l’action du gouvernement[9].

 

La justice elle aussi est dans le collimateur du Parti socialiste ouvrier espagnol et de Podemos. Les menaces récemment proférées par le deuxième vice-président de Sánchez, Pablo Iglesias, à l’encontre des magistrats ayant eu le malheur de rendre des décisions contraires à ses orientations idéologiques ont, à juste titre, entraîné un tollé[10].

S’il est exact que la liberté d’expression est un droit consolidé en Espagne et que les décisions judiciaires peuvent être critiquées, il existe des limites à ladite liberté. C’est notamment le cas lorsque les diatribes en question émanent des autorités nationales – précisément au nom de la sauvegarde de l’indépendance de la justice[11]. Un concept que le cabinet Sánchez interprète à sa guise…

 

La colonisation des institutions

 L’une des grandes faiblesses de la démocratie espagnole réside dans la façon dont chaque nouveau gouvernement se débarrasse bien vite de tous les hauts fonctionnaires des Ministères pour les remplacer par des affidés. Cette fâcheuse tendance concerne également les dirigeants d’organismes publics dont le poste dépend du cabinet en place[12].

Or, alors qu’un grand nombre de ministres de Pedro Sánchez jouit d’un crédit personnel notoirement faible[13], ces membres de l’exécutif ont profité de leur nomination pour remercier leurs soutiens politiques de premier plan en multipliant les emplois de secrétaires d’État et de conseillers[14].

 

Ces nouveaux directeurs généraux, souvent choisis de manière arbitraire, ont en théorie un certain devoir de réserve et ne doivent pas intervenir dans le débat politique. C’est particulièrement le cas de postes sensibles, comme celui du responsable du Centre des Recherches sociologiques (Centro de Investigaciones Sociológicas, CIS), institution chargée de réaliser des enquêtes d’opinion auprès de la population espagnole.

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Son actuel directeur, José Félix Tezanos, est connu pour être un proche de Pedro Sánchez et il est contesté à intervalle régulier pour la manière dont il élabore et présente ses sondages électoraux[15]. Mais il se permet aussi de dénigrer publiquement l’opposition de droite, les médias qu’il juge hostiles à la majorité en place, les instituts de sondages privés et la magistrature en général[16].

Cette « colonisation » des institutions est un fait généralisé sous le patronage du président du gouvernement et concerne des corporations aussi prestigieuses et régulées que le corps diplomatique.

 

Faire opposition à l’opposition, nouvelle mode en Espagne

La maturité des acteurs institutionnels espagnols est souvent mise en cause par bon nombre d’observateurs de la vie politique de notre voisin pyrénéen. Ils voient en effet dans la plupart des représentants des partis des personnalités peu qualifiées et plus préoccupées par leur image publique que par la justesse de leurs décisions.

Les crispations ayant pour objet le gouvernement de Pedro Sánchez semblent plus fortes encore que par le passé[17], notamment en raison des difficultés traversées par le pays et de l’attitude générale du cabinet en place. Toutefois, elles ont aussi pour origine la propension de Sánchez et ses ministres à faire opposition à l’opposition – c’est-à-dire, au fond, à se croire toujours en dehors de l’exécutif et à faire montre d’une bien curieuse conception de la démocratie.

L’on a déjà pu le constater lors de la crise agricole de février 2020, qui s’est caractérisée par de grandes manifestations d’exploitants, ulcérés par leurs faibles rémunérations. En charge du dossier, Pablo Iglesias a commencé par exclure des négociations les syndicats agraires défavorables à ses idées[18] avant d’appeler les agriculteurs à intensifier leurs protestations… comme s’il s’agissait pour eux de s’insurger contre une majorité de droite à laquelle serait étranger le deuxième vice-président[19].

Cependant, le phénomène est devenu plus flagrant encore à l’occasion de la crise du coronavirus. Tout en exigeant une « union sacrée » autour de sa personne[20], Pedro Sánchez a parrainé via son parti une campagne en ligne visant à discréditer les autorités régionales madrilènes, bête noire de longue date des socialistes[21].

 

Au niveau national, les mensonges politiques sur la gestion de l’hôpital public par l’ancien président du gouvernement, Mariano Rajoy, témoignent aussi de l’incapacité à assumer le rôle du gouvernant (c’est-à-dire de celui qui prend les mesures qui lui paraissent appropriées et accepte les critiques comme la rançon du pouvoir)[22].

Les mois et années à venir vont être complexes pour l’Espagne, qui aura d’abord pour mission de se remettre de l’épidémie de Covid-19 avant de traiter la crise économique qui en dérive. L’impréparation et le comportement du cabinet Sánchez ii sont à cet égard une source de préoccupation pour une partie de la société, qui le juge incapable de répondre aux défis du moment.

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Même si ce changement ne saurait tout résoudre, la majorité au pouvoir doit virer de bord dans ses relations avec les institutions espagnoles et l’opposition – notamment en intégrant cette dernière au processus de prise de décision. Agir comme une cité assiégée par des ennemis à éradiquer alors qu’un gouvernement est avant tout un organe collégial au service d’un pays (et qu’il doit à ce titre se soumettre de bon gré à la critique, d’où qu’elle vienne) ne conduira notre voisin pyrénéen nulle part.

[1] Klein, Nicolas, « Le gouvernement Sánchez, entre faiblesse et autoritarisme », Soverain, 24 août 2018.

[2] « Resultado de la segunda votación de investidura de Pedro Sánchez », El Periódico, 7 janvier 2020.

[3] Ríos, Daniel, « Sánchez, el único de los principales líderes europeos cuya popularidad baja por la crisis del coronavirus », 20 Minutos, 13 avril 2020.

[4] Amón, Rubén, « Pedro Sánchez y los 10 peldaños hacia el abismo », El Confidencial, 4 mai 2020.

[5] Rallo, Juan Ramón, « Deriva autoritaria », El Confidencial, 2 avril 2020.

[6] Klein, Nicolas, « Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? – L’Espagne et son système de santé face au coronavirus », Cercle Aristote, 8 avril 2020.

[7] Peral, María, « Tarjeta roja al Gobierno y a Batet: juristas afirman que los diputados deben poder controlar a Sánchez », El Español, 4 avril 2020.

[8] Cruz, Marisa et Carvajal, Álvaro, « La oposición alerta del intento de anular el control democrático al Gobierno «cerrando» el Congreso », El Mundo, 20 mars 2020 ; et Klein, Nicolas, Comprendre l’Espagne d’aujourd’hui – Manuel de civilisation, Paris : Ellipses, 2020, page 28 et page 31.

[9] « El «truco» de Sánchez: adelantar al martes los Consejos de Ministros limita el control parlamentario al Gobierno », El Economista, 14 janvier 2020.

[10] Villanueva, Nati, « El CGPJ defiende a la justicia española de los ataques de Pablo Iglesias: no ha habido ninguna humillación », ABC, 15 janvier 2020.

[11] Pérez-Cruz Martín, Agustín Jesús, « Independencia judicial y libertad de expresión », Iustel, 27 avril 2020.

[12] Cembrero, Ignacio, « El empeño de Sánchez por politizar aún más la Administración más politizada de Europa », El Confidencial, 7 septembre 2019.

[13] Vara, José Alejandro, « El club de los ministros muertos », Vozpópuli, 22 février 2020.

[14] Méndez, Rafael et Zuil, María, « Sánchez e Iglesias pasan de los funcionarios: el Ejecutivo bate récord de directores a dedo », El Confidencial, 30 janvier 2020 ; et Pérez, Bruno, « La irrupción de Podemos triplica la cifra de directores generales elegidos a dedo », La Información, 29 janvier 2020.

[15] « El Gobierno respalda a Tezanos al frente del CIS: «Desarrolla una buena labor» », El Independiente, 16 avril 2020.

[16] « Un Tezanos desatado carga contra PP y Vox, los jueces, los medios y las empresas de encuestas », La Razón, 30 janvier 2020.

[17] Gómez Carrizo, Pedro, « La mentira como terapia de choque », El Español, 19 février 2020.

[18] Vigario, David, « Pablo Iglesias deja fuera a las organizaciones agrarias de la primera reunión social para el campo », El Mundo, 14 février 2020.

[19] « Pablo Iglesias a las organizaciones agrarias: «¡Seguid apretando! ¡Que tenéis razón!» », ABC, 18 février 2020.

[20] « Pedro Sánchez llama a la concertación nacional y rechaza avanzar nuevas medidas para hacer frente a la crisis del coronavirus », Diario del Alto Aragón, 8 avril 2020.

[21] Cuesta, Carlos, « El PSOE lanza una campaña en Twitter en la que culpa a Ayuso y al PP de las muertes por coronavirus », OkDiario, 28 mars 2020.

[22] Cuesta, Carlos, « El argumentario fake de Sánchez para culpar al PP del colapso hospitalario «olvida» que Rajoy dejó un gasto sanitario récord », OkDiario, 24 mars 2020.

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).
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