<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le franc CFA pour les nuls. Entretien avec l’ambassadeur Gilles Huberson 

4 avril 2024

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Billet de 500 francs CFA, émis de 1993 à 2002 par la BEAC. (c) Wikipédia

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Le franc CFA pour les nuls. Entretien avec l’ambassadeur Gilles Huberson 

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Le franc CFA fait l’objet depuis des années de critiques et surtout d’une très efficace campagne de dénigrement et de déstabilisation, avec comme objectif évident la corrosion de la relation entre la France et l’Afrique. Entretien avec l’ambassadeur Gilles Huberson pour lever les a priori et les désinformations.  

Propos recueillis par Guy-Alexandre Le Roux. Entretien paru dans le numéro 50 de mars 2024 – Sahel. Le temps des transitions.

Pourquoi le franc CFA a-t-il été créé ?

Le FCFA nait en 1945 par une déclaration de parité par la France au FMI dans le cadre des accords de Bretton Woods. C’est donc cela le fondement du FCFA : établir la parité de monnaies africaines, hier avec le franc et aujourd’hui avec l’euro.

Qu’est-ce que le FCFA ?

C’est le nom porté par deux monnaies africaines, composant la « zone franc », à laquelle il convient d’ajouter les Comores :

  • Le Franc de la Communauté financière en Afrique, émis et géré par la BCAO (Banque Centrale d’Afrique de l’Ouest) pour les 8 États membres de l’UEMOA ;
  • Le Franc de la Coopération financière en Afrique centrale, émis par la BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale) pour les 6 États membres de la CEMAC.

Relevons que parmi ces 15 États, deux n’ont aucun rapport historique à la France, la Guinée Équatoriale et la Guinée-Bissau. Il est donc erroné d’affirmer qu’il s’agit de la « monnaie de nos anciennes colonies ». En outre, après l’avoir quitté en 1962, le Mali l’a rejoint en 1984. Et d’autres pays y pensent, j’en ai été témoin.

Comment fonctionne-t-il ?

Le FCFA est une monnaie dont la valeur, librement déterminée par les pays membres, est établie à parité fixe avec l’euro, parité qui n’a pas évolué depuis 1994 (1€ = 655,957 FCFA). Le FCFA c’est donc d’abord et avant tout l’euro. Qui garantit cette parité vis-à-vis de l’euro ? L’Europe ? Non, c’est le contribuable français seul, via le Trésor public français. Cette garantie est-elle limitée, a-t-elle un plafond, à l’instar de la garantie que le Portugal offre au Cap-Vert et à São Tomé et Príncipe ?  Non, nous offrons une garantie de conversion en euros « illimitée et inconditionnelle », même en cas de choc sur la balance des paiements. Un, plusieurs, ou tous les membres peuvent-il quitter la « zone franc » ? Le Président Macron a répondu à cette question le 28 novembre 2017 : « s’ils considèrent qu’il faut même supprimer totalement cette stabilité régionale et que c’est mieux pour eux, je considère que c’est eux qui décident et donc je suis favorable ». 

Le mot « franc » ou « zone franc » pose-t-il problème ?

Sur le plan technique, nous ne sommes plus dans une « zone franc, », mais dans une « zone euro ». 

Sur la sémantique, on peut rappeler, parmi d’autres exemples, que les Suisses ont le franc suisse, les Belges avaient le franc belge et le schilling reste partagé par plusieurs ex-colonies britanniques qui semblent s’en accommoder : le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda et la Somalie. C’était aussi la monnaie de l’Autriche avant l’euro. Quant à Maurice, elle a, comme l’Inde, pour monnaie la roupie. Le pesos, ancienne monnaie de l’Espagne, est quant à lui toujours celle de l’Argentine, du Chili, de la Colombie, de Cuba, de la République dominicaine, du Mexique, de l’Uruguay et même des Philippines. Plusieurs pays ont aussi comme monnaie le dollar, dont certains avec une parité fixe. Sont-ils moins indépendants pour autant ? 

Avons-nous un minimum de garantie vis-à-vis de la garantie « illimitée et inconditionnelle » que nous offrons ?

Avant l’accord de coopération monétaire du 21 décembre 2019 signé à Abidjan entre la France et l’UEMOA il existait un « compte d’opération », logé au Trésor français, sur lequel les banques centrales africaines pouvaient devenir débitrices pour se procurer des devises étrangères en cas d’épuisement des réserves de change. La contrepartie en était la centralisation de ces réserves : les agents économiques avaient l’obligation d’échanger l’intégralité de leurs avoirs en devises aux banques centrales (BEAC et BCEAO) contre la mise à disposition par celui-ci de la valeur en monnaie locale. Toutes les réserves de chaque zone étaient donc mutualisées et centralisées auprès des banques centrales respectives, qui plaçaient en échange 50% (65% pour les Comores) de leurs avoirs extérieurs nets sur le compte d’opérations. 

Point important : ce compte constituait une charge financière pour le budget de la France, puisqu’elle le rémunérait à un taux supérieur à celui du marché. Cette rémunération avantageuse a d’ailleurs conduit certains à dépasser le montant de 50%. 

Depuis la réforme de 2019, et son approbation finale par le Sénat français en janvier 2021, le compte d’opération a été supprimé pour l’UEMOA. En mai 2021, les 5 milliards d’euros de réserve de change qui y étaient contenus ont été transférés à la BCEAO, à Dakar.

Nous n’avons donc plus de « couverture minimale à notre garantie » depuis cette date pour la zone couverte par la BCEAO.

Quels sont les autres effets de l’accord de 2019 ?

Outre la suppression du compte d’opération, cette réforme adopte un changement de la devise pour l’UEMOA, du FCFA à l’ECO. Ceci a pu faire dire, en un raccourci un peu rapide que « le FCFA est mort ». Il s’agit en fait d’une décision de principe pour le futur, faisant l’objet de réticences de certains pays, notamment le Nigéria. Surtout, il suppose un minimum de convergence économique entre les États membres, et nous en sommes loin.

Elle décide aussi la suppression des sièges occupés par les représentants français au sein des instances de la BCEAO. Or cette représentation, de portée limitée puisque la France n’avait ni droit de véto ni voix prépondérante, paraissait quand même justifiée pour Bercy par la garantie de convertibilité illimitée que nous offrons. Désormais, nous ne sommes plus qu’informés a posteriori de décisions que nous garantissons ensuite, même si un mécanisme de gestion de crise a été créé.

Entre la suppression du compte d’opération et notre disparition des instances de la BCEAO, il serait vraiment insensé d’affirmer tout lien de dépendance avec la France. À part la garantie illimitée et inconditionnelle qu’elle offre.

Et la CEMAC ? 

Elle pourrait suivre la même évolution. Lors de 15e conférence de l’organisation, en mars 2023, il a été préconisé le changement de nom de la monnaie, le retrait progressif des représentants français au sein des organes de décision et de contrôle, la clôture du compte d’opération et le rapatriement des réserves de change. 

Après l’accord de 2019, notre garantie illimitée pourrait-elle poser question ?

Oui, mais les interrogations pourraient plutôt venir des Français. Loup Viallet, économiste et géopolitologue, a bien résumé la situation dans son ouvrage La fin du franc CFA (VA Éditions, 2020). Il y prône la substitution du rôle de garant par l’Europe et le justifie : « La France n’a plus les moyens de sacrifier ses finances et sa réputation en maintenant cette coopération, mais elle n’a pas non plus intérêt à affaiblir quinze États subsahariens situés dans son grand voisinage ni à dégrader les relations économiques entre la zone euro et la zone franc. Étant donné que la stabilité des États et des économies d’Afrique subsaharienne ne bénéficie pas seulement à la France ni aux membres de la zone euro, mais à l’ensemble des pays européens, il pourrait sembler approprié d’assumer cet engagement politique au niveau du Conseil européen et d’adosser la garantie financière sur le budget de l’Union européenne ». C’est une position de bon sens, mais ni la Banque Centrale européenne ni nos partenaires européens, à commencer par les Allemands, n’acceptent de porter une telle garantie… 

Quels sont les avantages et les inconvénients du FCFA ?

Pour les 15 États membres de la zone franc, il est d’abord gage de stabilité monétaire et financière. La stabilité du taux de change avec l’euro, garantie par la France, contribue à une inflation plus faible que dans le reste de l’Afrique. Elle constitue aussi une protection contre les chocs exogènes, et un facteur d’attractivité pour les investisseurs privés comme pour les bailleurs internationaux. C’est cette stabilité qui fait la quasi-unanimité des chefs d’État et des principaux acteurs économiques concernés en faveur de cette monnaie.

C’est aussi un facteur de solidarité et d’intégration régionale, grâce à la définition de politiques économiques concertées au sein de l’UEMOA comme de la CEMAC. Ces politiques permettent aussi de créer des marchés plus significatifs pour le financement de l’économie et pour le secteur privé. Elles entrainent enfin une plus grande rigueur budgétaire, notamment au travers de critères de gouvernance régionaux. 

Tout cela, les détracteurs du FCFA le savent. Mais il est vrai que leur critique constitue aussi une forme de rente de situation tout autant qu’une façon d’exister. Et pour certain une expression de leur exécration de la France.

On peut toutefois soulever un inconvénient lié à la parité à l’euro, car celle-ci rend le FCFA sensible à ses fluctuations. Ainsi, un euro fort va rendre les exportations plus compliquées tout en augmentant leur valeur, mais il diminuera le coût des importations, ce qui peut pénaliser les productions locales. A contrario, un euro faible favorisera les exportations tout en en rendant leur valeur plus faible, mais il rendra les importations plus coûteuses, mais cela peut favoriser les productions locales.  

Reste ensuite ce que je qualifierais de « sentiment de dépendance » vis-à-vis de l’ex-colonie. Certes, ceci est de l’ordre du psychologique, mais parfaitement utilisé par ses détracteurs. 

Et pour la France ? 

Je citerais d’abord le lien historique et affectif. Notre passé avec ces pays avec lesquels nous partageons tant nous « oblige ». On peut donc considérer la garantie illimitée et inconditionnelle que nous offrons comme une contribution significative à la stabilité, au développement et à la croissance, due à ce lien. 

Je n’évacuerais pas, bien évidemment, le rayonnement international que confère ce partenariat stratégique auprès de 15 États. Quels autres pays européens offrent-ils une telle garantie ? Aucun. Dans le monde ? Seuls les États-Unis, en acceptant que leur monnaie devienne celle de 3 autres pays (Equateur, Salvador et Timor) et de 13 entités des Caraïbes et du Pacifique, l’accordent « de fait ».

Enfin, on peut espérer que notre garantie « illimitée et inconditionnelle » soit susceptible d’appeler, de la part de ceux qui en bénéficient, à un minimum de compréhension sur des sujets auxquels, après le vote de la loi sur l’immigration, nous pourrions être prochainement confrontés. 

Pourquoi le FCFA est-il fabriqué en France ?

Les industries de la monnaie ne sont que peu développées en Afrique. En Europe même, seules 11 imprimeries produisent les billets pour vingt États membres et quatre micro-États. Cela s’appelle une économie mondialisée. Après, on peut toujours faire le choix intelligent de produire le FCFA au Mali ; nul doute que cela renforcerait la confiance des investisseurs.

Le FCFA profite-t-il aux entreprises françaises ?

Non. Le poids de la France dans les investissements et les échanges commerciaux avec la zone franc est décroissant et minoritaire. En 2021, nous ne représentions que 11,6 % des importations de l’UEMOA, et 4,6% de ses exportations.

Quel a été votre rôle dans l’accord de 2019 ?

Avec mes équipes et notamment mon brillant service économique, nous avons fait le lien entre l’Élysée et la Côte d’Ivoire en tant que « leader naturel » de l’UEMOA sur le sujet. Nous avons aussi, je l’espère, influencé les discussions et contribué à assouplir la position des négociateurs de Bercy, inquiets de la perte des « garanties à nos garanties ». Nous avons enfin contribué à la confidentialité des échanges, qui ont duré plus de six mois. À titre personnel, j’ai approuvé et encouragé ces mesures, car elles s’attaquaient aux trois symboles les plus négatifs du FCFA : le nom (présenté comme un héritage de la colonisation), le compte d’opération (source de fantasmes sur « l’accaparement » par la France de la richesse africaine) et notre retrait des instances de gouvernance (qui permettait à nos détracteurs de dénoncer une « mainmise » de la France sur ces institutions). Enfin, avoir été l’un des acteurs de cette réforme, me permet d’affirmer aujourd’hui que, sans la volonté politique des Présidents Ouattara et Macron, elle ne serait jamais intervenue. 

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Photo : Billet de 500 francs CFA, émis de 1993 à 2002 par la BEAC. (c) Wikipédia

À propos de l’auteur
Gilles Huberson

Gilles Huberson

Saint-cyrien, ancien diplomate, ambassadeur de France en Côte d'Ivoire (2017-2020), au Mali (2013-2016) et à l'île Maurice (2016-2017), Gilles Huberson est un spécialiste de l'Afrique et des questions de sécurité internationale. Il a servi au cabinet du Premier ministre et à celui de la ministre des Outre-mer, et a dirigé au Quai d'Orsay la sous-direction de la sécurité des personnes. Il est coauteur du projet français de convention des Nations unies contre le financement du terrorisme (1999).
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