Le festival international « Golden Tree », une initiative chinoise

14 janvier 2024

Temps de lecture : 6 minutes

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Le festival international « Golden Tree », une initiative chinoise

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Festivals,  foires, colloques sont désormais des supports d’influence importants, car ils sont les lieux de rencontre privilégiés et transfrontaliers. C’est aujourd’hui un des moyens essentiels pour les artistes de se faire connaître. La scène internationale est devenue le lieu de la concurrence culturelle et tout festival permet l’exercice de la comparaison objective des talents. 

La Chine est très présente dans certains domaines de l’art tels que le documentaire cinématographique. Le Festival Golden Tree est une initiative privée répondant à un besoin des milieux du cinéma chinois d’avoir l’occasion de partages, de rencontres et de reconnaissance internationale. La remise de son palmarès se tient à Paris chaque année.

Le choix de Paris

Le Grand Rex a accueilli sa 7e édition cette année en y projetant vingt films sélectionnés parmi 4 190 œuvres candidates venant du monde entier. Le jury est international, autant que la provenance des créations. Le choix a été difficile. Un premier jury a distingué 46 films, à partir desquels dix ont été sélectionnés et sept primés par un deuxième jury. Ceux-ci ont rassemblé des personnalités de tous les pays, producteurs, cinéastes, critiques, venus d’horizons culturels très différents. Ce type d’évènements permet d’observer de façon très concrète thèmes et manières susceptibles d’intéresser un public mondial au-delà des conflits.

Tout au long du week-end du 21 au 23 mars 2023, le public amateur de documentaires a pu voir ces films qui, cette année, avaient pour thème : « L’enracinement culturel face aux défis de la nature ». Ce fut l’occasion d’une promenade visuelle en des lieux peu accessibles de la planète, où des populations souvent isolées affrontent malgré leur marginalité des révolutions technologiques, climatiques et humaines auxquelles il leur faut s’adapter en permanence, sans abandonner leurs traditions et savoirs. Comment font les hommes pour s’adapter en temps de crise est un sujet universel.

L’universalité du documentaire

Le documentaire a le pouvoir de rapprocher le public de réalités lointaines. Il permet à des talents très divers de s’exercer. Celui du reportage, le but étant la description la plus précise du terrain, l’écoute la plus directe des hommes s’y trouvant.  D’autres films sont plus proches de l’œuvre d’art, de l’expression poétique, révélant l’invisible de la réalité, ses profondeurs : la ressemblance entre l’homme et son paysage. La forme y est travaillée, l’unité entre le visuel, parole et musique y est recherchée. On y trouve aussi la dimension tragique de la vie.

On découvre quelques chefs-d’œuvre au passage : un film iranien Seven symphonies of Zargos de Perwis Rostemi, le film géorgien Hey Gunesch de Marita Tevzadze, le film colombien Expedition Tribuga de Luis Villegas, le film russe Detached de Vladimir Krivov, le film indien The last Hope de Raja Shabir Mohammad Khan, le film Natives du brésilien Ulisses Rocha,  le film du Botsawa, Whisperers of the delta de Rufushia Molefe.

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Ce festival permet aux Parisiens de découvrir un art où la Chine excelle : le documentaire ethnographique. Pour un pays composé d’une mosaïque de minorités, le cinéma est un moyen visuel de communication intérieure, de connaissance et documentation des coutumes et identités. The mountain sing de Xiao Yang, présenté au cours de ce festival, est un chef d’œuvre du genre.

Le choix du premier prix attribué par le Festival Golden Tree fait écho en Occident à la quête chinoise d’un équilibre entre tradition et modernité. Il a été donné au film portugais : Breaking waves de Paulo Fajardo. Le thème est la vie d’un village de pêcheurs perpétuant un métier ancestral, utilisant filets et barques fragiles pour affronter un rude océan, tout cela coexistant avec un monde cosmopolite de vacanciers envahissant les plages à la belle saison.

D’autres films abordent le sujet de la mémoire et de l’adaptation au présent, mais centré sur une personne singulière évoquant l’enfance, la famille, la quête d’une identité, le tragique de l’histoire. C’est le thème de quelques films : A farewell to Memory (Argentine) de Nicolas Prividera, Ama-Das (Espagne) de Marga Gutierrez, The pursuit of ligth (China) de Zhang Tongdao, Between fire and water (Colombie) de Mariana Gomes Etcheverry,  Bigger than trauma, (Croatie) de Vedrana Pribai, The Act of Beauty (Canada) de Nicolas Paquet, etc.

D’autres films encore sont dédiés à l’observation des animaux, leur relation avec les hommes. De même sont relatés avec intérêt les expériences en cours pour la préservation de la nature :  Gonarezhou, return to the Rhino ( Zinbabwei) de Joanna Craig, Great Apes (Allemagne) de Anja Krug Metzinger, The land of spirits (Chine) de Haiuro Zeng, The monkey island ( Brésil) de Lorena Montenegro.

Les domaines de prédilection de l’influence chinoise : les arts visuels

Le festival Golden Tree est intéressant à observer, car il fait la promotion d’un mode de communication où le visuel, l’art, est privilégié comme mode d’échange international. Le monde chinois ainsi surmonte l’obstacle de la langue accru par des caractères d’écriture très complexes.

Le documentaire est un genre cinématographique qui circule de façon très fluide dans l’international, car souvent on le trouve en open source sur Internet. Sa diffusion sur de multiples supports médiatiques le rend accessible à un grand public planétaire. Il répond à une envie de connaissance et de partage et à un intérêt naturel pour le témoignage sensible et visuel du réel.

Nombreux sont les festivals voués au documentaire et la Chine se positionne fortement dans cette concurrence en proposant un soutien aux jeunes cinéastes et producteurs, bourses, stages, aide à projets, etc. Par ailleurs chaque festival donne lieu à des rencontres grâce à l’organisation de tables rondes, échanges et débats, réunissant les personnalités de ces métiers. Chaque année également est organisé à Pékin un colloque autour du documentaire sous le nom de Golden fruit. La concurrence mondiale, qui existe aujourd’hui par ces moyens de l’influence que sont festivals et colloques, sont bénéfiques à la création en augmentant la diversité des plateformes de reconnaissance dont les critères de choix diffèrent.

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La Chine a choisi dans sa politique d’influence de répondre de façon asymétrique aux stratégies américaines mises en place pendant ces trois dernières décennies. Elle laisse à l’Amérique et aux pays qui entrent dans le sillage de son soft power, la promotion de tout ce qui favorise la culture globale, et qui passe par la culpabilisation des identités quand elles sont fortes et leur active déconstruction.

Il existe depuis une décennie une réelle concurrence entre stratégies d’influence. Ce phénomène permet à une diversité d’exister qui est bénéfique à la création. Chaque pays veut aujourd’hui avoir sa stratégie d’influence et on observe des évolutions dans les positionnements. Certaines suivent le sillage de l’Amérique,[1] mais d’autres, telles les puissances émergentes ayant des civilisations fortes et anciennes, préfèrent une politique d’influence fondée sur l’idée d’échange entre civilisations.  C’est notamment le cas d’une partie des pays de l’Est de l’Asie. D’autres pays tiennent aussi à leur identité et en font la promotion comme la Russie et quelques pays d’Europe qui ont conscience du trésor que constitue leur patrimoine, telles la Hongrie, la Pologne, etc. D’autres pays ne cherchent pas à avoir une politique d’influence comme l’Inde pour qui ce n’est pas une priorité. Pour certains pays de l’Islam, le mot guerre culturelle conviendrait mieux que celui d’influence.

La Chine accorde une place particulière à l’échange, au partage entre grandes civilisations dont elle fait l’éloge.  Elle s’adresse en particulier à l’Europe qu’elle désire avoir comme alter ego.

Le Festival Golden Tree est un modèle en ce sens. Il organise la rencontre des cinéastes à Paris, il les prime, en fait la promotion, suscite des échanges, il compte sur l’affinité commune.   Les artistes dont la démarche n’est pas systématiquement de rupture et de déconstruction peuvent y rencontrer une reconnaissance, des amateurs, un public.

Civilisation ambassadrice plutôt que puissance prédicatrice

Les pays qui ont souffert d’un totalitarisme sanglant ont eu besoin après l’autodestruction de leur propre culture, de la réparer, la sauver, de se réapproprier de la gratuité, universalité, beauté de l’art. La source personnelle de tout art, la singularité de chaque expression, devient à leurs yeux, fédératrice. Un langage commun qui dépasse conflits et divisions permet de renouer des liens internationaux après l’isolement.  Les valeurs spirituelles jadis rejetées reprennent forme dans l’art comme étant des expressions d’une très ancienne civilisation. Elles sont revalorisées pour faire pendant au discours moralisateur et culpabilisant sur les valeurs sociétales, caractéristiques des soft powers centrés sur le global.

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Ainsi adviennent de nouveaux jeux sur l’échiquier de l’influence. La Chine reprend à son compte la méthode d’influence séculaire de la France fondée sur la promotion de la beauté, des métiers d’art, du luxe, des échanges dans le domaine des arts et sciences. La France l’a remise en cause pour se rapprocher du modèle américain réputé plus rentable, si l’on en croit les consignes de la feuille de route divulguée le 14 décembre 2021 par le ministère des Affaires étrangères.[2]

Le Festival Golden Tree qui a lieu tous les ans à Paris est un exemple d’accomplissement du soft power chinois et de son positionnement dans le monde : soft power de séduction plutôt que d’exécration, d’enracinement et réalisme plutôt que d’utopie globale, d’affinité et d’échange plutôt que de manipulation cognitive, d’harmonie plutôt que de dissonance sensible.

[1][1][1] La France y a adhéré récemment depuis la publication de la « Feuille de route du ministère des Affaires étrangères » du 14 décembre 2021. En voici le texte complet :

https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-influence_print_dcp_v6_cle8f2fa5.pdf

[2] Lien cité précédemment

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À propos de l’auteur
Aude de Kerros

Aude de Kerros

Aude de Kerros est peintre et graveur. Elle est également critique d'art et étudie l'évolution de l'art contemporain.
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