Le Covid a-t-il vraiment poussé les Italiens hors des villes ?

31 décembre 2024

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Monument à Victor-Emmanuel II. Crédits: ThePhotografer/Wikipedia

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Le Covid a-t-il vraiment poussé les Italiens hors des villes ?

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La pandémie a amplifié une tendance à la périurbanisation, notamment en Italie où la recherche de logements plus abordables et l’essor du télétravail ont favorisé une « évasion » des individus hors des pôles urbains. Des effets à court terme sont déjà visibles ; il reste à voir si ces dynamiques entraîneront des modifications durables des choix résidentiels.

Laura Silva, Sciences Po et Franco Bonomi Bezzo, Ined (Institut national d’études démographiques)

Durant l’été 2020, comme l’ont souligné les géographes Aurélie Delage et Max Rousseau, dans bon nombre de pays d’Europe, les médias ont largement relayé l’idée selon laquelle la pandémie de Covid-19 avait provoqué un exode urbain massif.

Si le concept d’une renaissance rurale circulait déjà auparavant dans le cadre d’un discours anti-métropolitain ; le Covid-19 l’a amplifié. La période a été propice à des récits exaltant l’attrait de la vie paisible à la campagne en période de restrictions sanitaires, développés par divers médias (notamment la BBC, Reuters ou encore Bloomberg). Cette vision romantique a suscité, en France, des critiques illustrées par le hashtag #guillotine2020 qui dénonçait les privilèges des célébrités confinées. Cela n’a toutefois pas empêché le récit de l’exode urbain de persister.

Une vision que l’on retrouve aussi en Italie si bien qu’à écouter le discours ambiant, il pouvait sembler que n’importe qui avait, premièrement, la possibilité de quitter les villes pour déménager dans une résidence secondaire et, deuxièmement, la volonté et l’opportunité de rendre ce déménagement permanent.

Dans un article récemment publié dans la revue scientifique European Urban and Regional Studies, nous avons tenté de vérifier si cette rhétorique amplement relayée dans les médias était fondée.

La pandémie, catalyseur de la périurbanisation

Les résultats de notre enquête montrent que le début de la pandémie peut avoir initié de nouvelles dynamiques résidentielles qui se sont stabilisées au-delà de cette période. Cependant, ces dynamiques complexes sont difficiles à appréhender à travers un seul indicateur. C’est pourquoi nous en avons utilisé quatre distincts.

Nous avons considéré, d’une part, l’activité et la localisation des utilisateurs du réseau social Facebook ainsi que les prix moyens des loyers comme des indicateurs de déménagements temporaires et, d’autre part, les transactions sur le marché immobilier et les changements de résidence officielle comme des mesures plus permanentes de relocalisation potentielle.

Ce travail révèle une tendance significative. Au début de la pandémie, les gens ont commencé à apprécier les avantages de vivre loin des pôles urbains. Ce changement s’est manifesté par l’augmentation des connexions Facebook en dehors des centres urbains traditionnels, suggérant une augmentation des interactions sociales dans des milieux moins densément peuplés. En outre, ces zones ont connu une augmentation significative des loyers et des ventes de biens immobiliers, ce qui témoigne d’un intérêt croissant pour les régions moins habitées.

Toutefois, à mesure que la pandémie progressait et que de plus en plus d’employeurs demandaient à leurs salariés de reprendre le travail en présentiel, les centres urbains ont retrouvé leur attrait. Ce regain de préférence pour les villes s’est traduit en 2022 par une baisse des connexions Facebook et des loyers en dehors des centres urbains.

Malgré ce retour à la vie urbaine, les zones intermédiaires et situées à l’extrême périphérie des villes continuent d’exercer un intérêt considérable. En témoignent le dynamisme du marché immobilier dans les communes situées en dehors des centres urbains et l’augmentation de la population résidant dans les zones périphériques. Au moment de prendre la décision de s’installer de façon permanente, en Italie, les gens ont préféré les zones périurbaines (en périphérie des villes) plutôt que les zones extrêmement rurales. Ces dernières, en revanche, ont connu un réalignement sur la dynamique prépandémique, caractérisé par un déclin significatif de la population. Cela indique une tendance à la périurbanisation plutôt qu’une renaissance rurale à proprement parler.

Des études menées en Espagne, en Chine, Italie et en Allemagne présentent des résultats similaires, suggérant que les gens sont plus attirés par les environnements périurbains qui offrent un équilibre commode entre les avantages des zones urbaines et la tranquillité rurale. Les données à long terme sur les modèles résidentiels confirment également cette tendance. Le nombre de résidents dans les zones périurbaines a augmenté de manière significative.

Selon une analyse publiée par le groupe immobilier Tecnocasa, en 2019 18,3 % des Italiens avaient choisi d’acheter une maison dans la périphérie de leur ville de résidence, un chiffre qui a grimpé à 23,1 % en 2023. Parallèlement, la part de ceux qui achètent un logement directement dans leur ville de résidence a diminué, passant de 74,4 % en 2019 à 67,6 % en 2023. Ces chiffres reflètent une évolution des préférences résidentielles, marquant un attrait croissant pour les zones périurbaines et témoignant d’un changement durable dans les préférences en matière de logement.

L’évolution des choix résidentiels appelée à perdurer post-pandémie ?

Historiquement, la périurbanisation a été motivée par des facteurs tels que l’augmentation des coûts du logement dans les aires métropolitaines et le manque de services de proximité adéquats dans ces zones comme l’assistance médicale de base et le soutien, avec une valorisation du rôle du médecin généraliste, des centres sociaux ouverts aux jeunes et aux familles, des bibliothèques de quartier, ou encore des marchés locaux, des écoles et des commerces de proximité. La pandémie semble avoir renforcé ces schémas. Alors que le coût du logement continue d’augmenter et que les services urbains restent insuffisants, les gens se tournent de plus en plus vers les zones périurbaines pour y trouver des solutions de logement plus viables à long terme.

Paysage rural italien
San Giminiano, Toscane (Italie).
L Walck/Flickr, CC BY

Avec le passage au travail à distance pour de nombreux professionnels, les gens disposent d’une plus grande flexibilité dans le choix de leur lieu de résidence. Ce qui a conduit à un intérêt accru pour les zones où les logements sont moins chers, les espaces plus grands et l’accès aux milieux naturels plus facile. En outre, lors de la pandémie, certains foyers ont peut-être choisi de s’éloigner des villes surpeuplées afin de limiter leur exposition au virus. Les confinements successifs liés à la pandémie ont également incité certaines personnes à accorder plus d’importance à l’accès aux espaces extérieurs, aux parcs et aux zones de loisirs, encourageant in fine leur déménagement.

Enfin, l’impact économique de la pandémie peut avoir fragilisé la situation financière de certains foyers, les incitant à rechercher des solutions de logement plus abordables en dehors de zones urbaines toujours plus coûteuses. Néanmoins, les analyses empiriques menées entre autres en Espagne et au Royaume-Uni n’ont pas mis en évidence d’exode urbain – entendu comme une migration massive des villes vers la campagne et en particulier vers des zones reculées.

Image satellite de l’agglomération de Vérone
Image satellite de la ville de Vérone (Italie).
Wikimedia

Toutefois, l’étude des transactions sur le marché immobilier montre une tendance à la baisse des préférences pour les villes, par rapport aux zones situées en dehors des centres. Il est possible que les individus, en raison de la pandémie, aient été tentés d’acheter un bien immobilier en dehors des pôles urbains, mais sans s’y installer pour autant.

Cela correspond aux résultats d’une enquête menée en 2021 dans seize pays européens par l’agence immobilière Engel & Völkers, dont il ressort que l’Italie arrive en deuxième position, immédiatement après l’Espagne, en termes d’intentions d’achat d’une résidence secondaire. Pour 70 % des clients italiens, une telle acquisition est une priorité absolue, et ce le plus tôt possible en raison d’une tradition d’épargne élevée et d’une attention accrue à une vie confortable.

Notre étude ouvre ainsi la voie à d’autres recherches pour tenter de saisir plus en détail la manière dont la crise du Covid-19 – au caractère exceptionnel – a pu conduire les individus qui en avaient les moyens d’envisager l’achat de résidences hors des centres urbains comme « stratégie d’évasion ». Plus généralement, les recherches futures devraient permettre d’établir si ces nouvelles dynamiques résidentielles dues à la pandémie restent stables par la suite, et de saisir la façon dont elles interagissent avec des tendances à plus long terme.


Cet article a été co-écrit avec Fabio Manfredini, Viviana Giavarini et Carmelo Di Rosa (Politecnico di Milano, DAStU).The Conversation

Laura Silva, Post-doctorante en sociologie, Paris School of Economics, Sciences Po et Franco Bonomi Bezzo, Dr., Ined (Institut national d’études démographiques)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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