Le corridor de Zangezur est un espace crucial à l’échelle de toute l’Eurasie. C’est par lui que doivent transiter les routes de l’énergie reliant le Moyen-Orient à l’Europe. Il attise de nombreuses convoitises mais demeure sous estimé en Europe.
« Il jouait du piano debout, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup » chantait France Gall.
De même le corridor de Zangezur entre Arménie et Azerbaïdjan, dont nul ou presque, dans l’Union européenne et ses principaux pays-membres, ne sait grand-chose.
Pourtant, ce corridor veut dire autant pour l’avenir de la cruciale charnière intercontinentale Asie-Europe débouchant sur la mer Noire, que la guerre Russie-Ukraine, sur laquelle toute l’Europe, tout le monde atlantique, s’obnubilent à présent.
S’il est achevé, ce corridor de Zangezur reliera Kars en Turquie orientale à Bakou en Azerbaïdjan, passant par une bande de territoire arménien, le long de la frontière de l’Iran, à travers la province azérie-exclave du Nakhitchevan, que ce corridor arménien sépare justement du pays lui-même.
Corridor de Dantzig dans l’entre-deux-guerres mondiale… Corridor de Zangezur à présent… Toujours, des terres stratégiques. Un résultat inévitable : une situation de conflit émerge et s’aggrave. Dans le cas présent, d’autant plus que les enjeux sont majeurs :
Pour R. T. Erdogan, ouvrir ce corridor est un impératif du panturquisme ; aller droit par l’autoroute et le train, sans obstacle (chrétien, en plus), d’Ankara à Bakou, c’est l’accès direct aux « Stans » d’Asie centrale, tous turcophones (sauf le Tadjikistan) ; l’émergence d’un « Turkestan » demain rassemblé, des limites de l’Europe à celles de la Chine
Pour l’Azerbaïdjan, perspective immense, ce corridor réalisé l’installe au carrefour des deux cruciales connexions économiques eurasiatiques : Nord-Sud et Est-Ouest. À terme, la voie ferrée directe + autoroute Kars-Bakou en ouvre une autre, plus stratégique encore, unissant la Russie à l’Inde ; bien plus courte, donc moins cher, que toute autre à travers l’Asie centrale. La circulation directe des conteneurs Russie-Azerbaïdjan ; de là jusqu’à Mumbai (Bombay) via l’océan indien est le rêve des pays en cause.
La Chine aussi surveille la situation : que Zangezur s’ouvre, raccourcirait et accélèrerait ses « Routes de la Soie ».
Obstacle majeur cependant, l’Iran, que le corridor de Zangezur couperait de l’Arménie. Quelle importance, diront les âmes simples. L’Azerbaïdjan, antique terre zoroastrienne (Azer = feu en Perse) – Azerbaïdjan, pays du feu et ses temples où brûle l’éternelle flamme du naphte de son sous-sol ? Pays musulman, à 60% chi’ite ? Un allié évident pour l’Iran ? Non justement : l’Azerbaïdjan est pleinement dans l’orbite turque ; et de toujours, le chi’isme perse vit dans la révérence du christianisme arménien. Pour les chi’ites perses, sans exagérer, les Arméniens chrétiens sont un peuple-Christ aussi révéré que les Juifs pour les protestants américains.
Or là, déchirement pour Téhéran : le dernier tronçon du corridor Mourmansk – Moscou – Bakou – Mumbai, doit traverser tout l’Iran, de la Caspienne à l’Océan indien, jusqu’à son port de Chabahar. La voie ferrée Iran-Azerbaïdjan (Qazvin-Rasht-Astara) est la clé du corridor international de transport Nord-Sud (INSTC), raccordant Téhéran à l’immense grille commerciale de l’UEE (Union Économique eurasienne), suscitant maints bienfaits économiques, dont des exportations massives vers l’Asie centrale et la Russie.
Là cependant sont les soucis et espoirs de demain. Aujourd’hui, la guerre menace. Depuis novembre, l’état-major de Bakou et ses drones « Bayraktar-TB2 » turcs reprennent la surveillance des positions arméniennes, au-dessus du Karabagh, au long des frontières arménienne et iranienne ; survolant bien sûr le corridor de Zangezur et le Nakhitchevan.
Des intérêts économiques immenses. Un étroit corridor au fin fond d’une Arménie fragilisée. Un Azerbaïdjan qui renforce sans cesse un arsenal turc, que son pétrole lui permet d’acheter. Des chefs d’État comme V. Poutine et R.T. Erdogan, adeptes de la géopolitique au long cours. L’OTAN et l’UE happées par l’Ukraine et désormais, par la Syrie. Une conjugaison bien tentante, quand même.