Nous avons demandé aux partenaires internationaux de Conflits comment ils voyaient la place de la France dans le monde et les coopérations avec leur pays. Première réponse de Juan Pablo Toro, directeur exécutif d’AthenaLab (Chili).
Vue du Chili, la France apparaît comme une grande puissance militaire et économique, membre du Conseil de sécurité des Nations unies et du G7, ainsi que comme une pierre angulaire de l’édifice appelé Occident. Cependant, elle est considérée comme une nation essentiellement européenne, ce qui n’est pas faux, bien que ce soit inexact. On oublie souvent qu’elle est aussi un pays d’Amérique latine, de Polynésie et, bien sûr, d’Antarctique. Et je crois qu’à Paris, il y a une vision un peu similaire, et en sens inverse. La tri-continentalité chilienne est peu intériorisée et on a tendance à nous considérer uniquement comme des Sud-Américains. C’est à partir de ces appartenances multiples et communes que les deux pays, qui partagent déjà une longue histoire de coopération fondée sur des intérêts (le commerce) et des valeurs (la démocratie), peuvent entamer une nouvelle étape de rapprochement qui les conduira à mieux se positionner dans un monde plus compétitif où les alliances sont essentielles pour faire face aux défis mondiaux.
La décision de la France de situer l’Indo-Pacifique comme une priorité stratégique dans ses récents documents officiels est très intéressante et importante pour le Chili, car les deux pays sont présents en Polynésie de manière spécifique, avec Tahiti et Rapa Nui (l’île de Pâques), par exemple. Mais surtout, parce qu’une série de territoires insulaires, apparemment sans lien avec les métropoles, deviennent des atouts précieux. Avec l’escalade des tensions entre la Chine et les États-Unis, plusieurs pays européens ont décidé de renforcer leur empreinte en envoyant des navires et en renforçant leurs relations diplomatiques. Dans la pratique, cependant, seule la France a une présence effective et permanente dans la zone qui est devenue le centre de la géopolitique mondiale. Cela devrait permettre à Paris de raviver sa stature stratégique avec un agenda positif et indépendant.
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Après la fin des essais nucléaires dans le Pacifique Sud, il est désormais beaucoup plus facile de travailler avec les Français sur des questions telles que le contrôle des pêches, l’interdiction des drogues, l’atténuation de l’impact du changement climatique et la réponse aux catastrophes.
Avec des capacités plus proches que celles de certains États insulaires, Santiago et Paris ont même déjà mis en place des mécanismes pour structurer leur coopération en matière de sécurité par le biais d’un « dialogue stratégique » au niveau des ministères de la Défense et des états-majors des forces armées.
Au niveau opérationnel, les deux pays disposent dans leurs marines des instruments de puissance nationale nécessaires pour agir de manière combinée et dépasser ainsi la mentalité continentale qui tend à limiter les scénarios de travail choisis par les décideurs à Paris et à Santiago. Aujourd’hui, non seulement nous naviguons sur des navires de combat aux caractéristiques similaires, mais la façon dont nous nous conduisons et planifions suit les protocoles de l’OTAN. La frégate Prairal est une vieille connaissance du port de Valparaiso, tandis que plusieurs de nos navires ont fait escale à Papeete à l’aller et au retour de déploiements dans l’Indo-Pacifique. Il y a dix ans, des marins chiliens ont participé avec leurs homologues français à l’exercice Marara.
À cela s’ajoute le fait que nous approchons les mêmes partenaires dans la région. Presque simultanément et sans coordination, nos pays ont renforcé leurs relations avec l’Australie et, dans une moindre mesure, avec la Nouvelle-Zélande. Cette réalité ouvre de nouvelles possibilités d’action à trois ou quatre.
La projection française dans l’Indo-Pacifique, contrairement à d’autres, est également remarquable par sa projection dans l’Antarctique, où nous avons tous deux des revendications territoriales, qui heureusement ne se chevauchent pas. Cela renforce nos perspectives de coopération dans l’intérêt du maintien du système du traité sur l’Antarctique et face à l’assaut des puissances qui accroissent leur présence sur ce continent à un rythme accéléré.
Et étant donné que nous sommes ensemble en Amérique latine, la France par le biais de la Guyane et des îles des Caraïbes, force est de constater que la réalité régionale est marquée par l’impact du coronavirus, qui en a fait l’épicentre de la pandémie. S’il est vrai que certains pays ont obtenu de meilleurs résultats que d’autres, le choc économique et l’instabilité socio-politique ne font qu’augurer de périodes de turbulence à venir. Tous ces facteurs peuvent aggraver la détérioration de la sécurité publique aux mains de groupes de trafiquants de drogue dotés de capacités transnationales. À cet égard, Paris a une grande expérience à partager en matière de maintien de l’ordre et de renseignement, qui pourrait contribuer à la modernisation des forces de l’ordre locales.
Certes, les défis semblent nombreux, mais dans un monde aux ressources limitées, les possibilités de les relever avec succès augmentent si le Chili et la France travaillent dans des domaines où ils ont toujours été présents, sans toujours en être conscients.