À la veille d’importantes élections générales en Afrique du Sud, un mouvement a émergé sur la scène politique locale. Implanté dans le Western Cape, il a ravivé le vieux rêve des Afrikaners d’établir leur propre volkstaat et mène campagne pour séparer la province du reste de la nation arc-en-ciel.
Le 29 mai prochain, les Sud-Africains sont appelés à se rendre aux urnes pour renouveler leur parlement. Une quinzaine de partis vont se disputer les voix d’un pays en « état de catastrophe nationale » selon les mots mêmes du Président Cyril Ramaphosa.
À la tête de l’Afrique du Sud depuis la fin de l’apartheid en 1994, l’African National Congress (ANC) de feu Nelson Mandela présente un bilan peu reluisant. Marquée par une forte crise de l’électricité qui a contraint le gouvernement à imposer des coupures fréquentes, l’Afrique du Sud est économiquement épuisée, malgré une importante baisse de l’inflation. Le pays doit régulièrement faire face à des émeutes de la faim, à un chômage croissant touchant principalement la population noire, à des inégalités sociales de plus en plus en forte, favorisant la montée des extrêmes, et à une augmentation de la criminalité. Pis, l’image internationale de l’Afrique du Sud s’est nettement détériorée depuis son refus de condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie (évoquant une position de non-alignement dans ce conflit) et par son soutien aux Palestiniens en dénonçant un « génocide » perpétré par les Israéliens en réponse à l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023.
Naissance d’un nouveau mouvement
Profitant de la désillusion générale et du mécontentement généré par quatre décennies de domination exclusive de l’ANC, un mouvement est apparu sur les réseaux sociaux, appelant à la tenue d’un référendum pour séparer le Western Cape du reste de l’Afrique du Sud. L’idée a suscité un engouement surprenant, convainquant son leader, Jack Miller, âgé de 39 ans, de passer de la sphère virtuelle au réel. Baptisé CapExit (ou Cape Independence Party), en référence à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, ses militants sont convaincus que le projet a toutes ses chances dans un pays en proie à une crise identitaire héritée de son passé ségrégationniste. Autour de cet ancien acteur, des Sud-Africains rassemblés autour d’une conviction commune, celle que le pouvoir politique de la province doit être avant tout choisi par l’électorat du Cap et être responsable devant lui, et non par le gouvernement central sud-africain pour lequel le Cap n’est pas une priorité.
Le choix de cette province n’est d’ailleurs pas anodin puisqu’il s’agit du berceau de la nation sud-africaine. C’est ici, au cours du XVIIe siècle, que les premiers colons néerlandais ont débarqué pour fonder la colonie du Cap avant d’être rejoints par des Français, des Allemands puis par les Britanniques, qui ont fini par coloniser progressivement cette partie du continent austral de l’Afrique. C’est depuis Cape Town que les Afrikaners ont organisé leur voyage historique, le « Grand Trek », afin de fonder les futures républiques de l’État du Transvaal et de l’État libre d’Orange, dont l’existence a pris fin en 1902 après la seconde guerre anglo-boer. Si cette province rassemble toutes les composantes ethniques de l’Afrique du Sud, elle est également la seule dirigée par un blanc, leader local de la Democratic Alliance (DA), principal parti d’opposition à l’ANC. L’idée sécessionniste n’est d’ailleurs pas nouvelle. Depuis la fin de l’apartheid, elle est régulièrement évoquée par divers groupes, tant noirs que blancs, qui critiquent les décisions du gouvernement qu’ils jugent désastreuses pour la survie de leurs ethnies, du volk. Certains groupes afrikaners ont même franchi le pas en fondant leur propre ville exclusivement blanche, comme Orania ou Kleinfontein.
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Depuis, le mouvement a rallié plusieurs partis minoritaires pro-sécessionnistes ainsi que le Freedom Front +, qui représente au Parlement les intérêts des Afrikaners désireux de vivre dans leur propre État. « Le gouvernement de l’ANC que nous n’avons pas élu a systématiquement utilisé son pouvoir pour affaiblir, marginaliser et discriminer la population du Cap. Non seulement l’ANC a adopté des politiques économiques désastreuses qui ont dévasté notre économie, nous ont laissé avec des taux de chômage parmi les plus élevés et des taux d’éducation les plus bas au monde, mais elle a également laissé des millions de personnes vivre dans une pauvreté écrasante », expliquent fort à propos les indépendantistes dans leur manifeste de campagne. Il est vrai que la province possède le taux de chômage le plus bas d’Afrique du Sud (à peine 20%). Ces arguments résonnent auprès de la population du Cap questionnée sur le sujet. En août 2023, un sondage mené par le mouvement auprès d’un millier de personnes a fait sensation dans les médias locaux. 68% des personnes interrogées affirmaient soutenir le principe d’un référendum sur la question de la sécession, 58% se disant prêtes à voter oui si cette question était posée aux habitants du Western Cape. 81% des coloureds (métis) et 72% des blancs se disaient favorables à la séparation de la province, contre à peine 47% chez les noirs.
Malgré tout, l’idée peine à convaincre sur le terrain. Le mouvement indépendantiste (qui compte deux élus sur les 231 attribués au Conseil municipal du Cap) doit faire face à une opposition qui dénonce un jeu « dangereux pouvant mener au chaos », rappelant que ce type de référendum serait illégal. « Constitutionnellement, ils ne seraient de toute façon pas en mesure d’imposer une sécession du Western Cape, même s’ils parvenaient à obtenir une certaine position de pouvoir, ce qui est extrêmement improbable », affirme l’analyste politique Daniel Silke. Interrogé par Voice of Africa, il rejette « l’idée selon laquelle, même avec un plus grand nombre, les séparatistes gagneraient ». « La promesse de sécession est juridiquement irréalisable et lourde de conséquences. Malgré les dispositions constitutionnelles prévoyant l’autodétermination des provinces, la sécession reste ambiguë et risque une intervention militaire de l’ANC », avertit même le Dr Brian Benfield, professeur à la retraite du Département d’économie de l’Université du Witwatersrand, évoquant une possible guerre civile. La Democratic Alliance, sensible à cette idée qui reste majoritaire parmi ses membres, n’entend cependant pas la soutenir, comme l’a indiqué son porte-parole en février 2024. D’autant que la DA joue son va-tout dans cette élection où elle pourrait perdre sa majorité après avoir ouvertement soutenu Israël. Préférant obtenir une plus grande autonomie fédérale que de favoriser un divorce, un projet a d’ailleurs été déposé en ce sens par la DA. Il reste en attente d’être étudié par le Parlement.
Un Referendum Party, créé pour l’occasion, se présentera aux prochaines élections provinciales avec l’espoir de créer la surprise aux côtés du Freedom Front +. Mais pour les indépendantistes, très divisés politiquement, y compris sur le tracé des frontières du futur État, c’est encore un « long chemin vers la liberté » qui sera difficile à atteindre, tant la probabilité qu’ils soient majoritaires à ce scrutin reste proche de l’impossible.