Le brouillard de la guerre. Éditorial du n°18

3 juillet 2018

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Le brouillard de la guerre. Éditorial du n°18

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Les militaires parlent du « brouillard de la guerre » : ils désignent ainsi l’incertitude qui affecte les combats et que Clausewitz comparaît au brouillard, mais aussi au clair de lune ; les deux phénomènes déforment les réalités et les brouillent, elles empêchent de décider avec lucidité. À l’époque où Clausewitz écrivait, le terrain où les armées s’affrontent constituait l’essentiel de ce « brouillard ». Le champ de bataille n’est pas une carte que l’on surplombe et où tous les éléments apparaissent clairement, il est encombré de reliefs, de végétations, d’obstacles qui bloquent la vision et empêchent de distinguer l’ennemi. D’où l’importance autrefois de la cavalerie légère qui éclairait l’avant et les flancs de l’armée pour mieux voir et être informé, sans empêcher des batailles dites de « rencontre » quand on tombait sur l’ennemi sans l’avoir prévu, à Solférino par exemple.

Il existe une autre façon de comprendre l’expression. Elle concerne les doctrines stratégiques ; ce n’est plus l’espace mais le temps qui brouille la vision. Que sera la guerre de demain ? Grande bataille « à l’ancienne » ? Cyberconflit et désinformation ? Guérilla et petite guerre ? Choc nucléaire ? Hybride associant toutes les armes et toutes les méthodes ?

Les affrontements entre états-nations, les «grandes batailles», semblent avoir disparu, croit-on. La dernière grande guerre entre Israël et des pays arabes a eu lieu en 1973, le conflit entre le Royaume-Uni et l’Argentine de 1982 et celui qui a opposé Inde et Chine de 1962… Dans ce dernier cas, la possession de l’arme atomique par les deux protagonistes rend impossible aujourd’hui le retour de la guerre, semble-t-il, et l’idée vaut pour bien des affrontements. Grâce à l’atome, l’heure serait à d’autres formes de conflits, petite guerre, cyber-conflits ou affrontements hybrides, sans parler de la guerre économique qui relève d’une autre logique.

Méfions-nous des évidences. Qui aurait cru après la Seconde Guerre mondiale, ses débauches de bombardements et son usage massif de blindés, que reviendrait le temps de la guérilla, comme à l’heure de la guerre d’Espagne de Napoléon, et mieux encore que ces guérillas tiendraient en échec les plus puissances armées occidentales ? L’actualité nous incite à être prudents : au Proche-Orient, en Corée, en mer de Chine, en Europe de l’Est, la guerre et même la grande guerre redevient plausible. Un incident mal maîtrisé, un événement imprévu pourrait la déclencher.

Que sera la guerre demain ? Répondre à cette question est vital car c’est aujourd’hui que nous concevons les armements qui seront opérationnels dans l’avenir, quelques dizaines d’années dans le cas des avions ou des navires de combat ; c’est aujourd’hui que nous formons les hommes pour ces affrontements futurs ; c’est aujourd’hui que nous élaborons les doctrines qui serviront demain – en espérant que nous ne sommes pas en train de construire de futures lignes Maginot stratégiques. Il existe une inertie des choix militaires, en particulier des choix en matière d’armement, qui fait d’une décision erronée en amont une catastrophe militaire en aval.

« C’est tout simple » diront les simplistes, il suffit de se préparer à tous les types de conflits. Le prix des matériels rend cette solution impossible, même pour les États-Unis qui renoncent à certains programmes aéronautiques et navals trop coûteux. Eux aussi doivent faire des choix, donc, sinon des paris sur l’avenir, du moins des prévisions.

La prévision est délicate puisqu’elle dépend des technologies futures, mais aussi des adversaires auxquels nous serons affrontés, des efforts que la société sera disposée à fournir et à financer, des leçons que nous tirerons des guerres récentes… Tel est ce brouillard que Conflits s’efforce de dissiper.

Avec une seule certitude. Quel que soit le visage qu’elle prend, la guerre ne disparaîtra pas.

Pascal Gauchon

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