Les marchés tablent sur un retour à un taux d’inflation de 2 à 3 % dans la plupart des grandes économies. Cette prévision repose sur de nombreux facteurs, notamment (i) la baisse de la croissance des prêts bancaires, (ii) la contraction de la croissance de la masse monétaire aux États-Unis, (iii) les craintes d’une récession américaine, (iv) le ralentissement de la croissance chinoise, (v) la faiblesse des monnaies asiatiques, notamment le renminbi, le yen et le won, (vi) les prix de l’énergie qui restent dans une fourchette étroite, (vii) les prix des produits de base qui ont été étonnamment faibles au cours des derniers mois, et (viii) les prix des métaux qui se sont affaiblis en réponse aux données décevantes sur l’immobilier en Chine. En d’autres termes, il existe de nombreuses raisons valables de s’attendre à ce que les prix restent sous contrôle.
D’un autre côté, de puissantes forces inflationnistes sont à l’œuvre : les politiques budgétaires dans le monde occidental, y compris aux États-Unis, restent très stimulantes, les liquidités injectées dans le système entre début 2020 et début 2022 n’ont pas été entièrement digérées, les marchés du travail dans la plupart des grandes économies restent très tendus, ce qui fait grimper les coûts de la main-d’œuvre, les prix des semi-conducteurs augmentent en raison de l’essor de la demande d’intelligence artificielle, de véhicules électriques, de réseaux électriques intelligents, etc., et globalement, la croissance reste résiliente, en particulier dans les marchés émergents en dehors de la Chine.
En bref, nous assistons à un véritable bras de fer. À court terme, qu’est-ce qui pourrait faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre ?
Forces inflationnistes
Des problèmes de transport maritime. La sécheresse du printemps a contraint l’autorité du canal de Panama à imposer des restrictions de tirant d’eau aux navires transitant par la voie navigable. Cela pourrait inciter les syndicats de dockers de la côte ouest des États-Unis à durcir leur position dans le conflit de travail qui les oppose aux employeurs. La combinaison d’une réduction de la capacité du canal de Panama et d’une grève dans les ports de la côte ouest n’équivaudra peut-être pas aux graves perturbations de la chaîne d’approvisionnement observées lors de la crise de Covid. Il s’agit néanmoins d’un risque à prendre en compte.
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El Niño. Les météorologues pensent que les mois à venir verront l’émergence d’un phénomène climatique El Niño dans le Pacifique. Ce phénomène se traduit généralement par des températures plus élevées en Asie et en Amérique du Nord, avec davantage de pluie en Californie, mais des conditions plus sèches dans le Midwest. En revanche, les années El Niño ne donnent lieu qu’à des saisons cycloniques modérées dans l’Atlantique. À l’inverse, un temps plus chaud peut entraîner de mauvaises récoltes de riz en Asie et une hausse des prix. Dans la plupart des pays, les prix du riz sont restés stables ces dernières années. Les adeptes de l’idée de Hyman Minsky selon laquelle la stabilité engendre l’instabilité diront que cette longue période de stabilité des prix n’a pas encouragé la production excédentaire, les réserves de précaution et l’investissement dans de nouvelles capacités.
Face à ces catalyseurs inflationnistes hypothétiques, nous disposons encore d’importantes forces déflationnistes.
Forces déflationnistes
Un début de paix au Moyen-Orient, qui élimine le risque inflationniste que l’Iran et l’Arabie saoudite ne transforment leurs conflits par procuration en une guerre directe qui ferait grimper les prix du pétrole en flèche. Cette menace étant écartée, le Moyen-Orient semble prêt à profiter pendant des années d’un dividende de la paix déflationniste.
Affaiblissement des monnaies asiatiques. Pour l’instant, il s’agit d’un phénomène désinflationniste. Toutefois, la faiblesse des monnaies asiatiques pourrait ne pas durer, car les investisseurs se rendent compte que la Réserve fédérale n’a pas d’autre choix que d’aider le gouvernement américain à rembourser sa dette qui ne cesse de s’alourdir.
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Ces dernières années, on a eu l’impression que le risque inflationniste se matérialiserait par une flambée des prix de l’énergie. Mais peut-être ce biais inhérent était-il mal placé ? Au vu des récents événements géopolitiques et climatiques, notamment la guerre en Ukraine et El Niño, les risques les plus importants pourraient être les taux d’expédition, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et l’augmentation des prix des denrées alimentaires. Heureusement, compte tenu de la baisse des matières premières douces depuis 20 ans et de l’effondrement récent des stocks d’engrais et des grands producteurs alimentaires, ce sont des risques qu’il n’est peut-être pas trop coûteux de couvrir.