La catastrophe arménienne comme précurseur de l’expérience européenne

14 septembre 2020

Temps de lecture : 20 minutes

Photo : Paysage d'Europe (c) Unsplash

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La catastrophe arménienne comme précurseur de l’expérience européenne

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Qu’est-ce que l’Europe et sur quels fondements repose la culture européenne ? Celle-ci donne aujourd’hui l’impression de ne plus vouloir vivre ni se défendre pour maintenir son génie. L’expérience arménienne peut être une leçon pour l’Europe. Régulièrement attaqués, envahis, voire massacrés, les Arméniens ont néanmoins réussi à survivre et à maintenir leur culture et leur nation.

 

Si l’on en croit la mythologie grecque, Europe aurait été séduite par Zeus métamorphosé en taureau blanc. La fille du roi de Tyr aurait ensuite été enlevée par le dieu concupiscent pour finir sa vie en exil sur l’ile de Crête. De cette légende antique, de l’étymologie même du mot Europe, personne à la « large vue », le philosophe Jean-François Mattei a tiré une superbe philosophie faisant de l’esprit européen, cette inclination à l’exil et à la nostalgie, mais aussi cette disposition inconnue jusqu’alors, à regarder les choses de loin et de haut, dans une perspective critique, c’est-à-dire littéralement révélatrice. Dans son essai sur « le regard vide », Mattei explique que cet esprit européen serait ainsi né à Athènes et dans les autres cités du Péloponnèse, où sur le théatron – lieu où porte le regard, se joue la théoria, c’est-à-dire le spectacle mimétique de la réalité.

 

Si l’on suit la pensée du philosophe, il y aurait donc comme un lien consubstantiel entre conception mémorielle du monde – et capacité à la pensée critique. C’est parce qu’Europe voyait de loin et avec une certaine nostalgie ses origines qu’elle pouvait voir au loin et avec prospective son avenir. Et par contraste les peuples restés sans mémoire demeurent également dans l’immanence de l’instant, sans passé, sans futur et sans conscience. Ils ne parlent pas ni n’écrivent leur histoire pas plus qu’ils ne peuvent spéculer. Sans Hérodote, point de Platon. Et si nous connaissons les Perses, nous ne les avons finalement longtemps connus que de la bouche d’Eschyle.

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À cet égard, l’Europe a jeté sur le monde un regard totalisant. Elle l’a littéralement inventé. C’est l’esprit européen et lui seul qui a exploré l’ensemble des terres et des mers. C’est l’esprit européen qui a nommé, non pas les choses, mais les faits en les insérant dans un cadre de compréhension qui ne leur préexistait pas. C’est l’esprit européen qui a inventé des mécanismes nécessaires là où les autres civilisations n’avaient vu que des contingences arbitraires. C’est l’esprit européen qui a opéré des tailles et des tranchées dans la réalité des évènements pour en dégager des vérités qu’il croyait absolues, qu’il s’agisse de vérités scientifiques, métaphysiques ou historiques.

L’Europe et le système moderne

 

L’une des conséquences de cette lente maturation, de cette emprise progressive de l’esprit sur la matière, y compris sur la matière historique, fut la constitution des nations. Bien avant l’ère moderne, bien avant les États-nations, des nations se sont constituées sur la base d’une vision commune d’elles-mêmes, d’une vision au demeurant profondément discriminante en ce qu’elle distinguait le Soi de l’Autre. L’Autre n’était pas nécessairement l’ennemi, mais il était indubitablement différent. Les points de distinction sur lesquels les nations se sont ainsi séparées ont pu et peuvent toujours être jugés parfaitement arbitraires. Et ils le sont – qu’il s’agisse de la langue, de la foi, d’un ensemble de coutumes, de quelques batailles, d’une couleur de peau. Là n’est pas le problème que je veux aborder. Le fait est que les nations ont sélectionné dans la masse des évènements, un certain nombre d’entre eux, qu’elles les ont érigés en faits pour se constituer autour de leur historicité ainsi fabriquée. À partir du matériau brut et chaotique de l’Histoire, elles ont ainsi tracé des lignes de démarcation et des points de ralliement qui ont permis leur propre affirmation, allégeances et appartenances, comme les constellations tout aussi arbitraires permettent de repérer et d’associer les étoiles dans le ciel.

En quoi ce processus fut-il spécifiquement européen ? Après tout, les Chinois, les Indiens ou les Égyptiens ou plus tard les Arabes n’en ont pas fait de même ? Non, définitivement non ; en tout cas pas avec la même ferveur, pas avec le même fanatisme. Les Européens et eux seuls se révélèrent fanatiques de la taxonomie, classant les roches, les plantes, les animaux, les hommes, les idées, en fait tout ce qui leur est tombé sous la main, et au-delà de tout besoin pratique. C’est dans cette esthétique du système qu’il faut chercher – des solides idéaux de Platon au structuralisme de Lévi-Strauss – l’esprit de l’Europe[1]. Les autres civilisations ne la pratiquèrent que de manière contingente, « en tant que de besoin », sans doute à l’exception notablement signifiante des cosmogonies religieuses : si la mort de Dieu eut lieu d’abord en Europe, c’est parce que c’est là qu’il y fut remplacé par ses succédanés systémiques : les sciences naturelles, les sciences politiques, les sciences sociales. Aux états théologiques considérés comme obscurantistes, Auguste Comte opposa l’état scientifique considéré comme « positif ».

 

C’est dans ce contexte qu’apparut une élite européenne pour laquelle était essentielle cette conception systémique du cosmos et qui sut néanmoins dériver de cette conception considérée comme ontologiquement représentative de la Vérité toutes les sciences pratiques qui fondèrent notre monde moderne. Pour la première fois peut-être dans l’Histoire, une religion totalisante prétendait non seulement comprendre les desseins de l’Être suprême – à travers des lois mathématisées – mais elle permettait encore d’en prévoir les conséquences pratiques dans le monde des hommes et de leurs sociétés. À cette aune, les luttes du XIXe siècle entre « économistes » (c’est-à-dire libéraux), socialistes et plus tard communistes ou fascistes ne doivent être considérées que comme secondaires. Le fait majeur, le fait massif, le fait irrésistible fut l’Occident[2] et sa technicité ellulienne[3], son règne de la quantité pour parler comme René Guénon (après tout, ratio ne signifie-t-il pas mesure ?) et l’assomption des masses. La plupart le célébrèrent, quelques-uns le déplorèrent, d’autres prophétisèrent son déclin, d’autres encore le considérèrent comme représentatif du déclin, mais tous y compris ses adversaires reconnurent son incontestable prévalence sur l’ensemble du règne humain. C’est ainsi que, s’opposant à Spengler, un penseur identitaire comme Guillaume Faye a pu écrire « l’Occident n’est pas « en » déclin – il est au contraire en expansion – mais il est le déclin ». Et il est vrai que la pensée occidentale est devenue à ce point universelle qu’on serait bien en peine de trouver aujourd’hui une seule apologie ou une seule critique de cette pensée qui s’exprimât en des termes et par le biais d’une argumentation lexico-syntaxique qui ne soit pas celle de l’Occident[4]. Pas même une seule description de ce phénomène proprement occidental à l’instar des présentes considérations. L’explicitation occidentale du monde a littéralement détruit toutes les autres possibilités de récits.

Barbarisation et réhabilitation européenne des Arméniens

 

Au regard de la pensée européenne dont je viens de donner une esquisse, le destin des Arméniens apparaît comme fort singulier ; ce fut le destin d’une nation qui s’était oubliée et l’une des rares qui – par quelque sortilège de l’Histoire – sut se sortir de cet oubli. En un certain sens, on peut dire que le sort des Arméniens fut quelque peu similaire à celui des Juifs auxquels ils se comparent souvent, si ce n’est que l’oubli fut sans doute bien moindre chez les Juifs en dépit d’une dispersion qui fut plus longue et plus importante.

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Même s’ils étaient connus pratiquement de tout temps par les Grecs, les Arméniens apparaissent dans l’histoire comme des barbares : leurs premières dynasties sont celles de satrapes perses émancipés par l’épopée d’Alexandre. Si l’ethnogenèse des Arméniens s’affirme dès la Haute Antiquité, leur identité nationale ne se cristallisera définitivement qu’avec l’adoption du christianisme et avec la création idoine d’un alphabet qui leur est resté propre. C’est par la capacité à écrire leur langue, c’est-à-dire à s’énoncer eux-mêmes que les Arméniens accèderont au statut de nation civilisée au tournant du Vème siècle de notre ère. Et c’est par la fixation écrite de leur langue jusqu’alors orale qu’ils sortiront du lot des nations vouées à disparaître. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que pour les Grecs, les barbares étaient non pas ceux qui ne parlaient pas le grec, mais ceux qui ne maîtrisaient pas leur propre langue, c’est-à-dire leur capacité à s’énoncer et à affirmer leur représentation du monde. Le barbare c’est d’abord celui qui s’exprime par barbarisme, des termes qui renvoient même aux borborygmes selon les processus de la phonologie linguistique. C’est ce qu’affirme Jean-François Mattei lorsque, dans « la barbarie intérieure », il écrit « Ce qui frappe chez Homère, c’est que lorsqu’il utilise le terme de « barbarophones » (barbarophônon), c’est pour désigner un trait commun aux habitants de la région de Carie en Asie Mineure : tous ont une prononciation bafouillante et confuse. Ainsi, à l’origine, la barbarie des Cariens relevait moins de quelque infériorité ethnique par rapport aux Grecs que du manque de clarté de leur prononciation par rapport à la clarté de l’articulation de la langue grecque. Ce n’est que plus tard que les « barbarophones » c’est-à-dire ceux qui parlent de manière barbare ou par « borborygmes » désigneront tous les peuples étrangers à la langue grecque, c’est-à-dire tous ceux qui parlent barbare, c’est-à-dire qui massacrent leur langue : il y eut donc déplacement d’une modalité d’expression à une langue, comme telle, et par-delà la langue à la civilisation ».

 

Ce n’est pas un hasard si l’Église arménienne a canonisé Machtots, le moine créateur de l’alphabet arménien, ainsi que les Saint-Traducteurs (Sourp Tarkmantchats), car ce sont bien eux qui, plus par la maitrise de la langue que par la propagation de la Foi, ont sorti les Arméniens des peuples sans histoire. Ce sont eux qui ont fait d’un peuple barbare une nation civilisée, c’est-à-dire capable d’énoncer sa propre vérité. Il est également notable que les Géorgiens pourvus par le même Machtots d’un alphabet propre et dont – tout comme les Arméniens – ils font usage jusqu’à nos jours préservèrent également leur identité nationale ; à la différence par exemple des Albaniens du Caucase qui – eux aussi dotés par Machtots de leur alphabet – n’en firent quasiment jamais usage[5] et finirent avalés par les vagues d’invasions successives. Pourquoi se garder de l’assimilation quand aucune conception propre du monde n’est à défendre ?

 

Avec leur alphabet, avec leur langue écrite, les Arméniens au contraire s’empressèrent certes de traduire la Bible, les Pères de l’Église et à peu près l’intégralité des productions savantes de la Grèce antique – philosophie, théâtre et ouvrages scientifiques – mais aussi d’affirmer par l’écrit leur propre compréhension du monde, qui plus est dans le contexte des luttes d’influence entre Perses et Byzantins et des vives controverses christologiques qui émaillèrent les premiers conciles œcuméniques. L’œuvre maîtresse de cette période fut « l’Histoire des Arméniens » par laquelle Moïse de Khorène (Movses Khorenatsi) – « l’Hérodote arménien » – entreprit d’inscrire l’épopée de sa nation dans l’histoire universelle, la rattachant à la fois aux mythes de la Haute Antiquité orientale et à la Tradition biblique. Que les Arméniens aient pu préserver une identité, en dépit des bouleversements qui détruisirent l’Orient ancien, là où disparurent avec leurs langues et leurs cultures propres, les locuteurs du lydien du lycien, du phrygien, du mylien et tant d’autres, tient sans doute pour l’essentiel à l’existence d’une représentation propre du monde, servi par une langue écrite nationale dont la motivation religieuse ne fut finalement peut-être que l’alibi.

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Si les invasions arabes puis turcomanes mirent un terme à la souveraineté politique arménienne, elles eurent comme conséquence finalement plus grave de priver la nation arménienne de sa capacité à développer une cosmogonie qui lui soit propre. Certes, le peuple parlait toujours sa langue, plus ou moins, mais la production savante s’est pour ainsi dire arrêtée en Arménie majeure puis dans toute l’Asie mineure au cours des âges sombres s’étalant du XIVe au XVIIe siècle. De nation, les Arméniens retombèrent à l’Etat de peuplade dominée par des races et des souverains étrangers, émir arabe, beys kurdes ou pachas turcs. Même si l’Église apostolique arménienne reconnue par Mehmet II dès 1481 pu jouer un rôle, et de patrie de substitution et de réceptacle de la production intellectuelle nationale, l’état de dévastation matérielle et morale du pays rendit la nation arménienne essentiellement muette[6].

Ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle que, de l’étranger, a pu se concevoir une véritable entreprise arménienne de réappropriation du monde, c’est-à-dire d’abord une réappropriation de soi par le biais de la mise en œuvre d’une langue littéraire et savante. Cette œuvre fut celle des pères mekhitaristes de Venise et – sans doute sans qu’ils en aient conscience – elle concorda avec le déploiement irrésistible de la philologie allemande puis européenne. Dans le second volume de son triptyque consacré à la littérature arménienne au XXe siècle, un volume intitulé « le deuil de la philologie », Marc Nichanian a brillamment détaillé comment cette entreprise de reconstruction nationale a débuté par la redécouverte d’abord livresque des topos arméniens d’un pays jusqu’alors considéré comme perdu pour se poursuivre par celle des vestiges et enfin par celles des natifs. Dans l’imaginaire philologique européen qui, à la suite des mekhitaristes, avait largement contaminé les élites arméniennes de Constantinople ou de Moscou, le natif, avec ses traditions, ses croyances, son folklore et ses modes de vie représentaient lui aussi un vestige, la trace d’une culture perdue dont il portait encore – et à son propre insu – des reliquats qu’il s’agissait de préserver, de purifier de leurs altérations d’origine étrangère et de ressusciter dans leur forme originelle. À l’instar du projet sioniste qui naquit dans les mêmes années, le projet arménien ne fut qu’une déclinaison orientaliste et exacerbée de cette conception systémique du monde que les Européens avaient d’abord appliqué à eux-mêmes, en premier lieu ceux qui ne disposaient pas (encore) d’un État-nation propre et qui jalousaient tout en l’admirant la grande Nation des Français : Allemands, Slaves et peuples balkaniques.

 

Si le projet orientaliste ou philologique – Nichanian montre combien les deux concepts sont en correspondance voire en équivalence – s’est répandu à l’échelle de tout le globe, il n’a pas pris partout les mêmes formes. Pour les vieilles nations rescapées de l’Antiquité classique – les Grecs, surtout les Grecs, les Juifs ou les Arméniens par exemple – il s’agissait évidemment de recréer ce qui avait pu, ce que le mythe commandait qu’il dût exister à des époques immémoriales. Ce natif, dépositaire de toutes les virtualités, il s’agissait de le réveiller, de lui redonner le sens de ce qu’il représentait pour qu’il advienne à lui-même et pour que se concrétise le projet de la renaissance nationale, voire selon Nichanian de l’essentialisation nationaliste qui lui aurait été consubstantielle. En revanche, pour les peuples d’Afrique noire ou d’Amérique – supposés de tout temps sans histoire et sans culture[7] – c’est plutôt le modèle du bon sauvage qui a prévalu. Il est sans doute inutile de rappeler combien cet état de nature d’hommes « nus et innocents » selon le mot célèbre de Pero Vaz de Caminha a permis de justifier le colonialisme sous le masque de l’entreprise civilisatrice et catéchuménale[8].

Pour revenir (et conclure) avec les Arméniens, il faut dire que – contre attente – le projet national a été couronné de succès ; du moins autant que l’on puisse en juger aujourd’hui. Certes, ce « succès » n’a certainement pas pris la forme que lui auraient imaginée ses promoteurs de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. Parler même de succès peut à juste titre choquer ceux qui connaissent un tant soit peu la Catastrophe par laquelle les Arméniens achevèrent leur long asservissement à la parole de leurs maîtres. Le projet de libération nationale s’est soldé par le bain de sang que fut le génocide des Arméniens, par la destruction complète de l’Arménie occidentale et par l’emprise de fer sous laquelle le totalitarisme stalinien écrasa l’Arménie orientale pendant des décennies.

 

Mais il y a aujourd’hui une Arménie indépendante et surtout – à l’heure où les foyers diasporiques s’éteignent les uns après les autres – cette Arménie recrée les conditions d’une énonciation autonome du monde. En termes symboliques, les Arméniens, ou plutôt leurs maîtres ottomans, ont mis fin à la « dette infinie de sexe et de sang », à cette vampirisation « pédophilique » de l’âme entière d’une nation, au « parasitage » de son style, à l’appropriation de son pouvoir créatif et ils y ont un mis en terme en détruisant leur esclave. Il aura ainsi fallu que soient sacrifiés les trois-quarts de la nation pour que les restes[9] retrouvent la capacité d’énonciation qu’il avait perdue, la capacité littéralement séminale de création du monde[10], bref qu’ils achèvent leur réhabilitation nationale au sens de la philologie européenne. Si le contexte géopolitique reste toujours menaçant pour la nouvelle Arménie, il y a tout lieu de s’étonner de l’étonnante résilience humaine par laquelle ses habitants ont recouvré en trois décennies une capacité de création tous azimuts, matérielle et intellectuelle[11]. En un mot, les Arméniens ont recouvré leur européanité perdue. En termes symboliques, quelle meilleure illustration pouvait-on imaginer de cette restauration que la geste par laquelle la République d’Arménie à peine renaissante éprouva, dès 1919 et dans des conditions matérielles pourtant apocalyptiques, le besoin d’inscrire au centre géométrique de la Cité d’Erevan son musée national d’Histoire[12] ?

Les Européens postmodernes à l’aune de l’expérience arménienne

 

Bien que les raisons en soient totalement différentes, il est à craindre que l’histoire de l’Europe en soit aujourd’hui à ce même point où s’était provisoirement achevée celle des Arméniens au tournant du XIVe siècle. Traumatisée par deux conflits mondiaux, l’Europe – toujours à la pointe du « progrès » – a décidé de tourner le dos à tous les attributs de puissance. Pour la première fois dans l’histoire certainement, un ensemble civilisationnel a décidé sa propre oblitération. La mise sous tutelle économique et militaire du continent européen par les États-Unis et l’URSS – le figement géopolitique qui en a superficiellement résulté – et en France l’épisode gaullien, ont longtemps masqué les forces dissolvantes qui travaillaient sous la couche durcie des relations étatiques. Ce serait une erreur de croire que ces forces sont apparues en réaction à la catastrophe nazie, même si la répulsion qu’a ensuite inspirée celle-ci a largement accéléré le mouvement. Dès la fin du XIXe siècle, des évolutions aussi diverses que la fin du classicisme académique en matière esthétique, l’apparition de la psychanalyse en matière médicale ou la constitution de l’École de Francfort en philosophie politique ont entériné la fin des grands récits mythifiant et ont consacré l’apparition du Moi. Le sentiment individuel, la psyché individuelle[13], la déconstruction des dogmes marxistes (ou autres) au profit des sensibilités diverses et « diversitaires » ont constitué le prélude à toutes les déconstructions de la French Theory qui s’était donné pour mission de démantibuler ce que l’Occident avait construit et tout ce qu’il avait pu représenter. Nous sommes aujourd’hui tous en Orient[14] dans la mesure où, sur toute la planète, les schémas mentaux et les processus socioéconomiques qui prévalent désormais ont évacué toute transcendance et ne diffèrent sans doute en rien de ceux qui avaient cours à Babylone voici 4000 ans : contingence et loi du marché ; confusion de la pensée et férocité des actes.

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Comme on le sait, Mai 68 fut l’évènement (l’avènement ?) inaugural de ce nouveau catéchisme. Il ne faudrait pas voir de contraction entre l’homme nu – l’individu – qui est ressorti de cette entreprise et les masses évoquées plus haut comme caractéristiques de l’ère moderne. Les masses existent toujours, mais elles sont désormais des masses d’hommes dépossédés de toutes leurs filiations[15]. Ce sont des masses constituées de ce fameux « homme des foules » au regard vide[16]. Ce qui a été immolé dans ce développement pathologique et pour tout dire inattendu de la modernité, ce sont précisément tous les liens : liens verticaux d’abord avec l’abolition de l’Eglise et avec l’insignifiance organisée de tous les corps intermédiaires ; liens horizontaux ensuite, de filiation, de citoyenneté ou d’appartenance culturelle. L’ensemble du processus a été admirablement servi par des outils de propagande de masse dont aucune des formes précédentes de totalitarisme n’aurait jamais osé rêver. Comme l’écrivait Pasolini[17] dès 1974, à côté de la télévision et de son entreprise délibérée d’abêtissement « le journal fasciste et les inscriptions de slogans mussoliniens sur les fermes font rire, comme (douloureusement) la charrue à côté du tracteur ». Qu’aurait-il dit d’Internet !

 

En abolissant 3000 ans de construction de l’Occident, ce processus de destruction a fait de l’immense majorité des Européens ce qu’ils n’étaient plus : des natifs. Gavé de graisses hydrogénées comme de séries américaines, le jeune Européen s’entretient dans l’illusion de vivre dans un village global, parfois dans un improbable 51e État, et son esprit mort est cannibalisé par des causes qui en vérité le concernent peu. Il sait généralement où se trouve Cleveland, mais ne parvient pas forcément à placer Reims sur une carte et s’il connaît par cœur les paroles de « Highway to hell », il ignore l’existence même du Chant du départ. Enfin s’il est bien convaincu que « Black lives matter », il serait terrifié à l’idée d’affirmer sa propre identité[18]. Ainsi, l’Européen de 2020, amnésique de ce qui fut et de ce qui demeure l’essence de l’Europe, c’est-à-dire oublieux de ce qui est constitutif de son corps spirituel bien au-delà de son corps physique que rien ne distingue d’un autre, se retrouve-t-il dans la situation de l’Arménien du XVIe siècle, ânonnant avec difficulté une langue abâtardie par tant d’emprunts étrangers qu’on ne sait plus trop laquelle des langues est emprunteuse et laquelle est « empruntée », adoptant des modes de vie de populations qui désormais le côtoient sur son territoire et qui, à l’occasion, « viennent jusque dans ses bras égorger ses fils et ses compagnes ». Car, c’est bien connu, l’indigène n’a rien à défendre. Surtout quand – trop souvent – l’indigène est devenu un indigent, au sens matériel comme au sens moral. Pourquoi l’arbre mort se préoccuperait-il du lierre et de la ronce qui l’envahissent ? Pourquoi trancherait-il encore comme ses illustres ancêtres entre le Soi et l’Autre ? L’actuelle submersion migratoire de l’Europe est bien moins un scandale que la conséquence logique de la dévitalisation quasi achevée des populations de l’Europe de l’Ouest. Et le tribut du sang n’en est qu’un corolaire que nos concitoyens (je n’ose écrire « nos compatriotes ») réduits à l’état de biomasse accueillent avec un fatalisme à faire pâlir le plus résigné des hindouistes.

 

Comme expliqué, cette situation n’est pas nouvelle dans l’histoire et les peuples asservis de l’Empire ottoman l’ont longuement connue. L’histoire des Arméniens ne fut pendant des siècles qu’une longue série de razzias, de viols et de meurtres à peine sanctionnée par quelques lamentations clandestines. Car, comme aujourd’hui en Europe, la simple réprobation en était elle-même réprouvée et tout au contraire, comme aujourd’hui en Europe, il fallait célébrer les bourreaux et leur baiser la main. Du reste, l’émasculation symbolique des rayas[19] arméniens, grecs ou balkaniques s’est progressivement institutionnalisée et même codifiée d’un point de vue juridique. Qui ne voit pas que, sous d’autres formes, la pratique du devchirme consistant à rafler les enfants mâles pour en faire les janissaires[20] de l’empire représentait la forme coercitive de l’actuel embrigadement volontaire de jeunes européens de souche sous la bannière de Daech ? Qui oserait prétendre que les diverses formes de mansuétude policière ou judiciaire dont bénéficient aujourd’hui les délinquants allochtones pour acheter la « paix sociale » (mais de quelle société parle-t-on ?) ne préfigurent pas le régime de domination juridique[21] des occupants sur les autochtones qui était celui de l’Empire ottoman ?

 

La question n’est sans doute plus de savoir comment échapper à cette orientalisation d’une part, et à cette dhimmisation[22] d’autre part, de l’Europe occidentale – c’est trop tard – mais si, à quelles conditions et à quelle échéance, elle en sortira. Depuis une décennie déjà, peut-être plus, un certain nombre d’intellectuels ont choisi la voix de l’exil intérieur, tentant de sauvegarder des ressources morales et matérielles aptes à fonder une renaissance et de transmettre à quelques rescapés le souvenir de ce que fut l’Europe. Il n’est pas impossible que lorsque la phase de barbarisation sera un peu plus avancée, ces initiatives isolées coalescent au sein de nouveaux phalanstères à l’écart du monde et dûment fortifiés (ou dissimulés) comme se devaient de l’être les monastères médiévaux ou ottomans. D’ailleurs depuis une dizaine d’années également, de simples particuliers en rupture de ban avec le « monde moderne » ont pris l’initiative de telles communautés fondées sur des mécanismes d’entraide et de coopération et mettant en place des « bases autonomes durables » à mille lieues de l’archétype survivaliste solitaire et surarmé des années 60 et 70. Le plus souvent, ces communautés conçoivent un « effondrement systémique » dont les causes ou les conséquences seraient économiques ou écologiques, une conception qui les a conduit à privilégier l’aspect de survie matérielle (eau, nourriture, énergie) plutôt qu’à préserver les ressources intellectuelles et spirituelles européennes. Il n’est cependant pas exclu que, les périls de diverses natures s’ajoutant les uns aux autres, les deux approches fusionnent à terme.

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Cela suffira-t-il dans une Europe durablement ensauvagée, pour reprendre un terme à la mode, ou en tout cas dans une Europe où le pouvoir réel est passé des États-nations aux empires commerciaux d’une part, aux caïdats ethniques d’autres part ; Dans une Europe où plus personne n’a le monopole de la violence, mais où les natifs seuls ont le monopole du sacrifice ? Cela paraît douteux et il est probable que l’entreprise de restauration de l’Europe occidentale nécessitera que des foyers de résistance spirituelle et matérielle situés en sécurité en dehors de ses frontières puissent penser le réarmement moral de l’Europe. Pour reprendre l’exemple arménien, on sait que la congrégation mekhitariste de Venise a joué ce rôle, et plus tard d’autres institutions à Moscou ou à Tiflis. Qui demain souhaitera réinventer l’Européen comme hier fut réinventé l’Arménien ? Naturellement, le regard se tourne outre-Atlantique où les États-Unis, en dépit de leurs innombrables défauts, ont conservé et développé une solide tradition intellectuelle et philologique qui prend ses sources au cœur même de l’humanisme européen. Mais la capacité opérationnelle n’est pas suffisante, surtout en ce temps de déconstruction généralisée. C’est de la volonté politique qu’il faut et, à l’heure où les gender studies et autres subaltern studies règnent sans partage, quelle université américaine prendra le risque de réhabiliter les enfants d’Homère et les fils de César ? Même si le chaos postmoderne fait désormais également vaciller l’Amérique, on peut douter que ses élites biberonnées aux mythes du melting pot et du multiculturalisme communautaire souhaitent venir au secours de cette Europe qui ne fut jamais et qui demeure l’incarnation d’une quête, celle de l’Imperium déchu. Reste alors Moscou évidemment, Moscou qui n’a jamais cessé de se considérer comme la Troisième Rome et qui – pour autant qu’elle gouverne un immense empire multiethnique et multiconfessionnelle – n’en a pas moins conservé le sens de l’Etat et la signification de la transcendance ; et en deçà de Moscou l’Europe orientale qui – en dépit de ses relations diverses et contrastées avec la Russie – partage avec elle, et certainement encore plus qu’elle, ce fameux sentiment européen que nos élites ploutocratiques diabolisent sous le terme de « groupe de Wisegrad ».

 

C’est sans doute uniquement de la jonction entre de tels foyers intellectuels extérieurs au champ de ruine (et de guerre) qu’est devenue l’Europe occidentale et les cellules de résistance intérieure où se perpétuera plus ou moins clandestinement l’enseignement des humanités européennes et surtout l’Idée de l’Europe, c’est uniquement de l’irrigation des unes par les autres que l’on peut peut-être conserver quelque espoir. Jusqu’à ce que des conditions favorables, peut-être quand les forces du chaos auront suffisamment épuisé les masses asservies sur lesquelles elles prospèrent et quand le sang de l’hôte exténué ne suffira plus à assurer la survie de ses divers parasites, que – nourries de cette Idée de l’Europe, des forces autochtones entreprendront de recouvrer leur parole, condition préalable à la libération de leur territoire des pouvoirs illégitimes ou étrangers qui le régentent. Combien de temps cela prendra-t-il ? Pour les Arméniens, il a fallu attendre six cents ans, mais on peut espérer que pour les Européens de l’Ouest, plus nombreux et peut-être mieux préparés, le processus sera plus rapide. Devant la longue nuit qui s’annonce, il faut se remémorer les paroles d’Edward Grey à la veille de la Première Guerre mondiale : « les lumières s’éteignent dans toute l’Europe, nous ne les reverrons plus s’allumer de notre vivant ». Il était sans doute loin d’imaginer que cette apocalypse n’allait représenter que la première phase d’une interminable descente aux Enfers.

Notes

[1] Et c’est précisément cette esthétique apollinienne du système qu’admire, mais que critique Nietzche, notamment en la personne de Platon, et dans laquelle il voit l’effort surhumain par lequel les Grecs ont inventé l’Occident en tentant de contenir la réalité dionysiaque de l’Orient.

[2] On n’abordera pas dans ce bref article la distinction pourtant fort intéressante entre les concepts d’Europe et d’Occident. On emploiera ici le terme d’Occident comme véhicule de la pensée européenne sans approfondir les usages politiques variables de ce terme et la grande polysémie qui lui est associée.

[3] À l’instar de Jacques Ellul, on peut considérer que la religion institutionnalisée qu’est rapidement devenu le christianisme sous l’influence du Juif hellénisé Paul fut « la pire trahison du Christ ». L’esprit de système, étranger au message de Jésus, portait en lui la marque de l’Occident et préfigurait déjà la modernité européenne.

[4] À cet égard, le fondamentalisme musulman représenté par l’État islamique a peut-être représenté l’unique tentative récente de contestation du discours occidental. Articulé en des termes étrangers à la modernité occidentale, il est resté littéralement inaudible des élites européennes qui ont tôt fait de le ranger dans la catégorie de l’irrationalité terroriste. Il est vrai que lorsqu’il s’est agi de ses pratiques militaro-opérationnelles, l’État islamique a bien vite recouru aux très efficaces outils conceptuels et matériels de l’Occident. Sans parler des échecs militaires, cette impuissance à développer une méthodologie propre en cohérence avec le discours dogmatique constitua une sorte d’aporie qui acheva de décrédibiliser le mouvement dans ses fondements.

[5] Jusque dans les années 1930, aucune trace d’écriture usant de l’alphabet albanien n’avait été relevée bien que l’on connaissait l’existence de cet alphabet par des sources arméniennes. Il fallut attendre 1947 pour retrouver des traces de l’usage épigraphique de l’alphabet albanien en Azerbaïdjan, puis 2003 pour qu’il réapparaisse dans un palimpseste retrouvé au monastère Sainte-Catherine du Sinaï dans des manuscrits géorgiens.

[6] Évidemment, cette affirmation demanderait à être nuancée, car la production intellectuelle arménienne a pu continuer marginalement, mais elle ne faisait plus système là où les conditions matérielles n’en étaient plus assurées. Il est significatif que les dernières œuvres d’ampleur aient vu le jour soit en Arménie zakaride, soit en Arménie cilicienne, c’est-à-dire sous des régimes de souveraineté autochtone. Là où un érudit comme Vartan Areveltsi a pu produire en Cilicie arménienne plus d’une centaine d’œuvres touchant tant aux Saintes Écritures qu’à la botanique, à la musique ou à la linguistique, là où un Stepanos Orbélian ou un Grégoire de Tatev peuvent encore produire des œuvres d’ampleur en Siounie dans les reliquats de l’Arménie zakaride, on ne trouve rien de tel dans les vastes territoires du sultanat de Roum et encore moins dans les divers émirats turcomans ou kurdes qui lui succédèrent.

[7] Ce qui évidemment faux – est-il nécessaire de le rappeler ? La progression européenne en Afrique s’est accompagnée de la destruction des divers royaumes autochtones qui perduraient sur le continent.

[8] Bien sûr, l’état de nature du « sauvage » était largement une projection européenne comme l’a dénoncé à de multiples reprises Claude Lévi-Strauss, tout comme l’était l’idée que dans le natif, on puisse séparer le bon grain des origines de l’ivraie des apports étrangers.

[9] Sur les concepts évoqués de dette de sexe et de sang, de dette pédophilique et de parasitage du style, le présent texte doit tout à l’analyse que Marc Nichanian fait de Mnatsortats (le reste), le maître-roman d’Hagop Ochagan, dans le troisième tome intitulé « le roman de la catastrophe » de son triptyque sur « la littérature arménienne au XXe siècle ».

[10] L’Histoire étant ouverte et exempte de toute prédestination – c’est la conviction de l’auteur de ces lignes –  il ne faut voir aucune téléologie dans cette manière de présenter les choses. On récusera par avance toute explication similaire aux nombreuses interprétations théologiques de la Shoah attribuant la cause de celle-ci au sionisme laïque, à l’impiété (mipnei ḥataeinou, « à cause de nos péchés ») ou à un démérite.

[11] On trouvera de nombreux Arméniens, en particulier en diaspora, pour voir le verre à moitié vide, mais les réalisations arméniennes sont réellement nombreuses et variées en différents domaines. Ce n’est pas le lieu d’en faire ici l’inventaire.

[12] Fondé par une loi du 9 septembre 1919, le musée a d’abord été dénommé de manière très significative Musée-Bibliothèque anthropologique et ethnographique.

[13] À ce titre, il n’est pas anodin que la psychanalyse orthodoxe de Freud fondée sur l’histoire individuelle du patient l’ait finalement emporté sur la conception jungienne qui incorporait des éléments relatifs à l’inconscient collectif et aux archétypes mythologiques.

[14] Il ne faut pas confondre cet Orient philosophique et civilisationnel de l’Orient philologique, celui de l’orientalisme d’Edward Saïd, construit par l’Occident au courant du 19e siècle.

[15] Comme en atteste du reste, la dernière séquelle consistant à remplacer dans les documents scolaires les mentions de « père » et « mère » par « parent 1 » et « parent 2 ».

[16] « L’homme des foules » est une nouvelle d’Edgar Alan Poe dont un passage sert d’épitaphe au « regard vide », essai de Jean-François Mattéi sur l’épuisement de la civilisation européenne.

[17] Acculturation et acculturation, 9 décembre 1973, écrits corsaires, Pier Paolo Pasolini

[18] Hervé Juvin a rapporté dans son livre sur « la grande séparation » l’anecdote suivante particulièrement significative : une jeune fille de 12 ans, interpellée par les conversions de ses camarades d’école qui choisissent le voile, demande à sa mère « Et nous, nous sommes quoi? » La mère, cadre supérieure d’une entreprise bancaire lui répond, spontanément: « Nous, nous ne sommes rien ».

[19] Ce terme d’origine arabe signifie « cheptel ». Adopté par les Turcs, il désigne les peuples non musulmans asservis et littéralement domestiqués.

[20] Le corps des Janissaires a longtemps formé l’élite militaire de l’Empire ottoman. C’est un des aspects de la dette pédophilique évoquée par Nichanian. Le mot est une déformation du turc yeni ceri qui signifie très significativement « nouvelle génération ».

[21] À l’heure où j’écris ces lignes, j’apprends par la presse qu’une brigade de police a fait hier soir une tatillonne descente à la sortie de la messe de Chambéry pour verbaliser les contrevenants au port du masque obligatoire quand dans le même temps « des jeunes issus de l’immigration » et quelques supplétifs autochtones barbarisés (sans masque) ont mis Paris à feu et à sang au motif d’un match de football. De manière moins anecdotique, on comparera utilement le déferlement de violence des forces de l’ordre à l’encontre des Gilets Jaunes, dont les revendications étaient réellement politiques, et leur inexistence face aux hordes récurrentes de casseurs.

[22] On espère avoir montré que les deux phénomènes, bien que corrélés, sont distincts.

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Photo : Paysage d'Europe (c) Unsplash

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À propos de l’auteur
Laurent Leylekian

Laurent Leylekian

Analyste politique, Président fondateur d'Eunoos Affaires Publiques.
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