La Cour n’a pas jugé le différend entre Maurizio Cattelan et Daniel Druet qui se prétendent chacun seuls auteurs des mêmes œuvres. Daniel Druet est débouté pour défaut de procédure.
La décision très attendue est tombée le 8 juillet 2022. La presse a réagi, en nombre, le jour même. Les titres sont presque unanimes. Ainsi Libération, : « Face au sculpteur Daniel Druet la justice donne raison à Maurizio Cattelan ». Le Monde,La Justice donne raison à Maurizio Cattelan. Le Figaro : Affaire Maurizio Cattelan : la justice conforte l’artiste face à son ancien collaborateur. Le Journal des Arts, Maurizio Cattelan conforté comme auteur au Tribunal, etc.
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Du non-jugement du tribunal au story telling des Mass média
Le galeriste Emmanuel Perrotin, galeriste de Cattelan en charge de sa défense, a engagé pour les relations avec la presse l’Agence Havas Legal & Litigation, spécialiste de la gestion délicate de la communication après les procès. Son efficacité a été telle que l’Agence en profite pour faire sa pub. Elle déclare : « être très honorée » d’avoir servi une telle cause et se félicite d’avoir convaincu la presse nationale et internationale que « le tribunal judiciaire de Paris a rejeté la demande de Daniel Druet de se faire reconnaître la qualité d’auteur exclusif des œuvres de Maurizio Cattelan » C’est donc, « une belle victoire pour l’art conceptuel, désormais protégé par la règle de droit ».[1]
On comprend que E. Perrotin ait investi dans la com. car non seulement les enjeux financiers sont de taille mais aussi la crédibilité mondiale du concept « Art contemporain ». Mais la parade ne tiendra qu’un temps, le danger n’est que retardé car si les titres laissent entendre que l’affaire a été jugée, il n’en rien. Il n’y a aucun attendu sur le fond qui puisse faire jurisprudence où dont on puisse conclure que la Cour estime que créer, dans le domaine de l’art, se limite à formuler un concept.
La Cour a déclaré la demande de Daniel Druet irrecevable, sentence rendue en ces termes : « Faute d’avoir assigné en personne Maurizio Cattelan, auteur présumé, au préjudice duquel il revendique la titularité des droits sur les œuvres en cause, Daniel Druet doit être déclaré irrecevable en toutes ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur. L’appel en garantie devenant, du fait de l’irrecevabilité des demandes, sans objet, il ne sera pas examiné ».
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Deux définitions inverses de la création – Une seule Loi
La procédure exige que Druet attaque personnéllement Catellan et ce dès le début. Ce qu’il fera. C’est un duel qui s’annonce : l’Artiste d’Art contre l’Artiste conceptuel dit « contemporain ». Deux définitions exactement inverses l’une de l’autre.
Art : Il y a œuvre quand l’artiste incarne matériellement la vision de l’idée. L’œuvre est unique, parce que faite par une personne unique au monde. Sa qualité est liée au talent, elle est donc médiocre, moyenne ou bonne. Elle est exceptionnelle si vivante, expressive, chargée de sens.
Art contemporain : L’œuvre d’art, c’est le concept. Réalisation, formes et images sont empruntées à d’autres sources : le travail d’une tierce personne, ou une technique mécanique de type moulage, ou encore le couper- coller, la photocopie 3D, etc. La notion de qualité intrinsèque de l’œuvre n’existe pas. L’AC n’est pas d’essence esthétique.
Si le tribunal se prononce sur le fond, il doit trancher et choisir l’une ou l’autre.
Cattelan déclare : Druet est le façonnier, je suis le créateur. Il produit des formules verbales mais jamais un dessin, une image, ou une forme. Il est un artiste international, ultra coté, ultra médiatisé.
Druet affirme : Catellan est l’inventeur du concept, de la mise en scène, de la stratégie de l’évènement. Mais je suis le seul auteur de l’œuvre matérielle dont j’ai incarné le concept.
Druet est en effet le sculpteur portraitiste d’exception de sa génération. Il a fait les portraits d’un grand nombre de célébrités et chefs d’Etat y compris Mitterrand. Il a par ailleurs une œuvre personnelle remarquable. Pour le disqualifier, Maître Pierre Olivier Sur, avocat de la partie adverse le présente uniquement comme « façonnier », employé du Musée Grévin, seul terme repris par l’agence de communication et les médias. Ce fut pour lui à certains moments, un travail alimentaire que son talent exceptionnel permettait. Il était capable de traiter un visage jusqu’au moindre détail sans lui ôter pour autant expressivité et vie. N’étant pas un artiste conforme à l’art officiel conceptuel du Ministère de la Culture, sa réputation est grande mais non financière et médiatique.
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La situation entre Catellan et Druet ressemble à celle du commanditaire et de l’artiste à la Renaissance : le commanditaire dit à l’artiste « je veux une Vierge à l’enfant habillée de telle manière, avec tel geste, tel décor, tels symboles et objets ». Le contrat sera définitivement conclu à la vue du « modelino », œuvre, en petit format, de la main du maître. Ils s’accorderont alors sur modifications, formats, etc. Le commanditaire ne signe pas l’œuvre. Elle existe par le génie de l’artiste.
La contradiction est commune : Ainsi l’artiste contemporain Urs Fischer a été l’artiste, vedette de l’inauguration de la Bourse de Commerce – Musée de la collection Pinault. L’œuvre est un moulage en cire grandeur nature de la célèbre statue de Jean de Bologne de la Piazza della Segnoria à Florence, L’enlèvement des Sabines. Ce chef d’œuvre crée en 1580 exprime à la fois vie, beauté, jeunesse, guerre et violence, sans discours ni moralisme.
Urs Fischer en fait un concept de la « destruction créatrice ». L’œuvre est détournée, instrumentalisée, son sens reprogrammée. L’artiste contemporain veille à remplir un rôle moral et salvateur : détruire symboliquement tout art en quête de beauté et harmonie. Jean de Bologne ne le traînera pas devant les tribunaux.
Que seraient les concepts de Fischer et Cattelan sans la création de Jean de Bologne et Daniel Druet ? Depuis que Cattelan n’a plus la main de Druet ses œuvres ne font pas autant sensation. Cattelan a fait faire des contrefaçons d’Hitler en premier communiant et Jean Paul II écrasé par une météorite pour disposer d’exemplaires supplémentaires alors que Druet refusait de les faire. D’évidence elles n’ont pa la même puissance expressive, ni ne provoquent le même saisissement. Moulage, imprimante 3D et main moins virtuose, n’ont pas fait l’affaire.
Cattelan est aujourd’hui obligé de se rabattre sur des concepts qu’il peut réaliser lui-même, Ainsi, scotcher une banane sur un mur. Œuvre qui même si elle dépasse les 100 000 euros n’a plus la vertu de franchir les 10 millions comme le faisaient les personnages de Druet. Cela ne l’empêche pas d’être pour autant aujourd’hui poursuivi devant les tribunaux par l’artiste américain Joe Morford pour plagiat. Il aurait produit une banane scotchée avant lui !
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Ces procés à répétition préoccupent les agents du marché financier de l’art. De nouvelles stratégies se mettent en place pour parer à une dépréciation de l’art conceptuel. La guerre est essentiellement sémantique : le mot « plasticien » qui qualifiait l’artiste contemporain n’est plus employé. Depuis la pandémie, il est qualifié de « peintres », de « sculpteurs » pour rendre la situation plus confuse.
Ainsi Charles Ray, conceptuel, qui fait travailler des mouleurs a été présenté comme « sculpteur » lors de ses expositions très médiatisées à la Bourse de Commerce et à Beaubourg.
La France a élaboré en pleine Révolution, en 1793 la loi sur la propriété intellectuelle qui a été adoptée ensuite dans beaucoup de pays du monde. La décision est donc internationalement attendue. Ce qui explique la présence d’une presse nombreuse au procès le 8 juillet et la nécessité de l’encadrer par une agence de com.