<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’accumulation des contentieux frontaliers en Indopacifique

18 mars 2023

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Carte des contentieux en Indopacifique Carte Conflits

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L’accumulation des contentieux frontaliers en Indopacifique

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Parce que le détroit de Behring, qui sépare les États-Unis de la Russie, forme la limite nord de l’Indopacifique, on peut affirmer que toutes les grandes puissances se font face dans cette zone, sur terre ou sur mer. Les frontières de la zone ont été, comme ailleurs, marquées par la colonisation et la guerre. Toutefois, depuis les années 1980, la question des frontières maritimes dans la région est devenue tout aussi prégnante, voire davantage, que celle des frontières terrestres. 

Sur terre, l’une des évolutions les plus marquantes des dernières décennies fut la stabilisation de la frontière chinoise à partir des années 1960. Cette phase de règlement partiel des 23 contentieux frontaliers, souvent hérités de longue date, s’est achevée en 2011. La méthode employée a parfois relevé de l’achat de parcelles de territoires disputés, au Kazakhstan (1999), au Kirghizistan (2004), et au Tadjikistan (2011). Avec la Russie, elle a dû se partager 2 444 îles fluviales (Amour). 

L’héritage des frontières terrestres

Plusieurs contentieux majeurs avec une très forte résonance stratégique – à l’échelle mondiale – demeurent toutefois sur terre. Ils sont hérités de l’ère coloniale, mais aussi de la Seconde Guerre mondiale. Les frontières peuvent être le produit (Corée, Cachemire) ou la cause (Inde/Chine 1962, Vietnam/Chine 1979) des guerres. Deux sous-régions retiennent l’attention avec des frontières non reconnues, souvent hyper-militarisées et « brûlantes ». L’Asie du Nord-Est, avec la division de la péninsule coréenne héritée du second conflit mondial et de ses suites, avec la guerre de Corée (1950-1953). 

L’Asie du Sud, où les lignes tracées par le colonisateur restent des zones de friction voire de conflit : entre l’Afghanistan et le Pakistan (ligne Durand), entre le Pakistan et l’Inde (Cachemire au nord, et contentieux de Sir Creek au sud), et entre l’Inde et la Chine où se mêlent revendications territoriales (Aksai Chin pour l’Inde, Arunachal Pradesh pour la Chine) et mauvaise définition de la frontière himalayenne (la « Ligne de contrôle effectif »). S’y ajoute le contentieux symbolique entre la Thaïlande et le Cambodge centré sur la possession du temple de Preah Vihear. Il faut mentionner séparément la frontière récente (1971) entre l’Inde et le Bangladesh, qui n’est pas en elle-même contentieuse mais complexe (le problème des multiples enclaves de l’un et l’autre n’a été que partiellement réglé en 2015) et sensible (l’immigration illégale et le risque terroriste conduisant Delhi à bâtir sur son tracé la plus longue clôture de barbelés du monde).  

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La prolifération des contentieux maritimes

Depuis les années 1970, la géographie politique des espaces maritimes de l’Indopacifique a été profondément transformée. Le développement du commerce international, l’exploitation croissante des ressources halieutiques et sous-marines (hydrocarbures) ont donné une nouvelle « valeur » aux mers et aux océans. La décolonisation a conduit à la multiplication des États insulaires. La montée des nationalismes a causé à la fois l’accroissement des moyens militaires hauturiers et celle des revendications territoriales. Dans ce contexte, l’entrée en vigueur, en 1994, de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM, 1982) a conduit à l’élargissement des domaines maritimes (zones économiques exclusives, ZEE).  

L’Indopacifique étant particulièrement riche en îles et archipels, l’application du droit de la mer désormais codifié y est particulièrement intéressante. Où placer la frontière ? Pour les États-archipels, les choses sont simples : les espaces entre les îles sont considérés comme des eaux nationales. La CNUDM a établi un statut « d’eaux archipélagiques » : pour les États concernés et sous conditions, les eaux situées au sein du polygone défini par les îles les plus excentrées sont des eaux « intérieures ». Pour les États voisins, c’est en principe l’équidistance qui s’applique : la frontière passe à mi-chemin, même si c’est à moins de 12 miles nautiques des côtes, la limite traditionnelle des eaux territoriales. Enfin, les îles submergées à marée haute ne créent pas de zone territoriale. Par conséquent, un État opportuniste peut être tenté de la transformer en île artificielle – comme Pékin le fait en mer de Chine du Sud. Comment définir également au plus juste les zones économiques exclusives ? D’après la Convention, « les rochers qui ne se prêtent pas à une habitation humaine ou à une vie économique propre » n’ont ni ZEE ni plateau continental. 

Les contentieux maritimes en Indopacifique sont, comme souvent, à la fois symbole et substance, question de principe et affaire de ressources. Les Kouriles sont disputées entre Moscou et Tokyo depuis le xixe siècle. Le traité de Saint-Pétersbourg (1875) affectait cet archipel au Japon. Il passa sous contrôle soviétique en 1945. Les quatre îles adjacentes au reste de l’archipel nippon (« Territoires du nord ») restent revendiquées par Tokyo, qui estime qu’elles ne font pas partie des Kouriles.  

Tokyo conteste à Séoul (et Pyongyang) l’administration des rochers Liancourt (Dokdo/Takeshima). À mi-chemin entre les territoires, ces îles sont au cœur d’une sévère querelle entre les deux pays, attisant le nationalisme. Avec Pékin, le différend est centré sur l’archipel des Senkaku/Diaoyu (également revendiquées par Taipei), depuis qu’il a été découvert que ses eaux étaient riches en ressources. Ces îles sont placées sous le parapluie défensif américain. Le Japon veut appliquer le principe d’équidistance ; la Chine estime que son plateau continental s’étend jusque-là. Elle multiplie les intrusions dans ces eaux contestées. 

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Rappelons par ailleurs que la République populaire de Chine considère l’île de Taïwan comme faisant partie intégrante du territoire national. En Asie du Sud-Est, Pékin revendique depuis 2009 l’entièreté de la mer de Chine du Sud, traçant son territoire maritime sous une forme appelée au Vietnam la « langue de bœuf » (ou « ligne à neuf traits », dix en fait depuis 2014, Pékin y ayant ajouté Taïwan). Elle y développe une politique de « poldérisation » des récifs pour agrandir son territoire. Son contentieux avec le Vietnam est d’ailleurs particulièrement vif (au point que Hanoï ait imprimé des passeports sur lesquels figurent les îles contestées), tout comme celui qui l’oppose aux Philippines, particulièrement disputées du fait de sa localisation – elle est sur le chemin des grands flux de transport maritime – et de sa richesse présumée. 

D’où l’importance des voies juridictionnelles et tout particulièrement de la sentence prononcée par la Cour permanente d’arbitrage en 2016. Celle-ci fut un véritable camouflet pour Pékin. La Cour rappela notamment que seules les îles naturelles découvertes à marée haute pouvaient générer des eaux territoriales et a fortiori des ZEE. Elle excluait donc du « territoire chinois » les îles artificiellement étendues ainsi que les récifs naturels recouverts à marée haute. Elle ajoutait, par ailleurs, qu’un groupe d’îles, telles que les Spratly, ne générait pas de zones maritimes collectivement, en tant qu’ensemble.    

Les enjeux pour la France

Pour la France, les enjeux territoriaux dans la région sont d’importance. La seule Polynésie française représente environ la moitié du domaine maritime national. Le programme « Extension raisonnée du plateau continental » vise à agrandir ce domaine dans le respect du droit. D’ores et déjà, le domaine français a grandi, en 2015, de 579 000 km² et, en 2020, de 151 000 km². Ces zones concernaient les Antilles, la Guyane, le golfe de Gascogne, les îles Kerguelen et la Nouvelle-Calédonie. Restent en attente quatre dossiers : Crozet, Wallis et Futuna, Polynésie, Saint-Pierre-et-Miquelon. Si ces demandes étaient acceptées, le domaine maritime français deviendrait le premier au monde. 

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Dans le même temps, certains contentieux bilatéraux en Indopacifique ne sont pas réglés. Il s’agit principalement de celui qui oppose la France aux Comores à propos de Mayotte (département) et des îles Éparses (Terres australes et antarctiques). Certaines de ces îles sont également réclamées par Madagascar et par Maurice. Autre contentieux non négligeable, à l’autre extrémité de la zone : le statut exact de Clipperton, proche du Mexique, minuscule territoire qui dispose de 440 000 km² de ZEE… à condition, comme on l’a vu plus haut, qu’il puisse être considéré comme « habité » ou ait une « vie économique propre ». Enfin, Paris entretient un contentieux mineur avec Vanuatu à propos de deux petits îlots au large de la Nouvelle-Calédonie. 

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Bruno Tertrais

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