<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La voie forte de la Hongrie

27 septembre 2018

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Georges Karolyi, ambassadeur de Hongrie en France. Photo: 00848498_000007

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La voie forte de la Hongrie

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Rebelle aux injonctions de la Commission européenne mais résolument ancrée dans l’Europe, la Hongrie propose une solution alternative conservatrice, souverainiste et démocrate chrétienne aux orientations libérales de l’Union européenne. Diplômé de Sciences Po Paris, fin connaisseur de l’histoire et du droit français, l’ambassadeur de Hongrie en France Georges Karolyi définit l’ADN national et européen de son pays et les contours de ce « modèle hongrois » qui fait parfois polémique.

 

CONFLITS : La Hongrie est-elle encore dans l’Europe ?

La Hongrie a toujours été dans l’Europe, bien avant son entrée dans l’Union en 2004. Elle est ataviquement attachée à l’Europe. Si le Rideau de fer n’avait pas existé, si la Hongrie avait été libre de ses décisions, elle aurait certainement fait partie des pays fondateurs. Les Hongrois ont un très profond sentiment d’appartenance à l’Europe. Quand nous avons été félicités pour notre entrée dans l’Union européenne (UE), nous avons répondu qu’on n’entrait pas dans l’Europe : on n’en était jamais sortis !

CONFLITS : Comment expliquez-vous que votre pays semble parfois en marge de l’UE ?

L’une des raisons tient au fait que nous avons été exclus de l’Europe pendant 45 ans. Après la chute du Rideau de fer, nous avons découvert une Europe occidentale qui avait évolué sur un chemin très différent du nôtre. Lorsque ces deux parties de l’Europe se sont retrouvées, des différences fortes sont apparues. L’Ouest a connu, pour son bonheur, les « 30 Glorieuses », surtout la France. Nous, derrière le Rideau de fer, nous avons connu au contraire les « 45 Affreuses », pour notre malheur.

CONFLITS : Avec quelles conséquences ?

Nous avons du retard sur le plan économique. Nous cherchons à le combler. Sur les valeurs, nous gardons un certain conservatisme dont l’Europe occidentale s’est affranchie. Nous estimons représenter des valeurs tout aussi européennes et légitimes que celles des autres.

CONFLITS : Quelles sont ces valeurs ?

Nous n’avons pas une approche consumériste de la vie et de la société. Nos valeurs sont notre identité chrétienne, la défense de la famille et de la natalité, le souci de l’égalité homme-femme. C’est le cœur de notre identité, le fond de notre enracinement à l’Europe, créée, je vous le rappelle, par trois hommes d’État démocrates chrétiens : Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Robert Schuman, lequel avait dit que l’Europe serait chrétienne ou ne serait pas…

CONFLITS : Tout cela a bien changé…

Lors de notre entrée dans l’UE, nous avons en effet découvert, avec étonnement, que les racines judéo-chrétiennes de l’Europe avaient été gommées. Nous ne comprenons pas pourquoi notre manière de voir les choses aurait moins de valeur que celle des autres.

CONFLITS : Quel est donc l’ADN de la Hongrie ?

Au-delà des racines chrétiennes, nous avons conscience d’avoir été le rempart de l’Europe face à l’Empire ottoman. Notre aspiration à l’indépendance se nourrit d’une longue histoire marquée par des occupations successives. Les Hongrois n’ont jamais accepté d’être gouvernés par d’autres. Après l’occupation ottomane, nous avons subi la tutelle des Habsbourg. Après 1945, ce fut l’occupation soviétique. Voilà pourquoi nous n’accepterons jamais de nous faire dire par d’autres ce que nous devons faire.

CONFLITS : Ce qui ne facilite pas votre intégration au sein de l’UE ?

Je ne le pense pas. Mais l’UE ne doit pas nous dicter sa loi. Pour nous, elle est une union d’États souverains, dans la diversité, la subsidiarité, dans un esprit de tolérance et de dialogue. Il y a des frictions quand on s’éloigne de ce respect mutuel. Nous souhaitons un rééquilibrage. Nos valeurs ne sont pas celles du libéralisme outrancier qui domine. Notre « libéralisme illibéral », selon la formule d’Orban, vise à en corriger les excès. Nous souhaitons simplement que l’Europe occidentale respecte nos valeurs comme nous respectons les siennes. Si nous respectons les pays qui souhaitent plus d’immigration, alors respectons ceux, dont la Hongrie, qui ont une autre position.

CONFLITS : Comment expliquez-vous le durcissement de votre politique migratoire ?

La convention de Schengen nous oblige à protéger les frontières extérieures de l’UE, ce que nous faisons, face à la Serbie. Qui peut nous en faire le reproche ? Le traité de l’UE attribue aux États membres des compétences, notamment les procédures du droit d’asile. Pays indépendant, la Hongrie se réserve donc le droit d’examiner les demandes qui lui sont faites, sur la base d’une interprétation souveraine du droit d’asile.

CONFLITS : Donc pas de migrants chez vous ?

Soyons clairs. Ceux qui ont vocation à bénéficier du droit d’asile, nous les faisons entrer. Mais personne ne peut pénétrer illégalement sur notre territoire. N’est-ce pas le devoir de chaque État de se faire respecter ?

CONFLITS : Et la relocalisation obligatoire des migrants souhaitée par l’UE ?

Nous nous y opposons. Nous rappelons qu’aucune autorité ne peut imposer à un pays d’accepter sur son sol des gens qu’il n’aurait pas admis. C’est une question de souveraineté. Il n’existe aucun article du Traité européen qui impose à un État de faire entrer sur son territoire des migrants qu’il n’aurait pas admis. Nous n’acceptons que des gens que nous souhaitons accueillir.

CONFLITS : Bruxelles vous a demandé de « faire un geste »…

En effet. Nous ne refusons pas le compromis. Mais sur ce sujet si délicat, il serait plus conforme à l’esprit européen de remplacer la tentation de compromis par l’esprit de tolérance. Si certains pays estiment nécessaire d’accueillir plus de migrants, libre à eux, qu’ils assument ! Mais si d’autres ne le souhaitent pas, respectons leurs choix. C’est cela l’esprit de tolérance entre Européens.

CONFLITS : Et la tolérance, chez vous, en Hongrie ?

Il n’y a pas de tolérance à l’égard de pratiques illégales. Notre législation punit toute activité consistant à encourager l’entrée clandestine sur le territoire hongrois. Notre nouvelle loi prévoit une peine d’emprisonnement d’un an pour ce délit. Combien est-ce, en France ? Cinq ans !

CONFLITS : L’aide des ONG aux clandestins tombe ainsi sous le coup de la loi ?

Oui. Une ONG qui récupère des migrants en Serbie pour les amener en Hongrie tombe sous le coup de la loi pour entrée illégale. Il n’y a pas de « droit à la migration ». On joue trop avec l’émotion, en oubliant la manipulation qui se cache derrière.

CONFLITS : Quelle manipulation ?

On sait que les passeurs mafieux mettent les migrants sur des embarcations de fortune puis appellent les secours pour aller les chercher. Certains liens sont troublants. La décision de l’Italie concernant l’Aquarius montre que la volonté politique peut arrêter ce trafic, que les frontières maritimes peuvent être gardées. Si les bateaux étaient refoulés en Tunisie ou en Algérie, les passeurs comprendraient que leurs trafics ne marchent plus. Pour les migrants aussi, il va devenir clair qu’il est de plus en plus difficile d’accoster en Europe.

CONFLITS : Le renvoi au Maghreb est-il une solution durable ?

Non, bien entendu. La Libye n’est qu’un couloir de transit, où en plus les migrants sont particulièrement maltraités. Ce qu’il faut faire, c’est les dissuader ou les empêcher d’y entrer, parce qu’après c’est trop tard, ils se retrouvent entre les mains des trafiquants. C’est ce que la Hongrie essaie de faire comprendre à l’UE, avec les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie), renforcés par l’Autriche. Nous avons alloué 35 millions d’euros pour aider l’Italie à intervenir à cet effet au sud de la frontière libyenne.

CONFLITS : Êtes-vous favorable aux « hot spots » dans les pays d’émigration ?

Oui. C’est même une idée de la Hongrie, la première à avoir proposé l’ouverture de ces centres, aussi près que possible des points de départ. Que signifie en effet la large ouverture humanitaire promue par certains, quand il faut ensuite renvoyer la majeure partie des migrants chez eux ? Ceux dont on sait qu’ils n’auront aucun droit à prétendre rester en Europe ne doivent même pas partir. C’est non seulement le bon sens, mais c’est aussi le seul moyen d’éviter les mauvais traitements et les noyades.

CONFLITS : La Hongrie a-t-elle des amis en Europe ?

Bien sûr. D’abord, la Hongrie n’a pas d’ennemis. Et c’est pour cela qu’elle s’étonne quand elle se voit désignée à la vindicte publique au sein même de l’Union européenne. Je crois que les valeurs conservatrices défendues par la Hongrie lui procurent un sentiment de sympathie bien plus grand qu’on ne voudrait nous le laisser croire. Je le constate tous les jours, au contact des Français. Mais dans le monde où nous vivons, il y a surtout des intérêts. Churchill l’avait déjà dit. La communauté d’intérêts peut engendrer l’amitié, c’est de bonne politique. Le grand problème de notre Europe à 28 est que nous ne nous connaissons pas. Or l’amitié naît de la volonté de connaître l’autre. À défaut, l’on se laisse aller à des jugements hâtifs et péremptoires, qui ne font qu’inciter à l’inimitié et aux fractures, ce qui est un très mauvais discours. L’Europe doit encore acquérir cette culture de l’amitié et du respect de l’autre. C’est sans doute à cette condition qu’elle pourra se refonder et repartir de l’avant.

À propos de l’auteur
Frédéric Pons

Frédéric Pons

Journaliste, professeur à l'ESM Saint-Cyr et conférencier.

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