Face aux besoins croissants de nouveaux financements, l’augmentation des impôts pose la question de la limite des fonctions régaliennes de l’État. Les idéaux politiques doivent parfois se confronter à la réalité de l’économie : un excès de fiscalité, déjà élevé, minerait la stabilité d’une économie forte et prospère.
De nombreux experts, économistes ou politiques – par-delà la seule Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) – considèrent qu’il y a urgence à augmenter les impôts. Cette hausse, en dépit de prélèvements obligatoires qui figurent déjà parmi les plus élevés au sein de l’OCDE1, serait inéluctable voire souhaitable afin de financer la transition écologique et les services publics, tout en diminuant les inégalités sociales. Certes, ces voix ne sont pas totalement isolées dans le concert européen et même mondial de celles qui s’expriment sur le sujet. C’est toutefois en France qu’elles le font avec le plus de constance et de fermeté, car c’est en France que l’hostilité à l’économie de marché est la plus prononcée.
Quels qu’en soient les motifs et quelle qu’en soit la provenance, les appels en faveur d’une intervention renforcée de l’État traduisent une même défiance à l’égard des marchés, tout uniment perçus comme défaillants. Avec un point d’aboutissement lui aussi convergent : la nécessité d’augmenter les prélèvements obligatoires pour financer, ici et là, ce surcroît d’interventionnisme. Dans l’esprit de bon nombre de ces experts et de ces hommes ou femmes politiques, les besoins répertoriés dépassent cependant assez nettement les défaillances traditionnellement inventoriées par la théorie économique. C’est qu’il ne s’agit pas tant, au fond, de remédier à d’éventuelles défaillances de marché que de concrétiser, tour à tour, des idéaux de nature purement politique. Et cela indépendamment des enseignements de la science économique, pourtant précieux jusque dans le domaine écologique, où les prix ont à jouer leur rôle fondamental, celui de signaux indiquant les raretés et guidant de manière décentralisée les comportements des producteurs et des consommateurs.
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Ainsi, la lutte contre le dérèglement climatique apparaît-elle comme un idéal que le marché, privilégiant le profit à notre survie, n’intègrerait qu’imparfaitement et qui donc appellerait le relais de l’État. Fruit d’un prétendu pacte intergénérationnel ayant pour conséquence immédiate de mobiliser une dépense publique sensiblement plus élevée en France que dans la plupart des pays de l’OCDE, le financement du système des retraites par la répartition est lui-même vu comme un idéal (on n’ose dire un totem) que le marché et la capitalisation ne permettraient pas de réaliser. De même, l’instruction et l’enseignement des savoirs sont-ils un objectif que le marché, recherchant bassement l’intérêt et le profit individuels, ne permettraient pas d’atteindre. La « justice sociale » est aussi un idéal que le marché, en différenciant la rémunération des individus en fonction de leur productivité, ne saurait satisfaire, et qui justifierait une intervention correctrice et redistributrice de l’État au moyen de sa politique fiscale. On pourrait compléter à l’envi la liste des idéaux politiques avec lesquels le marché entrerait en contradiction, et qui commanderaient une intervention supplémentaire de l’État.
Il n’est pas contestable que des besoins concrets d’intervention de l’État existent, en lien prioritairement avec ses missions régaliennes traditionnelles de sécurité, de justice et de défense, qui toutes légitiment le prélèvement de l’impôt. Des défaillances de marché, au sens économique du terme, demeurent. Pour autant, l’idée qu’il y aurait des besoins sans cesse nouveaux est contestable. Au contraire, ces défaillances sont de moins en moins nombreuses à mesure que progressent les technologies et que reculent les situations de monopole naturel. Et si le politique est fondé à formuler des exigences propres, en particulier dans la sphère sociale, il ne doit pas oublier que ses demandes ne peuvent prospérer que sur la base d’une économie forte et puissante, qu’un excès de fiscalité a toutes les chances de contrecarrer.
1 La part des dépenses publiques en faveur des retraites rapportée au PIB est ainsi de 13,6 % en France, là où, par exemple, elle n’est que de 5,2 % aux Pays-Bas, 5,6 % au Royaume-Uni ou 7,2 % en Suède, pays ayant compris l’intérêt d’un système complémentaire par capitalisation. Cette « spécificité » française n’est pas sans coûts pour les actifs et les finances publiques, c’est-à-dire l’économie française.
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