L’intérêt de ce livre est de s’inscrire dans la longue durée, avec des allers-retours entre l’histoire de l’Empire ottoman et le présent de la Turquie. C’est ici l’histoire de la Turquie qui se dégage, jusque dans l’occupation de Chypre.
Jean Étèvenaux – La Turquie – jusqu’à Chypre – Les acteurs du savoir – Septembre 2024. 16 €
Cet ouvrage a été publié par une maison d’édition initialement spécialisée en sciences de l’éducation. Pour autant, figurent dans son catalogue, particulièrement bien fourni, des travaux historiques sur différents sujets de recherche ou des monographies.
L’auteur de cet « essai d’histoire de la Turquie » a publié sur de très nombreux sujets, en menant de front une carrière de journaliste et d’historien.
Les détours de l’histoire
L’intérêt de ce livre est de s’inscrire dans la longue durée, avec des allers-retours entre l’histoire de l’Empire ottoman et le présent de la Turquie de Recyp Erdogan. La démarche peut parfois sembler anecdotique, même si elle n’est pas dénuée d’intérêt, comme ce rappel historique sur l’histoire des zouaves, unités de l’armée française lors de la conquête de l’Algérie, directement inspirée de l’organisation militaire ottomane. C’est évidemment la réflexion sur la Turquie contemporaine, avec l’instrumentalisation mémorielle de l’histoire ottomane par l’actuel pouvoir qui retiendra l’attention. Toute la question est de savoir comment le président Erdogan, Premier ministre en 2003, puis successivement réélu président de la République en 2014, 2018 et 2023, parvient à conduire une politique étrangère complexe, souvent déroutante, avec un usage décomplexé de la force si cela est nécessaire.
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De l’Empire à la République
L’histoire de la Turquie est indissociable du recul de l’Empire ottoman qui a commencé en 1699, avant son effondrement au lendemain de la Première Guerre mondiale. Dans ce contexte, Mustafa Kemal Atatürk parvient à maintenir l’unité du pays, recentré autour de l’Anatolie, ce qui permet d’oublier les promesses faites aux Kurdes, mais également aux Arméniens.
On rappelle d’ailleurs de façon très opportune dans cet ouvrage la version officielle des autorités turques à propos de ce qu’il est interdit d’appeler dans le pays le génocide arménien. Officiellement il y aurait eu 300 000 morts consécutivement à un soulèvement des Arméniens organisé par la Russie, alors en guerre contre l’Empire ottoman.
La Turquie mène aujourd’hui une politique d’influence dans des territoires qui ont été pendant un temps dominés par l’Empire ottoman, comme dans le Caucase, en Asie centrale en raison de la référence au monde turcique, c’est-à-dire aux racines linguistiques. Plus récemment, mais sans doute plus préoccupants en termes de questionnement pour l’Union européenne, dans les Balkans. Le soft power turc se manifeste par la création d’universités turques en Bosnie-Herzégovine, et le port du voile se généralise, largement favorisé par le soutien que le gouvernement d’Ankara apporte à la confrérie des Frères musulmans.
De nombreux aspects du positionnement géopolitique de la Turquie sont ainsi abordés, comme sa position de château d’eau du Moyen-Orient avec le contrôle des sources du Tigre et de l’Euphrate, ou encore le soutien apporté à l’Azerbaïdjan dans la guerre puis l’annexion du Haut-Karabakh.
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Le contrôle de Chypre
De la même façon, le maintien de cette domination cinquantenaire cette année de la Turquie sur la partie nord de l’île de Chypre est largement évoquée en dernière partie de cet ouvrage, avec un regard plutôt journalistique sur la particularité de ce territoire qui accueille bien volontiers des oligarques, des casinos, et quelques organisations mafieuses.
Mais en même temps la Turquie montre qu’elle peut mener une politique étrangère particulièrement efficace, sans doute parce que le président Erdogan est capable de mettre plusieurs fers au feu. Tout en restant membre de l’OTAN, en étant capable de peser sur l’organisation, notamment pour l’adhésion de la Suède, la Turquie s’affiche clairement comme un soutien politique du Hamas, et peut simultanément fournir des drones de combat aux forces armées ukrainiennes tout en continuant à parler avec la Russie à qui elle permet de contourner l’embargo.
Au final, cet ouvrage, qui est plutôt un essai, permet de faire un point actualisé sur les lignes de force du positionnement turc qui rappelle celui de l’Empire byzantin, comme point de convergence entre l’Europe, l’Asie, et l’Afrique. C’est d’ailleurs sur le continent africain que la société militaire privée turque SADAT mène l’essentiel de ses actions.
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