Alors que l’addition du Brexit et du Covid-19 ont fortement éprouvé les échanges transmanche, il suffit de prendre un peu de recul pour se rendre compte que le transport de passagers et de fret à travers la Manche a fortement évolué tout au long de ces trente dernières années, sous l’effet d’une succession de crises.
En 1994, l’ouverture du tunnel sous la Manche a radicalement changé l’activité transmanche, en venant concurrencer la voie maritime. Cette dernière s’est alors profondément transformée pour se recentrer sur les domaines où elle était le mieux à même de perdurer.
Une forte contraction de la voie maritime
L’arrivée du lien fixe s’est d’abord traduite par la diminution du nombre de rotations, associée à la disparition de certaines liaisons. Elle a aussi conduit au désengagement de compagnies telles que Stena Line ou Sally Line. Mais la fin du duty free, survenue en 1999, a porté un coup tout aussi dur au secteur. Représentant souvent une forte proportion des recettes, il permettait à certains armateurs de proposer des traversées à des prix défiant toute concurrence, descendant parfois jusqu’à 10 francs.
En conséquence, d’autres liaisons ont encore disparu dans la première moitié des années 2000, la plus symbolique étant celle assurée par les aéroglisseurs entre Calais et Douvres. À Dieppe, le conseil général de Seine-Maritime a dû sortir le carnet de chèques pour sauver la ligne vers Newhaven. Quant à P&O, elle décide de fermer toutes ses lignes à l’ouest de la Manche, laissant le champ libre à la Brittany Ferries qui se développe lentement mais sûrement.
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La crise de 2008 rebat encore les cartes
Au milieu des années 2000, le marché semblait s’être stabilisé, mais la crise de 2008 allait créer de nouveaux remous. Ainsi, le port de Boulogne se retrouve alors rayé de la carte des liaisons transmanche, malgré l’inauguration d’un terminal neuf.
Mais la principale conséquence de cette crise est bien évidemment le coup fatal à SeaFrance. Cette filiale de la SNCF, minée par une mauvaise gestion et l’attitude de certains syndicats, met ainsi la clef sous la porte en 2012. Elle est ressuscitée sous la forme d’une coopérative, avec le soutien d’Eurotunnel, mais cette formule n’est pas pérenne et s’arrête trois ans plus tard.
Une compagnie tire son épingle du jeu à cette époque, à savoir DFDS Seaways, basée au Danemark. Ayant déjà repris la liaison Dunkerque – Douvres assurée auparavant par Norfolkline, elle finit par récupérer l’activité ferries de Louis Dreyfus Armateurs, qui s’était implanté sur les lignes Dieppe – Newhaven et Calais – Douvres.
Le Brexit change de nouveau la donne
En 2015, avec la fin de MyFerryLink et la reprise de ses principaux navires par DFDS, la situation semblait de nouveau stabilisée. Mais un an plus tard, une nouvelle crise survient avec le Brexit. Pourtant, en dépit des incertitudes, les compagnies tiennent le coup. Il en sera de même avec le Covid, malgré des flottes en partie à l’arrêt pendant plusieurs mois, preuve que le marché s’est totalement assaini. Par ailleurs, le retour du duty free devrait sans nul doute contribuer aux affaires des compagnies et compenser la baisse du trafic.
C’est l’impact du Brexit sur l’Irlande qui vient à nouveau bouleverser les équilibres. En effet, jusqu’alors les camions entre le continent et l’Irlande transitaient par le Royaume-Uni en profitant du marché commun. La fin de cette facilité conduit les armateurs à proposer des liaisons vers l’Irlande au départ de port comme Le Havre ou Dunkerque, alors qu’elles étaient limitées jusque-là aux ports de Cherbourg et Roscoff. En revanche, la compagnie irlandaise Irish Ferriesfait le pari du maintien du transit par le Royaume-Uni, et ouvre de ce fait sa liaison entre Calais et Douvres.
Durant ces trente années écoulées, d’autres crises se sont parfois surajoutées à celles listées ci-dessus. La principale est sans aucun doute celle des migrants qui tentent de rejoindre le Royaume-Uni, dont le début est d’ailleurs concomitant à l’ouverture du tunnel, qui symbolisait un monde ouvert et sans frontières. Pour le meilleur et pour le pire ?
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