<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La robotique au service de l’exploration spatiale

22 juillet 2024

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Opportunity dans le cratère Endurance (vue simulée). (C) Wikipedia
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La robotique au service de l’exploration spatiale

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La mondialisation et l’arrivée sur le marché spatial de grands acteurs industriels privés aux côtés des agences gouvernementales rebattent profondément les cartes de l’exploration et de l’exploitation de notre système solaire. En agissant là où l’homme ne peut pas vivre, la robotique est l’une des composantes essentielles de cette conquête. 

Article paru dans la Revue Conflits n°52, dont le dossier est consacré à l’espace.

La robotique spatiale est perçue aujourd’hui comme l’une des 12 révolutions sectorielles de la robotique. Elle est également la première incarnation de la robotique des milieux extrêmes, de la robotique de longue endurance, de la robotique autonome et de la robotique d’exploration.

Les premières sondes et rovers spatiaux ont vu le jour pour servir les missions Apollo de la NASA. Leur développement s’est déroulé dans le contexte compétitif des grands programmes d’exploration et de conquête lunaire des années 1960-1970. Depuis six décennies, les progrès technologiques réalisés dans des domaines variés et complémentaires ont permis d’envoyer des sondes sur la Lune, sur Mars, sur Vénus et sur presque tous les points d’intérêts du système solaire. Les futures missions sur Mars sont en préparation avec, en filigrane, le défi complexe de la présence permanente dans l’espace sur des bases de vie lunaires puis martiennes. La mondialisation et l’arrivée sur le marché spatial de grands acteurs industriels privés aux côtés des agences gouvernementales rebattent profondément les cartes de l’exploration et de l’exploitation de notre système solaire.

En agissant là où l’homme ne peut pas vivre, la robotique est l’une des composantes essentielles de cette conquête. 

Les robots seront-ils les seuls explorateurs spatiaux ? 

Cette question est à la fois celle du coût associé à une mission spatiale, celle de la complexité, de la survivabilité dans l’espace et finalement de l’extrême fragilité de l’humain plongé dans un environnement incompatible avec son maintien en vie. Notre nature biologique est la première barrière de l’accès aux profondeurs de l’espace. Les lois de la physique et les distances interstellaires font que les futures missions interstellaires seront exclusivement robotisées, à l’image de Voyager 1. Concernant la colonisation du système solaire, les distances et les niveaux d’énergies à déployer pour atteindre les planètes et les lunes orbitant autour de notre étoile sont compatibles avec l’envoi de missions mixtes (humaines et robotisées). Avec Mars comme prochaine frontière, les robots spatiaux seront en mesure de construire des habitats, d’extraire des ressources et de mener des missions de reconnaissance.

Le coût de l’envoi d’un kg en orbite terrestre est une métrique intéressante. L’Américain Dennis Tito est considéré comme le premier touriste de l’espace. En 2001, il avait dépensé près de 20 millions $ pour passer quelques jours au sein de la station spatiale internationale. En 2022, Il fallait payer près de 250 000 $ pour une expédition d’une durée de quatre-vingt-dix minutes à bord de l’un des vaisseaux de l’entreprise Virgin Galactic de Richard Branson, capable d’atteindre une altitude de 80 km, donc sous-orbitale. Pour atteindre l’espace, c’est beaucoup plus cher. L’un des projets de tourisme spatial d’Elon Musk propose de rejoindre la station spatiale internationale (ISS), à une altitude d’environ 400 km. En plus du coût de fonctionnement de l’ISS estimé à 35 000 $ par jour et par personne, le client devra ajouter 50 millions $. Si l’on exclut l’humain du voyage, les coûts diminuent considérablement. Le vecteur n’est plus construit en intégrant un espace compatible avec la vie humaine, donc le kg envoyé dans l’espace est moins coûteux. Ainsi, l’envoi d’un objet de 1 kg dans l’espace se facture aujourd’hui environ 22 000 $, un prix justifié par le coût de construction des fusées et la quantité de carburant nécessaire au voyage. Le coût du kg envoyé dans l’espace par un ascenseur spatial tomberait à 200 $/kg. La question des futures bases lunaires ou martiennes se pose sous le même angle. Une base strictement robotisée sera moins coûteuse à installer qu’une base dotée d’un espace de vie humaine. La construction de structures permanentes se fera certainement à partir d’essaims de robots constructeurs par impression additive à partir des ressources forées sur place. Une fois ces infrastructures établies, il sera possible d’y ajouter une zone réservée aux visiteurs humains. 

Les pépites françaises de la robotique spatiale 

Le domaine de la robotique spatiale peut apparaître comme un marché de niche. Il est en réalité bien plus large que cela, car il se superpose avec plusieurs marchés de la robotique terrestre. Le segment de la robotique molle s’applique autant aux robots d’exploration de décombres après un séisme ou d’exploration d’une épave sous-marine qu’à l’exploration spatiale. Dans tous les cas, ce sont les conditions extrêmes du milieu d’intervention du robot qui conditionnent son développement. 

La pépite française Shark Robotics a su se hisser, sans aucun soutien extérieur, au premier rang mondial des constructeurs de robots pompiers et des robots terrestres opérant en conditions extrêmes.

Cette expertise mondialement reconnue lui a permis de contribuer à la sécurité dans l’industrie spatiale en collaborant avec plusieurs grands acteurs de l’exploration spatiale. Les solutions robotiques Shark permettent par exemple d’assurer le ravitaillement en carburant et la maintenance de lanceurs réutilisables tout en éloignant l’opérateur humain du risque. Ces systèmes améliorent les processus, accélèrent la réutilisation des lanceurs et augmentent potentiellement la fréquence des lancements. Les robots terrestres Shark et leurs batteries spécifiques ont été conçus pour résister à des températures extrêmes au cœur d’un brasier, aux pressions extrêmes, au niveau de radiations intenses. Ils sont donc compatibles by design à une adaptation spatiale en robot explorateur, robot manipulateur ou robot de forage. 

En conclusion… 

Les deux défis du retour durable de l’homme sur la Lune puis celui des premiers pas humains sur Mars mobilisent les efforts des agences spatiales internationales et des compagnies privées. Les progrès de l’intelligence artificielle et de la robotique vont faciliter ces missions habitées. Les destinations plus lointaines seront certainement réservées à des équipages robotisés, sans humain à bord. Le développement d’intelligences artificielles générales ouvre la voie vers une industrialisation de l’exploration systématique des planètes, des lunes et des corps célestes de notre système solaire.  

Voyager 1, le premier des grands explorateurs robotisés

Voyager 1, le plus vieux robot spatial lancé par l’homme le 5 septembre 1977, poursuit sa course depuis plus de quarante-six ans avec plus de 24 milliards de km parcourus. Après avoir survolé Jupiter et ses lunes en 1979, Saturne et ses lunes en 1980, la sonde robotisée a entamé sa mission interstellaire en 1989 consistant à étudier les régions situées aux confins du système solaire (mission VIM – Voyager Interstellar Mission). Depuis le 25 août 2012, soit trente-quatre ans après son lancement, Voyager 1 a quitté l’héliosphère, la zone de l’espace sous influence directe du soleil. En 2015, l’utilisation des gyroscopes a été arrêtée (pour économiser de l’énergie), puis, progressivement, celle des principaux instruments scientifiques à bord. En 2021, la sonde a su détecter le bourdonnement permanent du gaz interstellaire. La dernière mise à jour du logiciel d’optimisation du propulseur de rotation et réorientation a été réalisée en 2023. Aujourd’hui Voyager 1 continue à émettre avec très peu d’énergie résiduelle et des bugs logiciels. Elle s’éloigne du soleil à la vitesse de 16,6 km/s soit 500 millions de km/an. La sonde se dirige vers l’apex solaire, un groupe d’étoiles assez dense. Dans 42 000 ans, si la suite du voyage se passe bien, Voyager 1 atteindra la zone interstellaire à 1,7 année-lumière de l’étoile Gliese 445 située dans la constellation de la Girafe. La sonde transporte un disque en or, The Sounds of Earth, contenant un message de l’humanité adressé aux éventuelles civilisations extraterrestres qui récupéreraient l’objet. Voyager 1 est à ce jour le système robotisé d’origine humaine le plus éloigné de son concepteur. C’est aussi le robot le plus rapide du monde, le plus endurant, le plus persistant dans sa mission, le plus fidèle dans sa liaison avec sa base terrestre. 

Typologie de la robotique spatiale 

Les systèmes robotisés sont présents tout au long d’une mission spatiale :

Au sol avant le lancement : robots de réapprovisionnement ou de purge des réservoirs ;

Pendant le voyage : bras manipulateurs, assistants robotisés embarqués, robots d’expérimentations scientifiques ;

Arrivé à destination, en orbite d’une planète ou d’un astéroïde ;

Sur la planète ou l’astéroïde : robots d’explorations, de communications, de forages, d’analyse physico-chimique, rover de liaison ;

rover kamikaze impactant un astéroïde pour l’étude de composants après impact.

Robots orbiteurs : Ils effectuent des rotations autour de planètes, de lunes, de corps célestes, afin de collecter des données utiles à la cartographie, l’analyse multispectrale, la recherche d’éléments chimiques ou de zones adaptées à un futur alunissage. Les caméras haute résolution embarquées renvoient des données sur les caractéristiques de surface, sur les formations géologiques, les cratères d’impacts. Les robots orbiteurs ont été utilisés pour les vols lunaires et martiens.

Robots atterrisseurs – alunisseurs : Les atterrisseurs robotisés (par exemple l’atterrisseur développé par la NASA Mars InSight Lander) réalisent la descente vers la surface d’une planète, d’une lune ou d’un astéroïde. Les atterrisseurs fournissent des informations essentielles sur la composition des formations rocheuses et de la composition chimique d’éventuelle atmosphère.

Rovers robotisés : Débarqué par les atterrisseurs ou depuis un orbiteur, le rover se déplace sur la surface, souvent dans des conditions extrêmes de températures, de pression, de radiations. Ils sont équipés d’instruments d’analyse sophistiqués qui leur permettent d’étudier la géologie et la chimie de la planète, de rechercher des signes de vie passée ou présente. Les rovers Curiosity et Perseverance explorent et étudient le sol martien. Le développement de la robotique molle, robotique de biomimétisme avec les vers de terre, s’étend aux applications spatiales d’analyse géologique en profondeur. Des robots de forage permettent d’extraire des échantillons de sols. Ils préfigurent ce que seront les grands systèmes robotisés de forage et d’extraction de matériaux utilisés pour construire les futures bases permanentes.

Les robots de manipulation et bras robotisés : Les robots manipulateurs agissent comme des bras et des mains artificielles étendant les capacités humaines au-delà de leurs portées physiques. Le bras robotisé Canadarm 2 opéré sur la station spatiale internationale et le bras robotisé du rover Perseverance ont démontré la dextérité et la précision de ces systèmes indispensables à la réalisation des missions de maintenance de l’ISS, de réparation de récupération ou de déploiement de satellites. La maniabilité et la précision de ces systèmes leur permettent d’effectuer des opérations délicates qui mettraient en danger la vie d’astronautes s’ils devaient les réaliser.

Les robots humanoïdes avatars, coéquipiers, ou remplaçants d’opérateurs humains : La NASA travaille sur plusieurs projets de robots humanoïdes destinés au rôle d’avatar téléopéré puis au remplacement d’opérateurs humains. Les progrès de l’intelligence artificielle vont accélérer ces programmes stratégiques. Les robots de soutien et d’accompagnement devraient jouer un rôle prépondérant dans les prochaines missions lunaires et martiennes. On sera alors dans un contexte assez proche des fonctionnalités du célèbre robot TARS du film Interstellar.

À propos de l’auteur
Thierry Berthier

Thierry Berthier

Pilote du groupe Sécurité – Défense – Intelligence Artificielle du Hub France IA
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