<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Série d’été – La révolte des canuts (1831) : une guerre urbaine dans la banlieue de Lyon

14 août 2024

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : « Vivre en travaillant, ou mourir en combattant ». (c) Wikipedia
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Série d’été – La révolte des canuts (1831) : une guerre urbaine dans la banlieue de Lyon

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Dans un Lyon en pleine transformation sociale et industrielle, la révolte des canuts marque le passage d’une époque à une autre, celle de l’artisanat à celle de l’industrialisation. À quoi s’ajoutent le mythe révolutionnaire et la volonté de transformer la société. Ce qui aboutit à une guerre urbaine qui permet de restaurer l’ordre et d’éviter la propagation de la révolution.

Les canuts sont des fabricants de soie utilisant une canette (un petit tuyau de bois chargé de soie pour la trame d’une étoffe). Une méthode ancestrale qui se trouve dépassée par l’apparition des métiers à tisser mécaniques. Ayant établi une société figée et fermée, les canuts sont dépassés par l’irruption de cette mécanisation qui permet de faire baisser les coûts de fabrication et d’embaucher de nouveaux ouvriers. Leur révolte est à la fois une opposition à la modernisation et une volonté de maintenir un ordre social qui leur est bénéfique. Un mélange détonnant de conservatisme et de révolution.

Contexte

Au début du XIXe siècle, la soierie était l’activité principale de Lyon, employant près de 30 000 compagnons et soutenant la moitié de la population. En tant qu’industrie de luxe, sa production était fortement influencée par la conjoncture économique. Les ateliers de la soie sont essentiellement situés dans la commune de La Croix-Rousse, qui n’est pas encore rattachée à Lyon (le rattachement se fait en 1852).

La première émeute éclate en 1819 avec l’apparition des premières machines à tisser, que les ouvriers considèrent comme une menace pour leur emploi. Toutefois, au-delà de la question des machines, c’est surtout la revendication d’une hausse des salaires qui devint le fil conducteur de toutes les révoltes. La mécanisation est l’une des questions majeures du XIXe siècle. Si elle permet d’améliorer les conditions de travail, d’accroître la productivité, donc de faire baisser les prix et d’augmenter les salaires, elle détruit aussi certains emplois, tout en en créant de nouveaux dans d’autres secteurs. Les ouvriers qui voient leur emploi disparaitre sous l’effet de la machine ont par conséquent tendance à vouloir empêcher la mécanisation et à vouloir retenir les évolutions industrielles et sociales. Un problème né à la fin du XVIIIe siècle et qui fut une constante de l’âge industriel.

Les prémices de la révolte de novembre 1831

La forte concurrence entre ouvriers contribuait à la baisse des salaires, arrangeant dans le même temps les fabricants. Déjà faibles, les salaires furent encore réduits en raison d’une mauvaise conjoncture économique.

Face à cette situation, les canuts firent appel au préfet du département, Louis Bouvier-Dumolard. Une rencontre qui aboutit à la création d’une commission paritaire fixant un tarif minimum. Cependant, dans un contexte d’interdiction des regroupements professionnels, comme le stipulait la loi Le Chapelier, l’intervention du préfet fut désavouée par le ministre du Commerce, Antoine d’Argout, et mal perçue par un certain nombre de fabricants qui refusèrent d’appliquer les tarifs.

Face au refus des fabricants d’appliquer les nouveaux tarifs, un esprit de solidarité commençait à naitre, si bien que le 21 novembre 1831, les ouvriers se soulevèrent. Le problème est ici tout autant économique que social : les ouvriers veulent une fixation des prix, indépendamment de la loi du marché, ce qui pénalise les consommateurs et les fabricants. Ces derniers veulent au contraire des prix libres, afin que les produits soient vendus moins cher et que les innovations technologiques et techniques puissent être intégrées dans le processus de fabrication.

Le déroulement de la première révolte

En colère, des centaines de tisseurs parcoururent La Croix-Rousse, convainquant ceux qui travaillaient encore de stopper leurs activités et de se joindre à eux. Descendant de la colline jusqu’à la rue Vieille-Monnaie, ils se heurtèrent à la première légion de la Garde nationale, qui bloquait le passage et ouvrit le feu : trois ouvriers furent tués et d’autres blessés.

Remontant la colline aux cris de « Aux armes, on assassine nos frères ! », les ouvriers dressèrent des barricades. Armés de pioches, de pelles et de fusils, ils marchèrent sur Lyon.

Le 22 novembre, rejoints par des ouvriers des Brotteaux et de la Guillotière, les révoltés affrontèrent la Garde nationale dans un combat sanglant sur le pont Morand. Ils prirent possession de la caserne du Bon-Pasteur et pillèrent les armureries.

Bientôt rejoints par d’autres ouvriers, ils devinrent maîtres de la ville, à l’exception des Terreaux, dont ils s’emparèrent peu de temps après. La 7e division commandée par le général Roguet, mise en déroute, prit la fuite.

Après une semaine d’occupation de l’Hôtel de Ville, les ouvriers reprirent le travail, pensant avoir obtenu la garantie de leurs tarifs.

La reprise en main

À Paris, la prise de contrôle de la deuxième ville de France provoqua stupeur et consternation.

Le 25 novembre, 20 000 hommes furent envoyés sous le commandement du duc d’Orléans, assisté du maréchal Soult.

Après quelques jours d’attente à Trévoux, le calme revint, ils purent ainsi rentrer sans résistance dans Lyon le 3 décembre.

Le 6 décembre, le préfet fut révoqué, la Garde nationale dissoute et une importante garnison installée dans la ville. Le lendemain, le tarif fut annulé et la construction d’un fort pour séparer La Croix-Rousse de Lyon fut lancée.

Deuxième insurrection : avril 1834

Après l’échec de la première insurrection, un réseau de sociétés secrètes en lien avec les associations de compagnonnage fut mis en place.

Bien que la situation économique fût plutôt bonne, le patronat considérait que la conjoncture avait trop fait augmenter les salaires et tenta d’imposer une baisse. Conflits et grèves éclatèrent.

Parallèlement, la Chambre des pairs débattait d’une loi visant à durcir la répression contre les associations républicaines. Bien que les associations politiques fussent les cibles réelles, les républicains réussirent à créer un amalgame avec les associations mutuelles ouvrières.

Ce fut la goutte de trop. Le 9 avril, des milliers d’artisans se soulevèrent, couvrant les rues de barricades. La « semaine sanglante » commença, opposant ouvriers et armée. Elle fut matée par le sang jusqu’au 15 avril.

L’insurrection des Voraces (1848-1849) et la disparition des canuts

Près de quinze ans après la deuxième révolte des canuts, le 24 février 1848, Louis-Philippe abdique. Profitant du vide politique, les canuts descendirent à Lyon pour s’emparer de l’Hôtel de Ville et proclamèrent la Seconde République. Malgré plusieurs insurrections jusqu’en 1849, le mouvement s’éteint, réprimé par l’armée et faute de soutien populaire.

Après l’échec des revendications tarifaires, le nombre de canuts diminue progressivement. L’invention de la soie artificielle portera le coup de grâce à cette industrie. À bien des égards, cette révolte annonce les combats de la Commune de Paris (1871). Elle montre aussi l’importance du combat urbain et les rapports compliqués entre maintien de l’ordre en zone urbaine et intervention militaire. Révolte à la croisée des luttes sociales, des transformations industrielles et techniques, des évolutions politiques et militaires, la révolte des canuts a animé l’actualité lyonnaise durant plusieurs années. Ce n’est pas la répression qui a eu raison de cette corporation, mais les transformations techniques qui ont rendu les canuts obsolètes et qui ont ouvert un nouveau monde industriel et salarial.

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À propos de l’auteur
Alban de Soos

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