La répression franquiste de l’après-guerre civile : enfin une étude sérieuse et complète

8 mars 2024

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Page de couverture de l'oeuvre de Miguel Platòn : La represión de la posguerra. Penas de muerte por hechos cometidos durante la guerra civil

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La répression franquiste de l’après-guerre civile : enfin une étude sérieuse et complète

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La guerre civile espagnole est revenue sur le devant de la scène dans les années 1990. Mais entre récupération politique et agitation culturelle, il manquait une étude sérieuse sur la répression franquiste de l’après-guerre civile. C’est désormais chose faite avec un ouvrage qui vient de paraitre en Espagne.

Miguel Platón, La represión de la posguerra. Penas de muerte por hechos cometidos durante la guerra civil, (La répression de l’après-guerre. Peines de mort pour des faits commis pendant la guerre civile), Madrid, 2023, 646 p.

C’est au plus quelques dizaines de milliers d’Espagnols, presque centenaires, qui aujourd’hui encore ont un souvenir précis des affres de la guerre civile (1936-1939). Mais si une bonne partie des générations postérieures semblent tout aussi hantées par la tragédie nationale, c’est surtout en raison des campagnes de grands médias au service des autorités gouvernementales qui n’en finissent pas de « remémorer » voire de ressasser l’évènement. Des lois mémorielles, qualifiées – dans un langage typiquement orwellien – d’« historique » et de « démocratique », ont été votées, en 2007 et 2022, sous l’impulsion de l’extrême gauche, afin de fixer le « récit officiel ».

Mais en réalité, c’est à partir de la fin des années 1990, que le sujet est devenu un enjeu politico-culturel et électoral majeur pour les partis de gauche de la Péninsule. Toutes sortes de polémiques plus ou moins sérieuses, alimentées par des historiens plus ou moins militants, ont éclaté depuis périodiquement dans la presse : plaintes pour « génocide et crimes contre l’humanité » déposées devant le juge Garzón (2006) ; affaire des « 30 000 voire 300 000 bébés  volés » à leurs familles par l’État franquiste avec la complicité de l’Église (2008) (près de 2000 plaintes ont été déposées, mais sans aboutir à des condamnations judiciaires) ; dénonciation de la lenteur des exhumations des corps se trouvant « officiellement » dans les « 2000 à 2600 fosses du franquisme » (en 20 ans de fouilles, de 2009 à 2019, moins de 10 000 corps ont été récupérés dans 800 fosses, sans doute les plus importantes) ; exhumation très médiatisée des corps de Franco puis de José Antonio Primo de Rivera du Valle de los Caídos ; volonté affichée de ministres, journalistes et historiens-militants de détruire la basilique, la grand-croix, voire le monastère, etc. Ces campagnes d’informations – désinformations, régulièrement impulsées par les autorités politiques, n’en finissent pas d’attiser les rancunes et de rouvrir les blessures.

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Combien de morts ?

Un exemple de controverse interminable est celui des querelles sur les chiffres de la répression de Franco au lendemain de la guerre civile (un sujet sur lequel nombre d’ « historiens » et de spécialistes de l’agitprop, sèment la confusion en mêlant les exécutions survenues pendant et après la fin du conflit). Des centaines d’hommes politiques, journalistes et « historiens professionnels » s’étaient prononcés sur cette question épineuse au cours des décennies passées, avec – du moins le croyait-on – de plus en plus de précision. Des exemples ?

En voici : 500 000 assassinés et fusillés déclarait le communiste Heriberto Quiñones, en 1942 ; 192 684 affirmait le journaliste américain Chartes Foltz, en 1948 (chiffre, inlassablement repris par la suite jusque dans les réunions de l’ONU, qui lui avait été révélé, disait-il, par un fonctionnaire du ministère de la Justice qui, bien sûr, est resté à ce jour non identifié) ; plus de 250 000 surenchérissait le leader du PCE Santiago Carrillo ; 200 000 soutenait l’historien américain Gabriel Jackson, en 1967 ; 103.129 assurait l’économiste communiste Ramón Tamames, dans les années 1960 ; 100 000 estimait l’historien démocrate-chrétien, Javier Tusell, dans les années 1990 ; 114 266 prétendait révéler avec précision, le Juge socialiste Garzón, en 2006-2008, avant qu’il ne soit condamné pour prévarication. Finalement, la version canonique, répandue par les historiens et militants de gauche et d’extrême gauche, depuis les années 2010 – 2020, faisait état de 110 à 150 000 assassinés et exécutés. Quant aux historiens favorables au camp national, ils évaluaient le nombre des républicains exécutés entre 23 000 et 30 000 (cf. Ramón Salas Larrazabal en 1977, Ángel David Martin en 2005).

Mais les opinions et les mythes finissent un jour par s’écrouler et les faits par s’imposer. Il semble que le dénominateur commun de ces auteurs ait été d’avancer des estimations sans fondement solide, de spéculer de façon purement gratuite. C’est du moins ce qui ressort de la longue, patiente et minutieuse étude, quantitative et qualitative, menée par Miguel Platón qui a été publiée à Madrid, à la fin de l’année 2023, avec une préface substantielle de l’historien américain Stanley Payne : « La répression de l’après-guerre. Peines de mort pour des faits commis pendant la guerre civile » (La represión de la posguerra. Penas de muerte por hechos cometidos durante la guerra civil, 2023, 646 p).

Revenir aux sources

L’auteur, journaliste pendant plus de quarante ans, a été entre autres, directeur de l’information de l’agence EFE (équivalent de l’AFP française) de 1997 à 2004 et directeur de la radio Onda Madrid pendant 14 ans. Après sa retraite, en 2017, il a consulté, pendant six ans, à raison de cinq jours par semaine, les dossiers de procédure des condamnés à mort remis à Franco et les Livres-registres des conseillers juridiques conservés à l’Archivo General Militar de Ávila. Avant lui, aucun chercheur n’avait pris la peine d’effectuer ce travail, alors que les archives sont disponibles depuis 2010.

Le résultat de sa remarquable enquête est aussi éclairant que surprenant : à partir du 1er avril 1939, le nombre des condamnés à mort par des cours martiales (Consejos de guerra) et exécutés pour des faits commis entre le 17 juillet 1936 et le 1er avril 1939 s’élève à près de 15 000. Il y eut un total de 30 000 condamnations à mort, mais 47% des condamnés ont été graciés par Franco. 125 000 personnes ont également été condamnées à des peines diverses. Des chiffres effrayants, qui parlent d’eux même et qui n’ont pas besoin d’être absurdement exagérés pour rendre compte de l’ampleur du drame. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler qu’à la fin de l’année 1939, il y avait encore 270 719 détenus dans les prisons espagnoles et qu’il a fallu attendre 1946 pour que le total descende à 36 370, chiffre semblable à celui de février 1936, avant l’arrivée au pouvoir du Front populaire.

La première réaction des médias devant les chiffres de l’enquête de Miguel Platon, si singulièrement inférieurs à ceux jusque-là publiés, a été un silence quelque peu gêné. Mais après un temps de réflexion, de grands médias nationaux (tels El Mundo, ABC, La Razón, Libertad Digital, et bien d’autres), ont recensé le livre de manière positive et parfois enthousiaste. La rigueur de l’ouvrage n’a cependant pas évité à son auteur d’être violemment attaqué dans le supplément culturel de El País, Babelia (20.12.2023) sous la plume d’un historien proche du gouvernement. « Sources partielles et limitées », « déontologie discutable », « manque de rigueur », « vision officielle de la dictature franquiste », etc. sont les quelques artifices grossiers, que l’universitaire Gutmaro Gómez n’a pas manqué d’employer en guise d’arguments balayant ainsi d’un revers de main un travail pourtant effectué de main de maître. Un éreintage particulièrement malveillant qui n’est pas sans rappeler les invectives et les réactions scandalisées, mais surjouées, d’un groupe d’historiens-militants français lors de la publication du bestseller de Pío Moa Les mythes de la guerre d’Espagne (2022, rééd. 2023). Deux jours plus tard, Miguel Platón écrivait une lettre de réponse à la directrice du journal El País, mais celle-ci refusait de la publier.

Son livre La represión de la posguerra marque à n’en pas douter une véritable étape dans l’historiographie de la guerre d’Espagne. On lira dans un autre article, l’entretien qu’il nous a accordé. 

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À propos de l’auteur
Arnaud Imatz

Arnaud Imatz

Docteur en sciences politiques, auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l'histoire de l'Espagne
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