À l’aune du tricentenaire de la mort de Philippe d’Orléans en 1723, qui marque officiellement la fin de la Régence, le musée Carnavalet dédie à la période une exposition qui s’étend du 21 octobre 2023 au 25 février 2024. C’est un temps de l’histoire bien souvent relégué à l’arrière-plan, alors même qu’il marque le retour du roi et de la vie politique et culturelle à Paris.
Lorsque Hyacinthe Rigaud, peintre majeur du roi et de sa cour, fait en 1715 le portrait de Louis XV, âgé seulement de cinq ans, il est évident que ce dernier ne pourra gouverner la France sans le secours d’un tiers. Malgré un désir de présenter le jeune roi paré de tous les atours du monarque absolu, la mort de son bisaïeul Louis XIV plonge le paysage politique français dans une relative incertitude. Pourtant, il ne faut qu’une journée pour que le pouvoir se transmette. Le duc Philippe d’Orléans, neveu de Louis XIV, prend la régence du royaume le 2 septembre 1715, au lendemain de la mort du roi. Ainsi, sur près d’une décennie, l’administration royale et la Cour se réinstallent à Paris, qui devient dès lors le cœur de la vie politique. S’ouvre une période de floraison culturelle accrue, de laquelle découle cette exposition au musée Carnavalet. Musée qui, rappelons-le, se consacre avec ardeur à l’histoire de la capitale sous toutes ses coutures.
Dans cet hommage à la Régence, le musée Carnavalet offre un foisonnement d’artefacts témoins d’un monde certes révolu, mais pas tout à fait disparu. Plus de deux-cents œuvres – picturales, sculptées, graphiques, éléments de décor et pièces de mobilier – sont-elles ainsi exhibées à l’occasion de l’exposition, révélant avec justesse la réalité d’une période de l’histoire longtemps méconnue et sous-étudiée. Le spectateur entre alors en pleine immersion et découvre un univers mouvant, riche de culture et d’histoire, qu’il est lieu d’apprécier par un art pluriel.
Philippe d’Orléans : une figure ambitieuse
Louis XIV meurt au matin du premier septembre 1715, et il ne reste pour lui succéder que son arrière-petit-fils, le duc d’Anjou, futur Louis XV âgé de cinq ans. Le testament laissé par le roi provoque une certaine confusion : il enjoint le duc du Maine, son fils et celui de Madame de Montespan, légitimé en 1673, à maintenir un rôle politique de premier plan ; toutefois, c’est son neveu, le duc d’Orléans, qui se voit confié le titre de Chef du Conseil de Régence.
Le duc du Maine est certes influent : avant la mort de Louis XIV, lui et sa femme tiennent au château de Sceaux une cour extrêmement puissante. En témoigne Le Festin de Didon et Énée, arboré au musée Carnavalet comme une pièce de choix : exécutée en 1704 par le peintre François de Troy, l’œuvre met en scène le duc et la duchesse du Maine sous les traits d’Énée, ancêtre des fondateurs de Rome, et de Didon, reine de Carthage et amante du héros troyen. Cette référence antique souligne aisément leur majesté, d’autant plus qu’ils sont entourés sur le tableau d’une cour d’importance.
Pourtant, le 2 septembre, le Parlement de Paris ne tergiverse pas et donne son soutien au duc d’Orléans, ignorant de facto les derniers vœux de Louis XIV. Philippe d’Orléans est ainsi désigné régent de plein exercice. Une fois hissé dans les plus hautes sphères du pouvoir, celui-ci s’attelle sans attendre aux questions royales qui requièrent son attention, qu’elles soient d’ordre politique, économique, diplomatique ou religieux. Le buste à son effigie, sculpté par Jean-Louis Lemoyne en 1715, lors de l’exposition veut renvoyer l’image d’un homme compétent, avide de pouvoir, juste et sévère.
L’éducation minutieuse du jeune Louis XV
Au 9 septembre de l’année 1715, le petit roi emménage au château de Vincennes à Paris, et quitte Versailles tandis que la dépouille de Louis XIV est conduite à Saint-Denis, la nécropole des rois de France. Trois jours plus tard, la Régence est officiellement instituée lors d’une séance parlementaire, comme en atteste la toile de Michel Dumesnil Lit de justice de Louis XV.
L’éducation de Louis XV débute alors d’office : le musée Carnavalet propose au travers de ses couloirs une richesse d’articles, tant d’outils nécessaires à l’instruction du roi. Ainsi peut-on admirer le globe terrestre mécanique de 1700 et la mappemonde créée par Guillaume Delisle à l’intention du roi en 1720. Ce dernier, de prime abord maître de géographie, devient en 1718 premier géographe du roi : ce titre créé à son endroit lui offre la possibilité de produire moult cartes pour le jeune Louis XV. De fait, la géographie constitue une discipline absolument fondamentale encouragée par le Régent, qui à partir de 1717, fait de l’éducation du roi un enjeu des plus sérieux. En témoignent des esquisses anonymes qui présentent un Dessin original des études du roi Louis XV dans sa jeunesse, ou Louis XV recevant une leçon en présence du Régent.
De fait, le monarque se trouve rapidement initié à une multiplicité d’enseignements : il reçoit une instruction historique alimentée par l’inventaire de l’historiographe Roger de Gaignères, qui fait réaliser de nombreux dessins de monuments divers, dans une volonté de répertorier les richesses de la France en un ouvrage. Sa mort en 1715 permet à Louis XV de prendre possession de cette collection, de sorte à parfaire sa connaissance de l’histoire. En outre, le jeune roi, en 1718, fait l’acquisition d’une petite imprimerie installée dans ses appartements. Il y imprime notamment le livret intitulé Cours des Principaux Fleuves et rivières de l’Europe, exposé aux yeux du spectateur au sein du musée Carnavalet. Mais l’éducation de Louis XV est loin de constituer le seul intérêt du régent.
La Régence : une véritable frénésie artistique
Il est lieu de concevoir à quel point le régent joue un rôle déterminant dans la vie artistique. José de Los Llanos, conservateur en chef, responsable du cabinet des Arts graphiques et du département des Maquettes au musée Carnavalet-Histoire de Paris, met en exergue le tempérament artistique essentiel du régent, et le rôle primordial de l’abbé – futur cardinal – Dubois dans son éducation, lui donnant ainsi un goût accru pour les Arts. Étant lui-même musicien – il compose deux opéras : la Jérusalem délivrée, qu’il crée en 1704, et Penthée, créée en 1705. D’autre part, le duc reçoit à la mort de son père une fortune d’ampleur, participative de son aisance à créer ses œuvres musicales : il bénéficie d’un grand nombre d’interprètes et peut, de fait, parfaire son opéra.
La réserve de Louis XIV à l’égard de Philippe d’Orléans a été un adjuvant au développement de son goût pour les Arts, tenu longtemps à l’écart du pouvoir royal. Celui-ci s’entoure, en effet d’artistes divers et enrichit sa connaissance de l’art. Une fois au pouvoir, il persiste dans son rôle de mécène du paysage musical. Charles-Hubert Gervais aura ses faveurs.
La Régence s’impose de surcroît comme une période au cours de laquelle des figures artistiques et littéraires majeures émergent. À l’instar de Watteau, Marivaux, Voltaire ou Montesquieu, les artistes sont nombreux et la floraison des arts résulte par ailleurs d’une volonté d’immortaliser la période par des œuvres diverses. C’est à l’aune de ce foisonnement culturel que naît le style rocaille ou rococo.
Il faut toutefois saisir que l’administration du pouvoir ne laisse à Philippe d’Orléans que peu de temps pour les Arts. Ulysse Jardat, conservateur du patrimoine, responsable du département des Décors, Mobiliers et Arts décoratifs au musée Carnavalet-Histoire de Paris, souligne quant à lui l’exercice du pouvoir de Philippe d’Orléans comme prépondérant à partir de 1715, vecteur essentiel du caractère antérieur des créations artistiques du Régent. Il lui est désormais impossible de se consacrer personnellement aux arts qu’il aime tant.
Libertinage : la Régence fut-elle vraiment une période de décadence ?
Philippe d’Orléans : un débauché ? Le film Que la Fête commence, réalisé par Bertrand Tavernier en 1975, donne du régent une image peu flatteuse. La diffusion d’un extrait du film lors de l’exposition au musée Carnavalet le présente lors de ses « petits soupers », évoqués ainsi par le mémorialiste Saint-Simon, ami du régent. Le cinéaste dépeint ces dîners privés comme des orgies où s’exalte une cour de prostituées et de jouisseurs délurés. Il faut relever que l’œuvre de Tavernier n’a que peu de pertinence historique. Le régent, certes en quête d’aventures, est passé à la postérité comme une figure excessive et, de fait, la presse de l’Ancien Régime use de cette image pour discréditer Philippe d’Orléans et ses proches. Pour autant, il ne correspond pas au prince pervers, mélancolique et sujet au doute interprété par Philippe Noiret. Libertin certes, dépravé en aucun cas.
Il existe néanmoins des sociétés libertines, à l’instar de celle de Philippe de Vendôme, dont la visée s’apparente à l’accueil des esprits libres. Voltaire, notamment, y fait son entrée. Carnavalet signale son rôle d’ampleur sous la période, d’abord emprisonné en raison de ces pamphlets contre Philippe d’Orléans, puis auteur de la tragédie Œdipe, à laquelle Philippe d’Orléans assiste. Il existe en outre des salons qui deviennent des lieux de retrouvailles en petit nombre. Les spectacles, dîners, soirées en tout genre se multiplient à une vitesse fulgurante. Le divertissement est au cœur des convoitises et la ville de Paris voit se propager en son sein une noblesse plus fantaisiste qu’à Versailles. Celle-ci développe un attrait particulier pour la scène : l’exposition au musée Carnavalet dédie alors à la période un épisode sur la Renaissance du Théâtre, qui se développe ardemment grâce à la Comédie italienne. Celle-ci faisant son retour sur le paysage culturel français à partir de mai 1716, et se diffuse sous l’égide de l’acteur Luigi Riccoboni.
Un succès diplomatique : l’habileté de Philippe d’Orléans à restaurer la paix
La Grande Estampe Les Tuileries, réalisée vers 1722 par Pierre Gallays, révèle avec fidélité ce qui peut être perçu comme l’affaire majeure qui participe de la politique de paix de Philippe d’Orléans. De fait, l’exposition offre à l’œil avisé du spectateur de nombreuses représentations picturales du jeune Louis XV accompagné de l’infante d’Espagne, qui, alors âgée de trois ans, lui est promise en vue de sceller la réconciliation entre les deux pays, au lendemain de la guerre de succession d’Espagne. L’abbé Dubois joue un rôle d’ampleur dans la décision des fiançailles. Celles-ci seront finalement rompues, mais donneront lieu auparavant à des peintures rendues à la postérité par le célèbre Nicolas de Largillierre. La commune de Paris commande au peintre, en 1722, une œuvre évoquant les heureuses fiançailles et l’arrivée de l’infante d’Espagne en France. En résultent deux esquisses conservées au musée Carnavalet et exhibées à la lumière de l’exposition : Les échevins célébrant l’arrivée de l’Infante, mais aussi et surtout l’Allégorie des fiançailles de Louis XV et de l’infante d’Espagne. Les deux œuvres sont datées de 1722 et témoignent d’un désir de pérenniser, d’une part, les nouveaux liens entre France et Espagne, et d’autre part la paix en Europe. Il faut saisir à quel point l’actuelle capitale constitue, grâce à l’ingéniosité de Philippe d’Orléans, le centre de la diplomatie européenne.
Rupture ou continuité ? Un pan de l’histoire oublié
La Régence préfigure l’époque des Lumières. Elle révolutionne la conception du pouvoir monarchique par de nombreux prismes. « L’esprit des Lumières », liberté nouvelle de critiquer, naît, de fait, en 1715 et accompagne la lente agonie de l’absolutisme. En somme, interprétée par certains historiens comme une transition conservatrice, car, le régent emploie toutes ses forces à consolider le pouvoir royal, la période s’impose comme celle des mutations de la société, qui apportent un renouveau dans un Paris devenu capitale politique, économique et culturelle de la France.
L’Allégorie à la gloire de Philippe d’Orléans, Régent de France, peinte en 1718, s’avance peut-être alors comme l’œuvre la plus emblématique de ce prince des Arts et des Sciences, qui pendant huit ans, gouverne la France avec une sensibilité et une habileté qui lui sont propres.
Gérard Geist, conférencier, historien et écrivain, apporte un éclairage personnel sur le travail d’envergure du Musée : « L’originalité de la prestation des commissaires de l’exposition est de permettre au visiteur d’illustrer, de matérialiser la vie quotidienne ou les événements importants qui deviennent vivants et réels par les documents ou les objets présentés. On est proche de l’époque. On y plonge vraiment. »
Il s’agit là de saisir l’enjeu de taille qu’a été la période, et rendre hommage, par l’exposition du musée Carnavalet, à une époque oubliée de l’histoire. La régence (1715/1723). L’aube des Lumières, commémore de facto le tricentenaire de la disparition de Philippe d’Orléans avec une justesse et authenticité qui font honneur au musée et à la capitale.