<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La Pologne et sa diaspora : un peuple-nation à l’allemande ?

22 juin 2024

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Le centre historique de Gdansk, en Pologne./iblblo04492833/imageBROKER.com/Hans Blossey/SIPA/2308101840

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La Pologne et sa diaspora : un peuple-nation à l’allemande ?

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La Pologne est un pays d’émigration depuis le XIXe siècle et on trouve des Polonais ou leurs descendants sur les cinq continents. Selon les estimations du ministère des Affaires étrangères du pays, leur nombre se chiffrerait à 20 millions de personnes. Si beaucoup d’entre eux se sont pleinement intégrés dans leur pays d’accueil, la Pologne cherche à conserver le lien avec cette diaspora qui contribue à son rayonnement à travers le monde. 

Paru dans la Revue Conflits n°51.

La figure du « plombier polonais », popularisé au moment du débat sur la directive Bolkestein en 2005, aura fortement marqué les esprits. Derrière celle-ci, ce sont de nombreux Polonais qui sont partis travailler de l’autre côté de l’ancien rideau de fer depuis sa disparition en 1989. Et cette vague d’émigration n’est pas la première qu’a connue la Pologne depuis le xixe siècle.

La disparition du pays, point de départ de l’émigration

Des Polonais étaient déjà partis s’installer à l’étranger au xviiie siècle, le plus célèbre étant sans doute le roi déchu Stanislas Leszczynski, dont la fille épousa Louis XV. Mais c’est au xixe siècle que le phénomène prend un caractère massif, notamment à la suite du soulèvement contre le régime tsariste de 1830, qui se solde par un échec des insurgés et marque le début de la « grande émigration ». Des milliers de Polonais, principalement issus des élites, fuient la répression menée par l’Empire russe tout au long du xixe siècle. Ils partent vers le reste de l’Europe et le continent américain, mais la France accueille une grande partie de ces réfugiés politiques.

L’émigration prend toutefois un tour économique en raison du sous-développement des régions aux mains des Russes et des Autrichiens. La première destination est la Ruhr, en Allemagne, qui se développe rapidement, et ce sont 300 000 Polonais qui viennent s’installer dans cette région dans la seconde moitié du xixe siècle, principalement pour travailler dans les mines.

Le continent américain fait bien sûr partie des destinations pour les Polonais en quête d’une vie meilleure. Ils vont s’installer aux États-Unis, principalement autour du lac Michigan, mais aussi au Canada. En Amérique du Sud, ce sont le Brésil et l’Argentine qui sont les principales destinations. Dans ces pays en pleine construction, les Polonais travaillent dans l’industrie naissante, les mines, mais aussi l’agriculture. Pour les seuls États-Unis, ce sont aujourd’hui presque 10 millions de citoyens qui s’identifient comme polono-américains.

En Europe, outre l’Allemagne voisine, la France devient un pays d’émigration majeur pour les Polonais à partir de la fin du xixe siècle. Comme outre-Rhin, ce sont dans les mines que viennent travailler ces nouveaux venus, mais ils sont également très présents dans l’agriculture. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, alors que la Pologne vient de ressusciter, une nouvelle vague de recrutement massif a lieu avec 700 000 nouveaux arrivants qui s’installent surtout dans le nord et l’est du pays. Une partie d’entre eux est rapatriée dans les années 1930 avec la crise économique, ceux qui restent s’intègrent progressivement.

La Seconde Guerre mondiale à l’origine de nouveaux exils

Ces exemples ne sont pas exhaustifs, puisque les Polonais ont émigré vers de nombreux pays d’Europe et des Amériques. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des Polonais se sont réfugiés pour fuir les invasions allemande et soviétique, parfois dans des pays où il n’y avait pas ou peu de diaspora auparavant comme l’Afrique du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Du reste, l’installation d’un régime communiste au lendemain de la guerre a conduit de nombreux réfugiés à ne pas rentrer au pays.

La fin de la guerre s’accompagne également du déplacement vers l’ouest des frontières de la Pologne. Même si ce redécoupage va de pair avec la relocalisation des populations concernées¹, une partie des Polonais habitant à l’est de la ligne Curzon, la nouvelle frontière orientale du pays, ne suit pas ce mouvement, créant une nouvelle diaspora de fait en Union soviétique, sur le territoire des RSS de Lituanie, d’Ukraine, et surtout de Biélorussie. L’URSS comptait d’ailleurs déjà une diaspora auparavant, qui s’était constituée au fil des déportations organisées par l’empire tsariste, puis le régime soviétique après lui, avec divers foyers d’exil dans le Caucase, en Asie centrale et en Sibérie.

La fin de la guerre voit également le départ de la majeure partie des juifs encore présents. En effet, ils étaient déjà partis en nombre parmi les vagues d’émigration vers le Nouveau Monde, notamment les États-Unis et le Brésil. À la veille de la guerre, ils représentaient encore 10 % de la population, mais 2,7 millions d’entre eux périrent du fait de la Shoah. Des 250 000 survivants présents en 1946, la majorité émigre vers Israël durant les premières années de l’existence de l’État hébreu. Ceux qui ne sont pas partis finiront pour beaucoup par suivre le même chemin à cause des persécutions du régime communiste, au point qu’ils n’étaient plus que 5 000 à 10 000 en Pologne en 1989. En 2007, dans l’État hébreu, c’était 1,2 million des 7,5 millions d’habitants qui était ainsi éligible à la citoyenneté polonaise du fait de leurs origines.

1989, ou la naissance du « plombier polonais »

Alors que l’émigration s’était quasiment stoppée sous le régime communiste, elle devient à nouveau possible avec la chute du rideau de fer en 1989. C’est le début d’une nouvelle émigration vers l’Ouest, où les salaires sont plus attractifs, laquelle va s’accentuer avec l’entrée dans l’Union européenne en 2004 et la directive Bolkestein, promulguée en 2006². Ils partent principalement vers les grands pays moteurs de l’économie européenne, comme la France et l’Allemagne, mais aussi la Scandinavie voisine, et les îles britanniques, où leur présence suscite l’hostilité d’une partie de la classe politique. S’ils ne sont pas tous plombiers, ils travaillent majoritairement dans le bâtiment et les travaux publics. En effet, en 2015, ce secteur employait 200 000 des 260 000 Polonais qui avaient quitté leur pays pour d’autres contrées de l’Union européenne.

À l’heure actuelle, dans la plupart des pays d’émigration, le sentiment d’appartenance à la diaspora perdure, comme en témoigne l’existence d’associations communautaires dans la plupart des pays, y compris ceux où l’émigration est ancienne et intégrée comme les États-Unis ou la France. Ces associations jouent principalement un rôle culturel et mémoriel dans les pays occidentaux, mais en ex-URSS, elles peuvent jouer un véritable rôle d’entraide pour des minorités pas toujours bien vues des autorités.

Mais la Pologne agit aussi pour structurer sa diaspora, également connue sous le nom de Polonia. Parmi les principales actions, on peut notamment citer les Jeux mondiaux de la Polonia, qui réunissent tous les deux ans des athlètes de la diaspora. La télévision et la radio publique ont, pour leur part, des canaux à destination de ces expatriés. En 2007, Varsovie a lancé la Karta Polaka, une sorte de passeport polonais destiné aux membres de la diaspora, principalement pour ceux qui vivent en ex-URSS où ils ne peuvent pas avoir la double nationalité. Enfin, depuis 2002, la Pologne célèbre officiellement sa diaspora le 2 mai, en même temps que la journée nationale du drapeau, rappelant ainsi que celle-ci fait partie de son identité.

Toutefois, le destin migratoire de la Pologne semble être à un tournant. En effet, depuis le milieu des années 1980, la natalité a fortement baissé, à l’image de beaucoup de pays de l’ancien bloc de l’Est. Désormais, la Pologne est aussi un pays d’immigration, laquelle vient d’abord d’Ukraine et de Biélorussie, dont le territoire faisait autrefois partie de la Pologne. Par ailleurs, une partie des personnes qui s’installent dans les pays sont en fait des Polonais de la diaspora, une immigration qui n’est pas sans rappeler celle des Volksdeutsche en Allemagne. Ainsi, en l’état actuel des choses, la diaspora polonaise est vouée au déclin, même si, à l’image de la mère patrie qui a disparu plusieurs fois avant de ressusciter, elle n’a pas encore tiré sa révérence.

1. Les Allemands qui vivaient sur le territoire de l’actuelle Pologne ont également été déplacés, mais ils ne sont généralement pas comptés comme faisant partie de la diaspora polonaise.

2. Appelée aussi « directive services ».

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À propos de l’auteur
Jean-Yves Bouffet

Jean-Yves Bouffet

Officier de la marine marchande.

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