<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La politique étrangère de Javier Milei : un occidentalisme contrarié

30 septembre 2024

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Javier Milei recevant le sceptre présidentiel de la part d'Alberto Fernández, président sortant, le 10 décembre 2023
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La politique étrangère de Javier Milei : un occidentalisme contrarié

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Élu président de l’Argentine en 2023, le libertarien Javier Milei a, depuis sa prise de fonction le 10 décembre, initié dans bien des domaines un virage radical, bien qu’entravé par divers impédiments et, en particulier, son absence de majorité législative.

Libertarien conséquent, Javier Milei est partisan d’un retrait de l’État en toutes matières, afin de libérer les individus de sa coercition et assurer le développement économique par les mécanismes du libre marché. Cependant, en politique étrangère, cette neutralité de l’État est relative. Le candidat Milei avait certes déclaré lors de son débat de second tour face à Sergio Massa que, y compris face à la Chine communiste qu’il décriait par ailleurs, l’État ne doit pas s’opposer au libre commerce, et se doit donc d’agir le moins possible en matière de politique internationale. Cependant, et dès la campagne, ce refus d’une intervention politique qui viendrait perturber les relations commerciales s’accompagnait d’une vision géopolitique divisant le monde en deux blocs : l’Occident, lieu de naissance du capitalisme et donc de la prospérité, et le reste du monde. Même si Javier Milei estime par ailleurs que la majorité de l’offre politique occidentale est elle aussi collectiviste et donc néfaste, sa conception du monde repose bel et bien sur une binarité Occident / reste du monde.

Le problème chinois

Ainsi, sa première grande décision internationale, annoncée dès sa campagne, fut le refus d’intégrer les BRICS au 1er janvier 2024 : le gouvernement précédent avait négocié cette entrée afin, justement, d’extraire Buenos Aires de l’orbite occidentale.

Depuis, Javier Milei développe un rapprochement militaire résolu avec Washington, malgré la divergence idéologique avec l’administration démocrate. En avril 2024, le ministre de la Défense argentin a présenté une demande formelle auprès de l’OTAN afin d’intégrer les rangs des « partenaires mondiaux » de l’alliance[1]. Le même mois, un accord a été signé avec le Danemark prévoyant l’achat par Buenos Aires de 24 avions de chasse F-16 de fabrication états-unienne. Ces avions seront acquis grâce à Washington, qui a octroyé à l’Argentine un financement militaire extérieur de 40 millions de dollars, et ce pour la première fois depuis 2003.

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Ce même mois d’avril 2024 a vu une visite de la générale Laura J. Richardson, chef du commandement sud des États-Unis. À cette occasion, Washington a dépêché un porte-avions en Argentine, pour la première fois depuis 2010. La rencontre s’est tenue à Ushuaia, le port de la Terre de Feu à partir duquel opère la flotte antarctique argentine : et Javier Milei s’est déplacé en personne pour rencontrer Richardson, sans que celle-ci ait à faire le chemin jusqu’à Buenos Aires.

Se rapprocher des États-Unis

À cette occasion, il a tenu un discours remarqué, lors duquel il affirmait sans ambages un partenariat privilégié avec Washington. Cette volonté de rapprochement se fonde sur la revendication de « valeurs communes » entre les deux pays, à savoir les valeurs libérales, dont la supériorité est démontrée par l’exponentiel développement économique que, via le capitalisme, elles ont rendu possible. Accusant ses prédécesseurs d’un anti-impérialisme irréaliste, Javier Milei a avancé que la « souveraineté » du pays ne se défendrait pas dans l’isolement, mais par l’alliance avec les puissances porteuses de l’idéal de liberté, au premier rang desquelles figurent les États-Unis.

Bien que le mandataire actuel affirme qu’une telle politique est en rupture avec « un siècle » d’errements argentins, elle rappelle en réalité les années 1990 lors desquelles, face à l’hégémonie états-unienne, le chancelier Guido Di Tella avait appelé à des « relations charnelles » avec Washington. L’objectif était alors d’obtenir que l’Argentine reçoive une place importante dans le monde prospère que le vainqueur de la guerre froide entendait édifier. C’est d’ailleurs à cette époque (en 1997) que Buenos Aires avait obtenu le statut d’« allié hors OTAN » : la démarche actuelle visant à rejoindre les rangs des partenaires de l’Alliance est dans la lignée de cette époque.

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À une grande différence près : l’arrivée de la Chine sur l’échiquier. L’empire du Milieu dispose tout d’abord d’un poids commercial considérable, puisqu’il représente à la fois la deuxième destination des exportations et la deuxième source des importations de Buenos Aires (dans les deux cas derrière le Brésil, mais devant les États-Unis)[2]. Effet d’échelle oblige, l’Argentine est, en revanche, un partenaire commercial plus que secondaire pour la Chine : la situation asymétrique à l’égard de Washington a ainsi son pendant, plus économique, dans la relation avec Pékin. De plus, l’État chinois a également obtenu de nombreux accords culturels et politiques avec les gouvernements précédents. Ainsi, en 2014, une base spatiale controversée, opérée par l’armée chinoise, a été installée dans le sud du pays.

Commerce argentin

Aussi l’Argentine, comme nombre de pays de la zone, oscille-t-elle entre ces deux grandes puissances. Comme ailleurs dans la région, les forces politiques classées à gauche ont tendance à privilégier l’alliance chinoise[3] tandis que les mouvements classés à droite penchent davantage vers l’Occident. Une rupture totale avec l’un ou l’autre est cependant impossible : ainsi, le poids commercial de la Chine avait dissuadé le président libéral « classique » Mauricio Macri (2015-2019) de toute action à son encontre.

Ce poids commercial empêche également Javier Milei de prendre des mesures brutales contre Pékin : l’importante décision de ne pas rejoindre les BRICS exceptée, son alignement sur l’Occident se matérialise avant tout par l’affirmation de l’appartenance de ce pays à ce bloc et, surtout, par une accélération de son intégration à l’orbe militaire de Washington.

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Les relations avec Pékin n’ont certes pas commencé sous un beau jour. Même si, on l’a vu, Javier Milei avait assuré lors du débat de second tour qu’il n’obérerait pas les relations commerciales pour des motifs politiques, l’on peut imaginer que les autorités chinoises n’avaient guère goûté ses propos de campagnes précédents où il déclarait qu’il ne « traiterait pas avec des communistes » et citait la Chine. Puis, en janvier 2024, des rumeurs autour d’une rencontre qui aurait eu lieu entre la chancelière argentine Diana Mondino et un représentant taïwanais avaient suscité l’ire de Pékin. En conséquence de ces tensions et des réductions drastiques du budget consacré aux travaux publics, la Chine avait également mis fin à son cofinancement de deux barrages dans le sud argentin.

Intérêts communs

Cependant, la loi des intérêts commerciaux a fini par s’imposer. En juin 2024, alors que Javier Milei se trouve à Rome, son chef de cabinet Guillermo Francos s’entend avec l’ambassadeur chinois pour déclarer que la relation stratégique entre les deux pays doit être consolidée. Lors de la même réunion, le swap de devises mis en place sous l’administration précédente – et qui permet de régler les échanges bilatéraux sans passer par le dollar – est prolongé. Quant au projet de barrages, un accord trouvé dès mai 2024 avait permis de relancer les travaux. Enfin, toujours en juin 2024, le président argentin a annoncé son intention de se rendre en Chine et d’y rencontrer, pour la première fois, le président Xi Jinping.

D’une certaine manière, Javier Milei tient donc sa promesse du débat de second tour, en ce sens qu’il se range à la réalité commerciale, et accepte de travailler du mieux que faire se peut avec le Parti communiste chinois. Il n’en demeure pas moins que son adhésion politique et militaire complète à un bloc occidental risque d’entrer en collision avec la réalité géoéconomique de son pays, dont les deux premiers partenaires commerciaux sont le Brésil et la Chine : c’est-à-dire deux membres des BRICS.

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[1] Parmi lesquels figurent par exemple le Japon ou l’Australie, et un seul pays latino-américain : la Colombie.

[2] D’après la Commission des Nations unies pour le commerce, la Chine a représenté, en 2021, 8,28 % des exportations de l’Argentine (contre 15,07 % pour le Brésil et 6,53 % pour les États-Unis) et 18,61 % de ses importations (contre 19,10 % pour le Brésil et 11,34 % pour les États-Unis). Les chiffres d’avant la pandémie sont équivalents.

[3] Buenos Aires avait ainsi rejoint l’initiative « Route de la Soie » en 2022.

À propos de l’auteur
Lucas Favre

Lucas Favre

Journaliste indépendant
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