Lecture de l’histoire à travers les rois de France et réflexion sur le pouvoir, la politique et la France.
L’histoire n’est pas un tribunal et, en dépit des apparences, La nuit des rois, de Maître Trémolet de Villers, n’est pas une plaidoirie : il n’accuse ou n’innocente aucun des rois qui défilent dans ce colloque nocturne, pas plus que notre époque dont les maux apparaissent en creux, mais se contente, armé de son érudition et d’un sens aigu de la mise en scène, de donner la parole à ceux qui nous ont gouvernés. Avocat réputé, l’éditeur du Procès de Jeanne d’Arc (2016) connaît notre histoire nationale sur le bout des doigts. Mais c’est aussi un aïeul affectueux, capable, sous l’effet d’une attaque cérébrale qui aurait pu lui coûter la vie, de partager le fruit de sa méditation historique avec sa petite-fille de 20 ans, Zélie du Peyroux. On ne saurait mieux illustrer ce qu’est une transmission réussie. Dignes héritiers de Cicéron, pour qui l’histoire devait être magistra vitae, maîtresse de vie (De oratore, II), Jacques et Zélie nous convient à une conversation tantôt légère, tantôt savante avec « les quarante rois qui en mille ans firent la France ». Sortis de leurs tombeaux, rois et reines se prêtent avec grâce et poésie, parfois avec humour, à l’exercice d’un échange d’une rare profondeur. Quelles lumières peut-on attendre de notre passé monarchique pour l’époque que nous traversons ?
Des rois bien vivants
Aux confins de l’histoire et de la littérature, La nuit des rois nous rappelle d’abord combien ceux qui nous précèdent restent vivants. C’était précisément la mission assignée par Marc Bloch à l’histoire : « Le bon historien ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier. » Ce colloque des morts prend la forme d’une « danse des vivants » où les souverains semblent plus vrais que nature et même, « plus vivants que nous autres ». Chacun parle ainsi la langue qui lui est propre et, loin de se cantonner au cadre élégant des médaillons légendés qui ponctuent l’ouvrage, Clovis, Hugues Capet, Charles V ou encore Henri IV nous ouvrent, tour à tour, leur conscience. « Un roi n’est pas un sourire aimable sur un portrait en pied. » Nous voilà donc appelés à compatir aux plaintes de Charlemagne, tout droit sorties de La Chanson de Roland : « Ah que peineuse est ma vie ! » Telle qu’elle s’écrit dans ces pages, l’histoire nourrit notre gratitude pour les têtes couronnées qui ont bâti notre nation, au prix de lourds sacrifices.
L’art français de gouverner
Mais Jacques et Zélie nous invitent aussi à tirer des leçons de notre histoire monarchique. Comme un Miroir du Prince contemporain, La Nuit des rois s’efforce d’éveiller notre conscience politique à « l’art français de gouverner ».
On en retient d’abord que le prince n’est pas un tyran, mais, à la manière de Clovis, le « médiateur des grâces politiques et temporelles pour le royaume ». Le sacre fait du monarque le lieutenant du Christ sur terre, ce qui l’empêche de se croire à l’origine du pouvoir qu’il exerce et d’en abuser.
Le principe dynastique ajoute par ailleurs un caractère de stabilité à l’ordre politique et met les sujets à l’abri des manipulations idéologiques, inhérentes aux élections démocratiques. « Nous n’avons pas été candidats. », dit Hugues Capet. « D’autres comme Adalbéron ont fait la candidature pour nous. Nous avons été choisis. C’était ça notre élection. […] non pas une élection suscitée à coups de tintamarre, de promesses, de corruption, de publicité… »
Du coup, la politique n’est pas une technique ou un bricolage, moins encore une idéologie, mais un art destiné à assurer « la tranquillité de l’ordre ». Louis IX comme sa mère, Blanche de Castille, dont la régence fut exemplaire, n’avaient pas d’autre intention que de garantir aux Français la paix civile et de servir leur royaume comme « une maison », dans le silence et dans l’action, « contrairement à vous, qui avez trop cru et croyez encore aux prestiges de la parole et du débat. »
Mais c’est au peuple que revient au fond la part la plus importante : « Il faut que vous commenciez, chacun d’entre vous, à redevenir profondément roi ou reine. Et vous l’êtes d’abord pour vous-mêmes, en régnant sur vous. » Une nation épanouie est une nation de rois, bien davantage qu’« un grand troupeau docile, craintif et mécontent. » « Depuis la chute de la royauté, vous ne rêvez que d’hommes providentiels. », tonne Louis XIV. « L’homme providentiel est une paresse et dans notre histoire, nous n’en avons jamais vraiment connu. »
Le sens chrétien de l’histoire
La Nuit des rois est enfin toute entière empreinte du sens chrétien de l’histoire.
La Providence retrouve ses droits et les hommes sont appelés à reconsidérer humblement son action dans le temps. « L’homme ne dispose pas de l’avenir. Il ne peut que servir au mieux, dans son temps, en cherchant à distinguer à la lumière de son intelligence où est la sagesse…où se trouve le bon droit…pour les servir. Et ce n’est pas l’empereur qui fait l’histoire. Dieu seul est maître de l’histoire. », reconnaît Charlemagne, qu’on ne peut guère suspecter de passivité.
La Révolution apparaît donc pour ce qu’elle est : une entreprise de destruction idéaliste, irresponsable et inconséquente qui a privé les hommes de leurs héritages et de la sagesse qu’ils pouvaient en tirer. Au cœur de cette subversion, la « séparation du spirituel et du temporel, du naturel et du surnaturel, qu’on a appelé le naturalisme, est le fond même de l’esprit révolutionnaire, qui sépare ce que Dieu a uni. Là est le grand mal qu’il faut combattre. »
Ce colloque n’est pourtant pas une lamentation nostalgique. Il forme bien plutôt une méditation historique et spirituelle, remplie d’espérance qui nous invite à retrouver « les murs porteurs » et à « habiter le présent », sans chercher « ni à être dans le sens de l’histoire, ni à le remonter ».