<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La nouvelle route de la soie passe-t-elle au vert ?

20 mars 2021

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : HUAI'AN, CHINA - DECEMBER 26, 2020 - Workers work on the roof of a closed coal yard in Huai 'an, East China's Jiangsu Province, Dec. 26, 2020. In order to create an ecological factory, effectively control surrounding dust and purify the environment, Huai 'an Huaneng Huaiyin Power Plant started the coal yard closed renovation project. (Photo by He Jinghua / Costfoto/Sipa USA)/31836610//2012261205

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La nouvelle route de la soie passe-t-elle au vert ?

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Article de Tom Miller pour Gavekal. Traduction Alban Wilfert pour Conflits

 

La Chine fait des progrès pour assainir son secteur énergétique national, même si elle reste le premier émetteur de gaz à effet de serre au monde. Ce qui n’empêche pas divers détracteurs, au premier rang desquels le département d’État américain, de l’accuser d’exporter un modèle énergétique obsolète et polluant dans le monde entier, souvent sous le couvert de l’Initiative Ceinture et Route (Belt and Road Initiative, BRI), communément appelée « nouvelle route de la soie ». Selon le Global Energy Monitor, les banques chinoises et d’autres institutions publiques financent 56 gigawatts d’énergie au charbon à l’étranger, soit près de trois fois plus que tous les autres pays réunis.

 

En 2019, Xi Jinping s’est engagé à rendre la BRI « verte et propre ». Les banques et les sociétés d’ingénierie chinoises sont-elles à la hauteur de cette promesse ? Le secteur de l’énergie représente environ un tiers des investissements chinois à l’étranger, plus que tout autre secteur. Mon analyse des données relatives aux investissements révèle une évolution de ceux-ci vers les énergies vertes, mais c’est une évolution modérée et non décisive. Si la part moyenne des investissements dans les énergies renouvelables a augmenté ces dernières années, chaque année jusqu’à 2020 l’a vu dépassée par les investissements dans les combustibles fossiles. Il s’agit peut-être d’un tournant, mais il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives d’une seule année, tout à fait exceptionnelle.

 

Tout d’abord, un point sur les données plus générales relatives aux investissements. Les volumes d’investissement direct et de construction de la Chine à l’étranger ont atteint un pic et ont commencé à baisser en 2017, bien avant que le Covid-19 ne mette le monde en veille. Les deux ont fortement diminué en 2020, selon le China Global Investment Tracker, qui effectue les meilleurs décomptes indépendants. Le CGIT enregistre des investissements de 31 milliards de dollars US, contre 89 milliards, et des contrats de construction d’une valeur de 34 milliards de dollars US, contre 72 milliards. Les investissements dans l’énergie, y compris la production d’électricité, ont chuté à 21 milliards. Néanmoins, l’énergie est restée le secteur prédominant pour les investissements sortants.

 

Pas de virage vert décisif

 

Lors du Forum de « la Ceinture et la Route » de 2019, le président Xi a répondu aux critiques internationales sur le rôle de la Chine dans la propagation des investissements sales dans le charbon et d’autres combustibles fossiles en s’engageant à donner la priorité au développement vert et durable. Près de deux ans plus tard, une simple comparaison entre la valeur des investissements dans les énergies renouvelables et celle des investissements dans les combustibles fossiles suffit à en effectuer la vérification.

 

À première vue, la tendance est au progrès. En utilisant les données du CGIT pour les investissements et les contrats de construction combinés, on observe que la part des investissements dans le charbon, le pétrole et le gaz est passée sous la barre des 50 % en 2019-20, et semble suivre une trajectoire descendante. La valeur des investissements dans les combustibles fossiles a diminué pendant cinq années consécutives. Pendant ce temps, les énergies renouvelables – énergie hydraulique, solaire, éolien et biomasse – prennent une plus grande part du gâteau des investissements, malgré une bosse en 2019. En 2020, leur part approchera les 50 %, dépassant pour la première fois les combustibles fossiles.

 

Néanmoins, il est trop tôt pour conclure que la BRI passe au vert. L’année 2018 a marqué le pic des investissements dans les énergies renouvelables, et la chute spectaculaire de tous les investissements depuis le début de la pandémie complexifie l’analyse des données de 2020. De même, il y a différentes façons de délimiter ces données, selon la manière dont les investissements sont catégorisés. Par exemple, le CGIT regroupe les opérations pétrolières et gazières mixtes avec les investissements dans l’énergie nucléaire et les réseaux électriques (désignés comme « autres » (« other ») dans le graphique). Cela signifie que la part réelle des combustibles fossiles est légèrement supérieure à celle indiquée. Il faudra encore attendre d’avoir recueilli un an ou deux de données sur les investissements avant de confirmer une telle tendance à l’abandon des combustibles fossiles.

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Quoi qu’il en soit, la Chine restera, et de loin, le plus gros investisseur étranger dans les énergies sales. Des chercheurs de l’université de Boston estiment que ses investissements récents ou prévus dans des centrales électriques du monde entier augmenteront les émissions de dioxyde de carbone de plus de 400 millions de tonnes par an, soit un peu plus de 1 % des émissions mondiales. L’Indonésie, le Pakistan, le Vietnam, l’Afrique du Sud et l’Inde ont tous accueilli les gros investissements chinois dans les centrales électriques au charbon. Les pays en développement sont, bien entendu, avides d’énergie fiable et bon marché.

 

Les banques chinoises sont disposées à financer des centrales électriques au charbon, que les entreprises chinoises ont hâte de construire. Un exemple en est la centrale de Kostolac en Serbie, que j’ai visitée en 2019. Après avoir révisé les deux unités existantes de Kostolac, la société d’État China Machinery Engineering Corp construit une nouvelle unité de production au charbon supercritique de 350 mégawatts, en agrandissant une mine de charbon voisine pour l’alimenter. Elle brûlera du lignite, la forme la plus sale de charbon. La modernisation, d’un coût de 1,25 milliard de dollars, est financée par un prêt de 608 millions de la China Exim Bank. La centrale modernisée crachera désormais des fumées toxiques au-dessus du Danube et des plaines environnantes pour les décennies à venir.

 

Kostolac est l’une des 16 centrales au charbon des Balkans occidentaux qui, ensemble, produisent autant de dioxyde de soufre que 250 centrales du reste de l’Europe. Le charbon représente la majeure partie de la production d’énergie en Serbie, au Kosovo, en Macédoine du Nord et au Monténégro, pays qui aspirent à devenir membres de l’Union européenne et qui doivent, pour ce faire, se conformer à des réglementations strictes en matière de pollution. Prêteurs européens et internationaux, qui évitent de financer le charbon, sont remplacés par les banques politiques chinoises. Selon un rapport du CEE Bankwatch Network, les centrales au charbon ainsi destinées à la construction dans l’Europe du Sud-Est avec le soutien chinois pourraient représenter jusqu’à 3,5 gigawatts. Et ce n’est que du petit bois comparé aux investissements massifs dans le charbon que la Chine effectue en Asie. Si la BRI était vraiment verte, ces projets seraient annulés.

Propre oui, verte pas toujours

 

De l’autre côté de la médaille de l’énergie, la Chine continue d’injecter des sommes énormes dans l’énergie hydraulique. Au Brésil, les entreprises chinoises ont investi jusqu’à 30 milliards de dollars dans le secteur énergétique du pays, selon un rapport publié par la Global China Initiative de l’université de Boston. Les entreprises chinoises possèdent, en partie ou en intégralité, un total de 304 centrales électriques, avec une capacité installée globale de 16,7 GW, soit 10 % de la capacité de production nationale. Le secteur de l’énergie hydraulique représente 70% de cette capacité installée, 93 barrages et la moitié de la capacité de production hydroélectrique de Sao Paulo appartenant à des entreprises chinoises. China Three Gorges Corp – un mastodonte d’État, surtout connu pour avoir construit la plus grande centrale hydroélectrique du monde sur le fleuve Yangzi – est le deuxième producteur d’électricité au Brésil.

 

Le plus gros investisseur chinois au Brésil est State Grid, qui est spécialisé dans la transmission d’électricité. En 2017, il a payé la somme faramineuse de 12,2 milliards de dollars pour acquérir une participation majoritaire dans CPFL, la troisième plus grande société de services publics d’électricité du Brésil. State Grid possède 15 000 km de lignes de transmission, soit 10 % du total, après avoir aidé le Brésil à moderniser son réseau électrique national défaillant. Les entreprises chinoises ont construit peu de nouveaux barrages au Brésil, mais elles ont généralement racheté et modernisé des actifs existants. Son plus grand projet à ce jour a été de connecter le barrage géant de Belo Monte (11 GW) au réseau, ce qui a nécessité la construction de 4 600 km de lignes de transmission à très haute tension et de 8 200 pylônes de transmission à travers la forêt amazonienne et la savane tropicale.

 

Le Belo Monte, « belle colline » en portugais, a suscité une controverse telle que les habitants l’appellent Belo Monstro – « beau monstre ». Dans d’autres régions du monde, les efforts de la Chine pour construire des barrages ont été vivement contestés. Dans le delta du Mékong, les barrages chinois mettent en péril les pêcheries qui font vivre des millions de personnes. La Chine exploite dix barrages sur le Haut-Mékong, et neuf autres devraient être achevés d’ici 2030. Le Laos prévoit de construire neuf barrages sur le cours principal du Mékong et 130 barrages tributaires, sans doute avec l’appui de la Chine pour le financement et l’expertise technique.

 

La poussée de la Chine dans les énergies renouvelables est dominée par l’énergie hydraulique. Ces investissements sont peut-être propres, mais ils sont souvent tout sauf verts. Le long du Mékong, les barrages hydroélectriques sont sans doute plus destructeurs pour l’environnement que l’énergie au charbon. Ainsi, même si l’année 2020 marque un tournant décisif dans le passage des combustibles fossiles aux énergies renouvelables, les investissements énergétiques de la Chine à l’étranger continueront à générer de la chaleur, à un niveau critique.

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