<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> « La Légion d’honneur est un ordre singulier ». Entretien avec le général Benoît Puga

29 septembre 2022

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Benoit Puga et le président Macron assistent à la cérémonie de son investiture pour un second mandat au palais de l'Élysée. Crédits: Gonzalo Fuentes/SIPA

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« La Légion d’honneur est un ordre singulier ». Entretien avec le général Benoît Puga

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Général d’armée, directeur du renseignement militaire puis chef de l’état-major particulier du président de la République sous Nicolas Sarkozy et François Hollande, le général Benoît Puga est aujourd’hui grand chancelier de la Légion d’honneur.

Entretien réalisé par Antoine-Baptiste Filippi

Nous venons de fêter, le 19 mai, les deux cent vingt ans de la Légion d’honneur, création de Bonaparte lors de son consulat. En tant que grand chancelier de la Légion d’honneur, pouvez-vous nous dire en quoi cette décoration est si singulière ?

Lorsque Napoléon Bonaparte crée la Légion d’honneur, il fait preuve d’une grande habileté. Les ordres d’Ancien Régime avaient été abolis pendant la Révolution et seules des récompenses pour des actes militaires étaient distribuées. Le Premier consul comprend que dans la France dont il entreprend la réorganisation, il est indispensable de pouvoir distinguer ceux qui participent à l’effort général.

Il conçoit la Légion d’honneur quasiment sur le modèle des ordres de chevalerie, avec un grand maître à sa tête – appelé alors « chef » et qui est le chef de l’État – et des membres qui lui prêtent serment. La différence essentielle, la véritable rupture historique, tient dans le fait que la Légion d’honneur peut être attribuée, selon ses mérites, à tout citoyen, quelles que soient son origine sociale, sa religion et son activité, civile comme militaire. Elle est universelle. Voilà sa première singularité. Elle conduit directement à sa seconde singularité : son incroyable rayonnement, à travers les époques et les frontières.

L’intelligence de sa conception permet à la Légion d’honneur de s’adapter continuellement à l’évolution de la société. Elle reste fidèle à ses principes fondateurs, même si la sociologie de ses membres peut varier avec l’histoire, les événements, l’arrivée de nouveaux métiers, l’émancipation des femmes, etc. Cette capacité d’évolution lui a permis de traverser tous les régimes et d’être toujours aussi populaire auprès de nos concitoyens.

Le succès de la Légion d’honneur se constate également à l’étranger. Après sa création, les principautés européennes vont petit à petit s’en inspirer pour se doter d’une décoration « au mérite » à côté de leurs ordres de chevalerie historiques. On observe le même phénomène des décennies plus tard dans les anciennes colonies françaises : dès qu’ils accèdent à l’indépendance, ces pays mettent en place une décoration répondant aux mêmes objectifs que la Légion d’honneur. De surcroît, le rayonnement de la Légion d’honneur au-delà de nos frontières tient également au fait que dès son origine, elle peut être attribuée aux amis étrangers de la France, à ceux qui partagent nos idéaux.

Vous étiez au premier plan de la cérémonie de réinvestiture du président Macron, notamment d’un moment fort, celui où vous reconnaissez Emmanuel Macron comme grand maître de l’ordre national de la Légion d’honneur. Quel est le rôle d’un grand chancelier de la Légion d’honneur ?

La Légion d’honneur est une institution singulière et son statut parle de lui-même : c’est une personne morale de droit public sui generis, ce qui signifie unique en son genre, gérée par le code de la Légion d’honneur. À sa tête se trouve un grand maître, le chef de l’État, qui nomme parmi les grands-croix, plus hauts dignitaires de l’ordre, un grand chancelier chargé de veiller au bon fonctionnement de l’institution.

Le grand chancelier a pour mission de garantir l’intégrité de la Légion d’honneur et de s’assurer que toutes les attributions sont faites conformément au code de l’ordre et à sa jurisprudence. Cette mission centrale d’appréciation des mérites des personnes proposées par les ministres nécessite une véritable indépendance et s’accompagne d’une responsabilité disciplinaire. En conséquence, le grand chancelier ne rapporte qu’au grand maître, sans intermédiaire.

Cette spécificité se retrouve dans nos autres activités. Ainsi, les maisons d’éducation de la Légion d’honneur, créées par Napoléon Bonaparte en 1805, bien qu’établissements d’enseignement public appliquant les programmes de l’Éducation nationale, ne relèvent que de la grande chancellerie. Nous y cultivons les valeurs de la Légion d’honneur, le mérite, l’effort, le civisme, l’entraide, qui donnent à nos élèves une structure pour toute leur vie. De la même façon, notre musée est celui de l’institution, même s’il bénéficie, à la demande, d’aides du ministère de la Culture pour enrichir ses collections.

Enfin, nos bâtiments historiques appartiennent à l’ordre de la Légion d’honneur sans être formellement propriétés de l’État. Si nous recevons un financement public pour leur entretien, c’est à nous qu’il revient de trouver des subsides pour les grands travaux de restauration. Nous sommes ainsi très actifs dans la recherche de mécènes qui soutiennent nos projets financièrement ou en apportant les compétences de leurs entreprises.

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Alors que l’on assiste désormais à un retour d’une guerre « chaude » en Europe, pensez-vous que l’on a eu tendance à utiliser ce terme à tort ces dernières années ? Qu’est-ce que cela dit de la transformation de notre rapport à la guerre ?

Tout d’abord un rappel sémantique : le mot guerre recouvre au moins deux notions.

D’une part une action, l’opposition armée entre deux ou plusieurs pays ou partis ou factions, d’autre part un statut juridique, reconnu par la loi et certaines conventions internationales, l’état de guerre.

Les deux sont liés bien que distincts.

La guerre, dans sa traduction juridique, exprime bien l’engagement total, c’est-à-dire de tous les moyens d’un État, d’un pays dans une lutte dont l’enjeu peut être vital pour celui-ci. Tandis qu’une opération, ou une intervention armée, aussi violente soit-elle, n’exprime la plupart du temps qu’un engagement armé limité du pays pour participer au règlement d’un problème ou d’un conflit bien souvent à l’extérieur des frontières de ce pays.

Aussi, au-delà de son intérêt éventuellement mobilisateur, l’emploi des mots guerre et opération peut-il en effet recouvrir des réalités bien différentes.

Ensuite, la haute ou la basse intensité d’un conflit, qu’il soit guerre ou opération, ne décrit que le degré de violence, de puissance, de force des actions et des moyens engagés. Dans un conflit, dit de basse intensité, comme au Mali, on peut connaître des combats denses et violents, dits de haute intensité, et à l’inverse dans un conflit, dit de haute intensité, on peut très bien ne connaître principalement que des combats de faible intensité, comme lors de la première guerre du Golfe (1991).

La haute intensité d’un engagement militaire décrit davantage la densité des combats tout équipement réuni (avions, chars, bateaux, etc.) que la violence ou la dureté du combat lui-même, même si celles-là constituent un facteur complémentaire important. Ainsi, au regard des moyens engagés, la guerre du Kippour relève de la haute intensité, tandis que la guerre d’Algérie correspond plus à de la basse intensité, malgré la violence létale de certains engagements.

En conséquence, les armées, dont la mission première est la protection des populations et la défense du territoire national, contre toute forme de menace, doivent être sélectionnées, équipées et entraînées pour s’adapter à tous les types d’engagements des plus durs aux plus simples, de la guerre de haute intensité à l’évacuation de ressortissants.

L’erreur serait de ne pas couvrir tout le spectre des capacités. En revanche, la principale difficulté consiste pour le décideur politique et militaire à trouver le meilleur équilibre entre chacune des capacités nécessaires. Ce que le CEMA actuel rappelle régulièrement.

Enfin, au regard de l’évolution des crises dans le monde, il est évident que le « rapport de nos concitoyens à la guerre » évolue : chacun d’entre nous comprend mieux aujourd’hui que, malheureusement, il peut être amené à devoir un jour défendre son pays et que ce devoir n’est pas réservé qu’à quelques-uns.

La théoria n’étant jamais éloignée de la praxis, vous enseignez également à Sciences-Po Paris. Alexandre le Grand était « philosophe en armes », César historien, et Bonaparte, maître du politique, était élève de Thucydide et de Machiavel. Quelles sont, selon vous, les qualités qui font un chef de guerre ?

Pour répondre à votre question, il pourrait suffire de déterminer les qualités communes aux trois chefs de guerre cités. Mais, surtout, il me paraît nécessaire de distinguer le chef de guerre de niveau stratégique, niveau où sont intervenus vos trois exemples, du chef de guerre de niveau tactique, comme Bayard, Turenne, ou Bigeard.

Si la hardiesse, le courage physique et la capacité à mener les hommes sont des qualités communes, d’autres m’apparaissent encore plus indispensables au niveau stratégique, et c’est celui sur lequel je vais m’intéresser.

La première d’entre elles est la capacité de décision, sans laquelle aucune grande action n’est possible, aucun chef n’existe. La capacité à choisir entre deux ou plusieurs solutions, à s’engager dans une direction, à assumer les risques et les conséquences de ce choix.

Cette capacité est le produit d’une alchimie subtile entre les connaissances du chef, y compris de culture générale (historique, géographique, scientifique…), son expérience, son caractère et même sa forme physique ou psychologique.

Elle réclame ensuite un bon esprit de synthèse, un solide bon sens, ainsi qu’une réelle capacité d’écoute et de discernement, en particulier pour sélectionner les personnes (ce que beaucoup oublient !). Napoléon croyait dans les généraux qui ont de la chance ! Elle requiert aussi une très grande faculté d’adaptation et une résilience à toute épreuve dans les difficultés et les revers ; certains diraient, dans le jargon à la mode, la résistance au stress !

J’ajouterais enfin le coup d’œil et l’intuition, la capacité à voir au-delà et à anticiper.

Ces dernières qualités ne se commandent pas, mais peuvent s’entretenir en allant sur le terrain et par le travail. Alexandre, César et Bonaparte travaillaient beaucoup, se déplaçaient souvent, écoutaient tout le temps, allaient voir par eux-mêmes. Ils se renseignaient, car à ce niveau de décision la réactivité est rarement synonyme d’improvisation. Le renseignement fut une clé de la réussite de chacun des trois chefs cités, et de leur chute… De même, la connaissance et l’application des principes de la guerre tels que ceux connus depuis Sun Tzu restent une constante chez chacun d’entre eux.

Il est d’ailleurs assez intéressant de constater que ces qualités du chef de guerre apparaissent très similaires à celles d’un grand patron d’entreprise, non ?

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À propos de l’auteur
Antoine-Baptiste Filippi

Antoine-Baptiste Filippi

Diplômé de SciencesPo Paris et étudiant en droit à la Sorbonne

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