La guerre mondiale de la France : le temps des Guépards – Michel Goya

2 mars 2022

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La guerre mondiale de la France : le temps des Guépards – Michel Goya

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La période qui commence avec la fin de la guerre d’Algérie est considérée en France comme un retour à la paix. L’ouvrage de Michel Goya décrit pourtant soixante années durant lesquelles l’armée française n’a cessé d’intervenir à travers le monde et de se confronter aux nouvelles modalités de la guerre, plus caméléon que jamais.

 

Michel Goya, Le Temps des Guépards. La guerre mondiale de la France, de 1961 à nos jours, Paris, Tallandier, 2022, 368 p.

Le Temps des Guépards[1] rappelle que la guerre peut prendre bien des formes et que la France en a expérimenté un grand nombre. De façon tantôt claironnante et tantôt discrète, le pays n’a cessé de faire la guerre et, somme toute, depuis 1939, cet état n’aurait jamais pris fin, de conflits faussement gagnés en d’autres, perdus, que l’on croit achevés.

Dès les années 1960, alors que le gouvernement croyant en avoir fini avec les conflits coloniaux se félicite d’être enfin passé à la guerre dernier modèle — celle de la dissuasion nucléaire —, des conflits périphériques montrent qu’il lui faut non seulement continuer d’affronter des États, mais aussi lutter contre des organisations privées, religieuses, partisanes ou ethniques. Organisations moins faciles à comprendre et, surtout, à réduire…

« En soixante ans, nos soldats ont été ainsi engagés dans 32 grandes expéditions, guerres, confrontations et opérations de police internationale et une centaine d’opérations de plus petite ampleur[2]. En valeur absolue, ce nombre est seulement inférieur à celui des forces armées américaines durant la même époque. Mais, appliqué à un volume de forces bien moindre, il fait des soldats français les plus sollicités au monde[3]… »

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Le point de départ est précoce et se situe avant même la fin de cette guerre d’Algérie où « l’armée ne faisait pas son métier ». Tel était le sentiment du ministre Guillaumat et du président, chef des armées, qui ne jugeaient pas la guerre irrégulière contre des bandes et des groupes terroristes digne d’une force au service de la « grande politique ». Quelques années plus tard, beaucoup de communication et quelques coups d’éclat du chef de l’État tenteront de cacher que la grande politique disposait d’une marge de manœuvre trop réduite pour espérer atteindre ses objectifs. La France ne pouvait obtenir de ses partenaires européens la « promotion d’une entité militaire » commune et elle était condamnée à « en passer par les États-Unis, dès qu’il [était] question de guerre d’une certaine ampleur ». Des décennies plus tard, ces entraves n’ont pas disparu.

La première des OPEX, l’opération de Bizerte, fin juillet 1961, démontra qu’en dépit du malaise qui touchait l’armée, la France disposait de troupes capables de mener des opérations risquées, décidées rapidement, contre un adversaire correctement armé[4]. Si la priorité allait à la dissuasion nucléaire, pour laquelle il était besoin de techniciens plus que de forces d’intervention, la décolonisation de l’Afrique, qui s’était accompagnée d’une série d’accords de défense, engageait la France dans une tout autre voie.

Ce fut l’époque où une seule compagnie, la CPIMa [compagnie parachutiste d’infanterie de marine], environ cent soixante hommes, assurait la sécurisation des espaces tchadiens. C’est une histoire qu’il serait intéressant d’écrire.

Les interventions de l’époque Mitterrand

Comment classer toutes ces interventions et ordonner à leur succession ? Michel Goya a organisé son étude selon trois époques : celle de la guerre froide, puis celle qui va de la disparition de l’URSS jusqu’en 2008, enfin treize années de guerre continue, jusqu’à la perplexité et l’inquiétude des dernières semaines.

On pourra discuter du bien-fondé de ce découpage car les interventions extérieures de la Ve République n’ont jamais dépendu que de la volonté du président en exercice[5]. Or, pendant les deux mandats de François Mitterand, couvrant à la fois la fin de la guerre froide et les premières années du nouvel ordre mondial qui se met en place, la ligne directrice du président n’a pas dévié de la doctrine tiers-mondiste[6]. Et selon Hubert Védrine, son souci premier a toujours été européen. « Dans les années quatre-vingt-dix, ce qui est en jeu, c’est tout simplement la constitution d’une Europe capable d’exister et de peser demain entre l’Amérique et l’Asie[7]. » Cette position expliquerait bien des atermoiements.

De grosses opérations ont été des réussites, comme Daguet — la France agissait alors dans le cadre d’une coalition conduite par les États-Unis avec des moyens considérables. Il y eut aussi un temps durant lequel les troupes d’intervention durent se coiffer en « soldats de la paix » ; 10 000 soldats français portaient le casque bleu en 1993. Mais « on va s’apercevoir que ce sont souvent ces opérations de « paix », humanitaires, d’interposition ou de stabilisation qui sont longues, incertaines et coûteuses[8] ».

Le retour de la guerre irrégulière

La plupart des adversaires auxquelles s’affrontent les forces d’intervention, qu’il soit question d’opération de guerre ou de police, ont vite appris que le résultat dépendait surtout d’une opinion publique qui n’accepterait plus des pertes humaines. Des armes légères et des véhicules civils ont suffi à décourager ou enliser les troupes d’un gouvernement indécis ou prochainement soumis aux résultats d’une élection. Les cuisantes intercessions au Liban et dans les Balkans ont été des échecs. L’intervention au Rwanda n’a valu à la France que des accusations toujours reprises. « Il aurait sans doute mieux valu que la France n’intervienne pas et que le FPR [front patriotique rwandais, parti du président Kagame] prenne tout de suite le pouvoir, ou, inversement, que les forces françaises combattent vraiment le FPR et sauvent le régime. On a préféré l’entre-deux[9]. »

Pendant ce temps, la mondialisation affaiblissait les États mais profitait à des organisations irrégulières, armées à foison grâce à de croissants trafics. Et il ne leur était guère besoin de gros effectifs tant qu’elles ne devaient affronter que des armées nationales, plus faibles qu’elles. La mesure de ce changement n’a pas toujours été prise et, au début du XXIe siècle, alors que les États-Unis déclarent la guerre au terrorisme en s’engageant dans deux conflits durables, en Irak et en Afghanistan, la France revient à des opérations d’envergure sous l’impulsion du président Sarkozy. Le moment était mal choisi ; l’armée faisait alors l’objet d’une restructuration problématique. Il lui fallut se battre avec des matériels en bout de course, des effectifs réduits, et même des soldes impayées[10].

Le bilan de ces années de guerre dressé par Michel Goya est donc critique. Beaucoup d’interventions ont été motivées davantage par le souci de satisfaire ou d’impressionner l’opinion que de répondre à un objectif militaire. À l’extérieur, la guerre est devenue asymétrique : en a-t-on tiré toutes les leçons ? Elle existe aussi désormais sur le territoire national, « l’organisation djihadiste compr[enant] désormais des milliers de recrues européennes, dont beaucoup de Français, un phénomène inédit, et certains sont prêts à porter le combat dans leur pays d’origine. » Contre ce danger, une partie des effectifs de l’armée se sont usés aux patrouilles de « Sentinelle », un modèle « d’opération anxiolytique ».

Les forces françaises d’intervention, poussées à leurs limites, ont cependant montré leur qualité chaque fois qu’elle pouvaient se battre. Pour en finir avec beaucoup d’efforts perdus, il reviendrait aux dirigeant de se donner « un objectif clair et réaliste, des moyens adaptés et l’acceptation du risque ».

Cette synthèse, à lire en regard du Dictionnaire des opérations extérieures de l’armée française, de 1963 à nos jours, dirigé par Jean-Marc Marill[11], s’accompagne d’une cartographie abondante et soignée et d’une chronologie classée en fonction des présidences de la Ve République.

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[1]         Nom donné au système d’alerte de l’armée de terre ainsi qu’aux unités concernées.

[2]         Encore la liste longue dressée par Michel Goya figurant en annexe n’est-elle pas exhaustive. Pour exemple, n’y figure pas l’envoi de 150 parachutistes au Togo en 1986 après la tentative de coup d’État contre le président Eyadema.

[3]         Le Temps des Guépards, p. 12.

[4]         Première des OPEX, l’opération Bizerte apparait aussi comme un premier des nombreux échecs de la Ve République en politique étrangère. L’ambassadeur de France auprès de l’ONU, Armand Bérard, comptait les États qui avaient condamné la France, à « une majorité de soixante-six voix ». « Et surtout, nos amis africains pour la première fois ont pris parti contre la France. Notre crédit en sort nettement ébranlé. » (Un ambassadeur se souvient. L’ONU : oui ou non ? 1959-1970, Paris, Plon, 1979, p. 237).

[5]         « Pour l’heure, tout dépend donc d’une seule tête, ce qui donne naissance dès le début de la Ve République à un art de la guerre particulier. Sa première caractéristique est l’extrême facilité à déclencher une opération militaire : pas de longs débats ni de vote au Parlement avant l’engagement des forces armées, la volonté seule du président suffit. » (Le Temps des Guépards, p. 23).

[6]         Hubert Védrine, Les mondes de François Mitterand. À l’Élyssée, 1981-1995, Paris, Fayard, 2016 (nouvelle éd.), p. 683, cite cette intervention au conseil des ministres, le 12 octobre 1988. « Il ne faut pas se raconter d’histoires, tous les pays d’Afrique, ou à peu près, vivent sous la dictature d’un homme ou d’un parti unique. […] On n’en sortira qu’en sortant du sous-développement. »

[7]         Ibid., p. 758.

[8]         Le Temps des guépards, p. 118.

[9]         Ibid., p. 90.

[10]       L’inadaptation du logiciel Louvois qui devait assurer le règlement des soldes a laissé un mauvais souvenir aux militaires et leur famille.

[11]       Paris, Nouveau Monde éditions, 2018, 451 p.

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À propos de l’auteur
Marie-Danielle Demélas

Marie-Danielle Demélas

Docteur d’État en histoire et professeur honoraire de l'université de Paris III.
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