<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La guerre en Ukraine face à la loi géopolitique du nombre

28 septembre 2024

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Des soldats ukrainiens montés sur des chars russes T-72 capturés participent à un entraînement militaire près de la frontière entre l'Ukraine et la Biélorussie, près de Tchernihiv, en Ukraine, le vendredi 28 octobre 2022. (AP Photo/Aleksandr Shulman, File)/FP509/23089528001166-1/FILE PHOTO/2304010620

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La guerre en Ukraine face à la loi géopolitique du nombre

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Compte tenu des progrès considérables des technologies militaires, il a été souvent avancé que la qualité des soldats importait davantage que leur nombre et qu’une armée moderne pouvait en conséquence limiter ses effectifs. Mais la guerre en Ukraine n’a-t-elle pas bouleversé la donne en mettant en évidence que la loi du nombre dans les conflits n’était nullement caduque ?

Gérard-François Dumont, professeur émérite à Sorbonne Université, président de la revue Population & Avenir

Sans nier l’importance des stratégies militaires des belligérants, de la volonté de vaincre des uns et du possible découragement des autres, toute l’histoire des guerres témoigne que la possibilité d’aligner un nombre élevé de combattants est un atout qui participe au succès ou à l’insuccès final. Pour rappeler quelques exemples français, l’analyse de la force de la France de Louis XIV face aux coalitions ennemies ou les victoires napoléoniennes nécessitent impérativement de prendre en compte le fait que, dans ces périodes historiques, la France était, de très loin et hormis la Russie, le pays le plus peuplé d’Europe, le plus à même de mobiliser un nombre élevé de combattants. Autre exemple, au début des années 1910, la France est consciente des conséquences de sa faible fécondité : une France vieillie de 39 millions fait face à une jeune Allemagne de 67 millions d’habitants. Aussi, à l’été 1913, le gouvernement français fait voter une loi allongeant à trois ans le service militaire.

Avec la fin du xxe siècle, l’idée s’est répandue que disposer de gros bataillons sur les champs de bataille était secondaire. Or la guerre en Ukraine est venue brutalement rappeler que la loi géopolitique du nombre n’était pas caduque, notamment en raison de la longueur du front qui suscite chez les deux belligérants des besoins de recrutement et de remplacement des personnes mortes ou blessées.

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La Russie paraît avantagée avec ses 147 millions d’habitants. Mais ses générations parvenues à l’âge adulte sont relativement peu nombreuses en conséquence de la fécondité abaissée des décennies précédentes et parce qu’une partie d’entre elles – 1 million ? – a émigré depuis le 24 février 2022. D’ailleurs, la Russie se trouve plutôt en pénurie de main-d’œuvre alors qu’elle diversifie son économie pour produire ce qu’elle ne peut plus importer des pays occidentaux. Et elle a également besoin de main-d’œuvre pour la reconstruction dans les territoires ukrainiens qu’elle est parvenue à (re)conquérir. Dans ce contexte, la Russie, sans qu’il soit possible de présenter des données chiffrées, n’hésite pas à recourir à des mercenaires.

La situation en Ukraine suppose de considérer un pays qui compte environ 36 millions d’habitants en 2024 contre plus de 51 millions en 1991. Ce pays, miné par la corruption et une mauvaise gouvernance, a vu partir plus de 7 millions de ses habitants entre 1991 et février 2022 vers des pays pouvant offrir des conditions économiques meilleures. Depuis le 24 février 2022, l’Ukraine a connu une nouvelle émigration de 7 millions de personnes voulant échapper aux risques des violences guerrières. On pourrait penser que ces 7 millions sont tous des enfants, des femmes et des personnes âgées. Mais à l’examen des statistiques d’Eurostat qui donnent le nombre d’Ukrainiens bénéficiant, dans l’Union européenne à 27, du statut de protection temporaire, soit un statut spécial de réfugié, il apparaît que 9 % sont des hommes de 18 à 34 ans soit, pour la seule UE, près de 380 000 personnes dont on pourrait penser qu’elles seraient mobilisables. Dans un tel contexte démographique, l’équation militaire des ressources humaines de l’Ukraine est complexe et il n’est pas étonnant que le pays éprouve tant de difficultés lorsque le pouvoir doit négocier avec le Parlement des lois de mobilisation.

Dans cette situation qui témoigne, en dépit de tous les progrès dans les technologies militaires, de l’importance pérenne d’un des aspects de la loi géopolitique du nombre, il n’est pas étonnant qu’un autre pays en guerre – Israël – ait approuvé en juin 2024 le recrutement de 350 000 réservistes ou qu’un pays en paix, la Suède, ait décidé de doubler le nombre d’appelés au service militaire d’ici à 2032.

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