La démographie joue un rôle clef dans la guerre en cours au Proche-Orient. Un élément à prendre en compte pour comprendre les ressorts de cette guerre.
Article paru dans le N 56 de Conflits, dont le dossier est consacré à la géopolitique des montagnes.
La nouvelle guerre qui a débuté au Proche-Orient le 7 octobre 2023 ne concerne qu’un territoire étroit, soit Israël et les Territoires palestiniens, un ensemble de seulement 27 641 km2, soit l’équivalent de la région Bretagne. Si l’on ajoute la totalité du Liban concerné par cette guerre en raison de la présence des armes du Hezbollah, il faut ajouter 10 459 km2. L’étendue des territoires ayant connu des guerres depuis 1945 concerne des superficies beaucoup plus étendues, qu’il s’agisse de conflits interétatiques (Inde-Pakistan, Éthiopie-Érythrée, Irak-Iran, URSS-Afghanistan, Russie-Ukraine…) ou de conflits ouverts à l’intérieur de pays (Corée, Vietnam, Algérie, Afghanistan, Angola, Somalie, Soudan, Nigeria, Yougoslavie, Congo RDC, Irak, Syrie…).
En termes de mortalité, même si les chiffres sont imprécis, les quelques dizaines de milliers de morts de la guerre déclenchée depuis le « Shabbat noir » sont largement inférieurs à des guerres survenues depuis 1945 dont le nombre de morts dépasse 1 million : conflits indo-pakistanais, coréen, vietnamien, afghan, irakien, syrien, soudanais…
Dans ce contexte, comment comprendre l’intensité médiatique et la multiplicité des déclarations diplomatiques portant sur la situation conflictuelle du Proche-Orient ?
Une des réponses est dans la géographie mondiale du peuplement et dans le ressenti de populations qui, souvent, habitent dans des territoires fort éloignés du Proche-Orient. Certes, ce conflit ouvert oppose dans son centre extrêmement militarisé un État à grande majorité juive à des populations arabes habitant la Cisjordanie et Gaza, et le Hezbollah libanais. Mais au-delà, le conflit s’avère mondialisé du fait de la présence de diasporas arabes et juives selon plusieurs cercles géographiques.
Un premier cercle diasporique de sensibilité à la question du Proche-Orient concerne les descendants de Palestiniens partis lors de la première guerre israélo-arabe de 1948 pour la Jordanie, le Liban ou la Syrie. Ces Palestiniens entretiennent d’autant plus la mémoire du lieu où habitaient leurs ascendants que leur situation juridique est unique au monde, le statut de réfugié y étant héréditaire, avec les services assurés par une agence spécifique de l’ONU : l’UNRWA.
Les diasporas palestiniennes travaillant dans des pays arabes, notamment du Golfe, forment un deuxième cercle de personnes d’autant plus préoccupées par le conflit du Proche-Orient qu’elles n’ont guère la possibilité d’accéder à la nationalité du pays où elles travaillent.
Un troisième cercle s’est considérablement accru depuis les années 1990 en raison de l’importance des flux migratoires de personnes ayant quitté des pays arabes notamment pour des pays occidentaux d’Europe et d’Amérique du Nord[1]. Or, dans ces pays, ces diasporas bénéficient de règles démocratiques et d’accès à la naturalisation qui leur permettent, lorsqu’elles le souhaitent, de s’impliquer dans la vie politique. Partout en Occident, le poids électoral de ces diasporas s’accroît sous le double effet d’arrivées migratoires et d’une fécondité souvent supérieure. S’ajoutent à ces diasporas arabes des diasporas de musulmans non arabes, pakistanais par exemple, pour qui le conflit du Proche-Orient n’est qu’une guerre de religion.
Dans la mesure où l’État d’Israël a été pensé et créé pour pouvoir servir de refuge à tous les juifs susceptibles de subir, dans le pays où ils résident et dont ils ont le plus souvent la nationalité, des pogroms, les diasporas juives dans le monde ne peuvent se désintéresser de ce qui est perçu par elles comme un État sanctuaire face aux risques d’un intense antisémitisme.
Par définition, les membres d’une diaspora, quel que soit leur attachement au pays où ils habitent, éprouvent également un attachement pour un pays ou une région dont eux-mêmes ou leurs ascendants sont originaires. La mondialisation de flux migratoires arabes accrus, comme l’existence de diasporas juives, ne peut qu’accentuer le caractère mondial du conflit du Proche-Orient.
[1] Pour ne prendre qu’un exemple, aux États-Unis, le nombre d’immigrants originaires du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord est passé de 224 000 en 1980 à 1 210 000 en 2022, donnée à laquelle s’ajoute leur descendance née sur le sol des États-Unis et ayant pour conséquence la nationalité états-unienne.
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