<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La guerre des mots

5 octobre 2024

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La guerre des mots

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Éditorial du n°53 – Dossier Moyen-Orient. Le sens des mots et l’importance de l’usage de termes justes.

Une langue sert d’abord à penser, ensuite à parler. Le choix des mots n’est jamais neutre : le mot crée le réel, il le rend vivant et présent. Le mot impose ses espaces, son histoire, la façon de concevoir. Dire, c’est créer un monde et faire entrer les autres locuteurs dans ce monde. Parler de Levant, de Proche-Orient, de Moyen-Orient, de monde arabe n’est pas neutre : chaque mot désigne une réalité différente, qui n’est pas tout à fait la même que les autres et qui crée un univers mental différent. En employant des mots étrangers, ce sont les concepts de l’autre que l’on fait sien. Parler de soft power n’est pas la même chose que parler de puissance douce et une école de commerce n’est pas tout à fait une business school. La guerre des mots est l’une des facettes de la géopolitique, là aussi un rapport de force qui vise à s’imposer dans un espace clos, celui du langage et des idées.

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10 mn de géopolitique. Le sens des mots

Purifier la pensée. On ne peut que faire nôtre le vers de Mallarmé dans le Tombeau d’Edgar Poe : « Donner un sens plus pur aux mots de la tribu. » L’une des activités de la géopolitique est de purifier les mots et les concepts afin d’en retirer les erreurs d’analyse, les couches polémiques, les simplismes paresseux. Le domaine de la science n’est pas celui du polémiste et tout le travail mené à Conflits est de distinguer, préciser, définir. Malheureusement, la polémique l’emporte souvent sur la science, la vérité de rue sur la pensée juste. On l’a vu les années passées avec le concept de « France périphérique », critiqué par de nombreux articles scientifiques, mais qui continue pourtant d’être employé. Tout l’enjeu est de penser juste et de façon claire, d’employer des mots compréhensibles sans céder au simplisme. À l’inverse, il est tentant pour les universitaires de céder au jargon ronflant, au concept fumeux, aux phrases compliquées pour donner l’illusion de penser et pour se gonfler d’importance tout en masquant les vides. Le mot juste doit être au service d’une pensée profonde et rigoureuse.

Guerre cognitive. Imposer la pensée, c’est imposer l’action. Quiconque impose ses mots et ses concepts a déjà gagné la guerre. Les qualificatifs de « terroriste » et de « résistant » peuvent ainsi varier d’un groupe à l’autre dans le but d’accorder ou de retirer une légitimité. Avoir imposé une aura positive à certaines organisations (les ONG et les associations) et négative à d’autres (la multinationale, la grande entreprise) signe la victoire de ceux qui ont réussi à imposer leur concept et ainsi à conduire à un encerclement cognitif dont il est bien difficile de s’extraire. Quiconque essaye de lutter et de contrecarrer s’enfonce, perd du temps et s’épuise sans possibilité de victoire. Que l’adversaire ou l’ennemi impose sa pensée et c’est la défaite assurée. De la même façon qu’il faut une autonomie industrielle et stratégique, il faut aussi une autonomie cognitive et intellectuelle : on ne peut penser avec les mots des autres sans finir par agir pour les intérêts des autres ; penser contre soi-même et agir contre soi. Parler de « Sud global », de zone « indo-pacifique », de guerre « contre le terrorisme » obscurcit plus la pensée qu’elle ne l’éclaire. Poser le mot juste pour agir avec clairvoyance est l’un des grands défis de notre temps.

À écouter

Podcast – La guerre cognitive

Pour penser, se former. Pour penser juste, la formation est indispensable, tout au long de sa vie. La lecture des livres et des lieux, les voyages intérieurs et les voyages physiques sont autant de gestes qui conduisent à une esthétique de la liberté, liberté pour soi au service des autres. La liberté d’une vie ne consiste pas à vivre seul, en individu autonome, mais au contraire à vivre dans l’échange, dans l’espace et dans le temps. Échange avec les grands auteurs et leurs œuvres, échanges avec les lieux où sédimentent les couches de l’histoire, échanges avec nos contemporains. L’échange est celui des mots et des concepts, des idées et des débats. C’est ainsi que la pensée croît et que le désert recule. C’est l’objectif d’une revue d’être un lieu d’échanges et de débats, de purification des mots et des concepts, de solidification de la pensée. C’est ce à quoi vise Conflits depuis sa fondation.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

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