La situation politique est de plus en plus tendue en Géorgie. Les manifestations se succèdent, les affrontements avec la police deviennent de plus en plus violents. Entretien avec Victor Kipiani pour analyser la crise géorgienne.
Victor Kipiani est analyste géopolitique. Il dirige le think thank Geocase. Entretien réalisé par Henrik Werenskiold.
Entretien paru sur Geopolitika. Traduction de Conflits.
Des vidéos circulant sur Internet montrent la police géorgienne se livrant à des violences, jetant les manifestants à terre, les traînant sur la chaussée et utilisant du gaz poivré. Le média géorgien Inter Press Agency a rapporté que 16 personnes ont été arrêtées jusqu’à présent. Il s’agit d’une véritable crise politique. Quelle est l’importance de la réaction du public aux manifestations pour l’avenir politique de la Géorgie ?
Plusieurs circonstances doivent être mentionnées lorsque l’on parle de façonner le paysage politique géorgien au lendemain des élections. Dans l’ensemble, le statu quo pourrait être qualifié d’évolution.
Bien sûr, le parti au pouvoir, le Rêve géorgien, prétend que la stabilité règne dans le pays, mais ce n’est qu’un vœu pieux. Nous assistons à des protestations continues, qui vont et viennent, mais qui sont toujours présentes. La reconnaissance internationale des résultats des élections géorgiennes par les principaux partenaires de la Géorgie est toujours en suspens.
Nous disposons également d’une déclaration du Premier ministre, qui a indiqué que la première session du parlement nouvellement élu serait convoquée le 25 novembre. Il y a donc beaucoup de choses à faire pendant cette période et dans les semaines à venir.
L’issue de l’impasse actuelle dépendra beaucoup de l’intensité de la résistance publique dans le pays et de la réaction des partenaires internationaux de la Géorgie. Nous parlons ici principalement des pays occidentaux, car certains pays ont déjà reconnu les résultats des élections. Mais ces reconnaissances ne sont pas suffisamment significatives pour former une opinion publique plus large sur la validité ou la légitimité des élections géorgiennes.
Ces derniers jours, des images agressives et violentes ont été diffusées en Géorgie. Comment le Rêve géorgien a-t-il réagi à ces manifestations et que compte-t-il faire ?
Les derniers commentaires de Rêve géorgien s’inscrivent parfaitement dans la ligne politique qu’ils propagent depuis quelques années. Il s’agit de conspirer, de faire de la Géorgie une sorte de forteresse assiégée, de préserver l’identité et la dignité de la Géorgie à travers tous ces efforts. Ils utilisent ces arguments pour justifier leurs actions.
Les commentaires, les réactions et les réponses des dirigeants de Rêve géorgien concernant l’utilisation de la force contre les manifestations par la police géorgienne ont été conformes aux déclarations selon lesquelles les protestations ont été organisées par des agents d’influence étrangers. Ils affirment qu’elles ont été soutenues par des acteurs étrangers, bien qu’ils n’aient jamais spécifié qui étaient ces acteurs étrangers.
Les manifestants disent qu’ils vont rester dans les rues de Tbilissi et peut-être ailleurs en Géorgie jusqu’à ce que quelque chose se passe. Quelles sont les conséquences potentielles si le gouvernement ne répond pas aux demandes des manifestants ?
Les conséquences potentielles sont de nature à la fois politique et économique. Les conséquences politiques sont liées à la légitimité future du Parlement géorgien. S’il est convoqué, mais que l’opposition géorgienne refuse d’y entrer, il s’agira d’une sorte de parlement boiteux.
Continuer à gouverner le pays en prétendant avoir une gouvernance démocratique normale, bien qu’il s’agisse principalement et très majoritairement d’un régime à parti unique, est quelque chose qui pourrait sérieusement endommager et compromettre la légitimité du parlement et de tout gouvernement élu par l’organe législatif géorgien.
Il s’agit donc d’une conséquence de nature politique. Une autre est que la Géorgie devienne une sorte d’État paria. La déconnexion qui se produit entre la Géorgie, l’Union européenne et les États-Unis aurait clairement un impact significatif sur la position de la Géorgie dans un contexte géopolitique plus large.
Mais en plus de cela, il y a des effets et des conséquences économiques. Des fonctionnaires de l’UE ont déjà fait des déclarations selon lesquelles le processus d’intégration de la Géorgie dans l’UE était bloqué. En conséquence, différents programmes et paquets d’aide économique ont également été suspendus.
Nous avons également reçu une déclaration récente d’un porte-parole du Département d’État américain, qui a confirmé que les États-Unis étaient en train de revoir leur politique à l’égard de la Géorgie. Les conséquences sont donc déjà là et, avec le temps, elles deviendront encore plus graves et sérieuses.
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Que pensez-vous des récentes manifestations en Abkhazie ? Il semble qu’ils aient pu obtenir certaines de leurs revendications. Pensez-vous qu’un scénario similaire pourrait se produire en Géorgie si ces manifestations se poursuivent ?
Je ne m’attends pas à ce que le même scénario se répète, car l’Abkhazie est une histoire différente pour des raisons qu’il serait difficile de développer dans le cadre de cette interview. En bref, l’Abkhazie n’est pas une entité autonome ou gouvernée par elle-même, mais elle est complètement isolée sous le contrôle de la Russie.
Une autre différence majeure entre l’Abkhazie et le reste de la Géorgie est que Rêve géorgien, le parti au pouvoir, est très ouvert à des liens plus étroits avec la Fédération de Russie et a fait part de son désir et de sa volonté d’améliorer ces liens au fil du temps. Je ne pense donc pas qu’une répétition du scénario abkhaze soit très probable dans le reste de la Géorgie. Toutes les conditions ne sont pas réunies pour qu’il se reproduise dans le reste du pays.
« Les différences existent, mais l’Abkhazie et le reste de la Géorgie ont en commun le fait que la Géorgie, ainsi que ses provinces sécessionnistes – l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud – restent sous la forte influence géopolitique de la Russie. C’est un problème que non seulement la Géorgie doit résoudre, mais aussi ses partenaires européens et les États-Unis, et ce dans les plus brefs délais.